Ludovic Ravanel
Ludovic Ravanel est géomorphologue et spécialiste de l’évolution des milieux de haute montagne. Il est chargé de recherche 1ère classe au CNRS et rattaché au Laboratoire EDYTEM de l’Université Savoie Mont Blanc à Chambéry. Chercheur invité au CIRM jusqu’au 31 mai dernier, ses travaux s’intéressent aux processus géomorphologiques et leurs effets sur les pratiques et les infrastructures de haute altitude.
Entretien du 28 mai 2021
Mélanie Clivaz (MC) : Tes travaux de recherche portent essentiellement sur les terrains de haute altitude. Comment es-tu arrivé à t’intéresser à ce type de milieu ?
Ludovic Ravanel (LR) : Je suis issu d’une (très) longue lignée de guides de haute montagne. À la maison, j’ai toujours entendu parler de montagne. J’aurai pu saturer mais, au contraire, ça m’a intéressé d’abord et passionné ensuite. Petit, j’étais curieux de tout : histoire, patrimoine, ornithologie, botanique... Mais les cailloux et les paysages rocheux avaient ma faveur. Sans connaitre le mot, je voulais faire de la ‘géomorphologie’ mon métier ! Et puis, en tant qu’alpiniste, on ne peut qu’avoir envie de mieux connaitre son milieu d’évolution !
MC: Dans tes recherches, tu t’intéresses notamment à l’impact des changements climatiques sur la pratique de l’alpinisme. Peux-tu nous en dire plus ?
LR: Je ne suis pas un spécialiste de l’alpinisme sur le plan social ou historique. Par contre, l’alpinisme est un fil conducteur pour mes recherches. Je me suis souvent demandé : « Tiens, sur quel(s) sujet(s) liés à la pratique de l’alpinisme ne connait-on rien ? ». C’est ainsi que j’en suis venu à travailler spécifiquement sur les faces nord ou sur la stabilité des ponts de neige au-dessus des crevasse. Il y a encore plein de thématiques de ce type à explorer… La haute montagne réserve de nombreux sujets encore vierges de connaissances !
MC : Quels sont les premiers résultats ? Comment les pratiques de l'alpinisme sont-elles impactées ?
LR : On a plus que des premiers résultats puisque la thèse de Doctorat de Jacques Mourey – aujourd’hui en post-doc au CIRM sur ces questions – y a été consacrée ! Nous avons ainsi montré comment évoluent les accès aux refuges de haute montagne ; quels sont les processus géomorphologiques et glaciologiques (il y en a près de 30 !) qui affectent les itinéraires ; comment les guides et les alpinistes peuvent s’adapter, etc. À chaque fois, on essaie d’apporter des connaissances qui soient utilisables par les alpinistes pour mieux gérer les risques auxquels ils sont de plus en plus confrontés.
MC : Le massif du Mont Blanc représente un « hot spot » de tes travaux. A l’occasion de ton séjour au CIRM, tu t’es intéressé aux Alpes valaisannes. Comment s’est passée cette transition ?
LR : Durant ces 5 mois, j’ai surtout travaillé sur les faces nord et plus spécifiquement encore sur les couvertures glacio-nivales et les glaciers suspendus qu’on trouve sur ces versants. L’aspect proprement ‘alpinistique’ a continué d’être porté par Jacques. J’ai donc travaillé à la fois sur des cas valaisans et sur des cas chamoniards. Nos objets de recherche n’ont pas de frontière et c’est toujours avec un très grand plaisir que je viens travailler en Valais avec Christophe Lambiel (le spécialiste !) et Emmanuel Reynard (le chef !).
MC : Les problématiques liées à la pratique de l’alpinisme sont-elles les mêmes dans le Massif du Mont Blanc et dans les Alpes valaisannes ? Quelles sont les différences/similitudes ?
LR : Globalement, les problématiques sont similaires mais il y a tout de même quelques variations. Cela tient par exemple au fait que le Valais et le Mont Blanc sont très différents du point de vue lithologique (type de roche) et structural (comment les roches sont agencées). On a donc les mêmes processus mais qui peuvent s’exprimer à des degrés divers. Il semble par exemple que le massif du Mont Blanc soit plus affecté par les écroulements rocheux que le Valais tandis que les chutes de pierres seront peut-être plus fréquentes côté suisse. De la même manière, on n’a quasiment aucun problème avec les glaciers rocheux dans le Mont Blanc (il y en a très peu…) tandis que de nombreux secteurs suisses posent de réels problèmes par rapport à l’accélération/dégradation de ces formes mélangeant blocs rocheux de toutes tailles et glace interstitielle.
MC : Comment vois-tu la pratique de l’alpinisme dans 10 ans ? et à l’horizon 2050 ?
LR : L’alpinisme est en constante évolution depuis ses origines comme depuis son ‘âge d’or’ dans les années 1860. La pratique a évolué du fait de changements sociétaux, techniques, ou encore liés au matériel. Aujourd’hui, le challenge est très élevé avec le changement climatique. L’alpinisme traditionnel qui se pratique surtout l’été est clairement menacé. Mais la plupart des courses continueront à se faire dans 10 ans, mais avec un changement de saisonnalité, à la faveur de bonnes conditions sur des périodes très courtes, et avec une technicité requise souvent supérieure à ce qu’on a connu par le passé. En 2050, l’alpinisme se sera peut-être en partie réinventé en valorisant tout un panel d’activités de montagne comme la via ferrata ou le canyoning même si on s’éloigne de l’alpinisme de nos parents et grands-parents…
MC : Ton séjour scientifique de 5 mois au CIRM vient de se terminer. J’imagine que la collaboration avec les chercheur·e·s du CIRM n’a pas été simple avec le télétravail comme règle ?
LR : Il est certain qu’entre le 15 janvier et début mars, les interactions n’ont pas été très intenses. Mais en tant que « savant invité », j’ai eu la chance de pouvoir revenir assez vite à Bramois. J’en étais très heureux car les conditions de travail étaient parfaites pour faire de « grosses journées au calme ».
MC : Quel bilan tires-tu de ce séjour scientifique ?
LR : Extrêmement positif. Même si je connaissais déjà les collègues avec qui j’ai travaillé ces quelques mois, ce séjour a permis de renforcer les collaborations, d’encadrer ensemble des étudiants suisses et français, et de réfléchir à des projets communs dépassant la seule géomorphologie. Ainsi a-t-on démarré un projet sur les activités récréatives dans l’Espace Mont Blanc ou encore lancé des travaux sur la perception de la société à propos des risques associés au réchauffement du permafrost. Par ailleurs, j’ai beaucoup apprécié le travail de tous les personnels du CIRM.
MC : Envisages-tu de poursuivre ta collaboration avec les chercheur·e·s du CIRM à l’avenir sur de nouveaux projets ?
LR : Bien sûr ! Le fait que Jacques soit en post-doc au CIRM continuera de faciliter les choses. En parallèle, j’apprécie vraiment travailler avec les collègues de l’UNIL et ce qui a été initié durant ces quelques mois trouvera des suites certainement pendant plusieurs années encore. Tant qu’il y aura des glaciers et du permafrost en montagne, les liens entre le CIRM et EDYTEM devront être forts !