Valérie Dupont

Valérie Dupont a occupé le poste de chargée de recherche à la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique (FDCA) de l’Université de Lausanne (UNIL), dans le cadre du Pôle facultaire Environnement et Climat (PEC). Elle a également effectué un post-doctorat à l’UNIL, durant lequel elle a été membre active du CIRM. Elle a notamment contribué à la célébration des 5 ans du CIRM et à la Soirée annuelle des Alumni en 2023.

Interview du 6 juin 2024

 

Jeanne Fournier (JF) : Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a conduite à vous spécialiser en droit de l'environnement ?

Valérie Dupont (VD) : J’ai étudié le droit en Belgique. A la fin des études, on avait la possibilité de suivre des cours à choix. Depuis que je suis toute petite, je fais de l’escalade et du ski, j’adore les sports de nature. J’étais dès lors assez curieuse de suivre le cours proposé en droit de l’environnement. J’ai adoré. J’avais un professeur vraiment passionnant et j’aimais beaucoup la thématique. Ce cours m’a donné envie de me spécialiser et poursuivre une carrière dans ce domaine.  Aimant beaucoup la méthode d’enseignement des écoles de droit américaine, j’ai voulu faire là-bas mon master complémentaire sur le sujet. J'ai ainsi postulé pour une bourse, qui m’a permis de faire un LLM à la George Washington University Law School à Washington DC. Ensuite je suis partie au Brésil, travailler dans des petites ONG environnementales où j’ai eu pour mission de créer des fascicules éducatifs pour les agriculteurs et les populations locales, pour qu’ils soient au courant de leurs droits et de leurs obligations, face à des compagnies minières. C’était passionnant A mon retour en Belgique, j'ai travaillé un an pour l’administration bruxelloise en droit des déchets, avant de faire mon doctorat sur la compensation écologique. Avec ce doctorat, je me suis spécialisée en droit de la biodiversité. Travaillant en droit comparé, j'ai fait beaucoup de séjours de recherche à l'étranger. J’ai en particulier étudié la régulation des banques d’habitat aux États-Unis et en Australie, et analysé les possibilités d’instaurer un mécanisme similaire en droit européen. J’ai terminé mon doctorat en 2019, puis j’ai eu l’occasion de faire un premier postdoctorat à l’Université Laval, au Québec, sur la protection des zones humides. J'ai fait une étude assez large sur les outils juridiques qui peuvent être sollicités pour la conservation de ces zones.

Je viens en Suisse depuis que je suis toute petite, et c’est un endroit où j’avais très envie d’un jour travailler et m’installer. J’ai donc sauté sur l’occasion quand j’ai eu une opportunité de faire un postdoctorat à l’Université de Lausanne.  Dans le cadre de la création, il y a maintenant trois ans, du Pôle Environnement et Climat (PEC) de la FDCA, la faculté a développé un projet de recherche, et dégagé des fonds pour engager une postdoctorante ou un postdoctorant pendant deux ans. Une collègue qui travaillait à l’UNIL m’a transféré l’offre. Cela tombait bien, car j’arrivais à la fin de mon postdoc précédent, au Canada. J'ai postulé et j'ai eu la chance de l'obtenir. Je suis ainsi arrivée il y a un peu plus de deux ans pour faire un postdoctorat au PEC. Pas du tout sur des questions de montagne, c'était sur les limites planétaires et les quotas environnementaux . C’est un sujet qui était prédéfini par les directeurs du PEC. Mais comme je rêvais de travailler sur les écosystèmes de montagne, j’en ai tout de suite parlé à Thierry Largey, qui m’a parlé du CIRM. Et c’est dans le cadre des 5 ans du CIRM que j’ai vraiment commencé à interagir avec le CIRM.

 

JF : Qu’est-ce que le CIRM vous a apporté, notamment pendant votre post-doctorat à l’Université de Lausanne ?

VD : C’est grâce aux événements du CIRM, auxquels j’ai participé, que des liens se sont créés. Participer à ces activités, les 5 ans du CIRM et la soirée des Alumni, m’a permis de connaître les chercheurs du CIRM et d'échanger avec eux. Dans ces événements, j’apportais l’angle juridique dans des contextes interdisciplinaires. Ça m’a ouvert à une communauté et à un réseau. Il y a aussi des conférences qui sont organisées par le CIRM, dont une sur la gestion du tourisme qui m’avait beaucoup intéressée, surtout que je travaille sur la question des quotas.

 

JF : Quels sont les principaux axes de recherche que vous poursuivez actuellement ?

VD : Comme dit précédemment, je travaille depuis deux ans sur les limites planétaires et les quotas environnementaux. Nous étudions la possibilité de faire respecter les limites planétaires au moyen d’un système de quotas environnementaux, à décliner à différentes échelles de gouvernance. Nous avons identifié les caractéristiques principales des quotas et avons proposé une typologie ainsi qu’un idéal-type, pour ensuite comparer le cadre international relatif au changement climatique et à la biodiversité à cet idéal-type de quotas environnementaux. J’ai aussi été amenée à travailler sur la « Stratégie Sol Suisse », qui vise à stopper l’artificialisation du sol. Cette stratégie voudrait qu’à l’horizon 2050, la Suisse arrive à zéro consommation nette de sol. Pour les juristes, il est intéressant d’étudier les moyens de la mise en œuvre de cette stratégie et de la comparer aux autres législations et stratégies en Europe. Pour atteindre un niveau d’artificialisation du sol qui soit optimal en termes d’impact de l’activité humaine sur la ressource sol, il faut par ailleurs établir des trajectoires. Ce qui est intéressant avec cette « Stratégie Sol Suisse », c’est qu’elle sort d’un rapport purement mathématique entre surfaces artificialisées et désartificialisées, comme en France, pour intégrer la qualité du sol. On se rend compte qu’une protection quantitative du sol n’a de sens que si elle est associée à une protection qualitative. Ce sur quoi on travaille à l’heure actuelle, c’est donc l’intégration de la qualité du sol dans les décisions d’aménagement du territoire.

Enfin, étant spécialisée en droit de la biodiversité, je me suis également intéressée aux réseaux écologiques et sur comment encadrer juridiquement et garantir la fonctionnalité de l’infrastructure écologique en Suisse. Comme je voulais rester à plus long terme à l’UNIL, j’ai proposé un Starting grant au FNS sur ce sujet-là et j’en ai profité pour écrire un article sur ce sujet. Je n’ai jamais travaillé directement et uniquement sur les régions de montagne, mais j’ai beaucoup d’idées de recherche sur ce sujet.

 

JF : Quels sont les principaux enjeux auxquels font face les régions de montagne du point de vue du droit ? Et quelle contribution la recherche en droit de l'environnement peut-elle apporter face aux défis auxquels sont confrontés ces territoires ?

VD : En lien avec les réseaux écologiques, il y a la question de la protection des zones de montagne. Historiquement, ces zones étaient peu protégées car elles étaient relativement inaccessibles. Mais avec l’augmentation des usages de la montagne, la question de la protection se pose. Il s’agit notamment de développer des aires protégées en montagne et de renforcer la protection des aires existantes.

Le changement climatique a aussi une influence. Avec ce changement, les aires protégées ne sont plus spécialement adéquates pour la biodiversité de demain. L’aire de répartition des espèces évolue avec le changement climatique, les espèces migrent vers de nouvelles zones. La localisation de certaines aires protégées n’est donc plus adaptée. Aujourd’hui, le droit n’est plus en adéquation avec ces questions, car il est très statique. Il y a donc toute une question de « flexibilisation » du droit, pour prendre en compte l’évolution de l’aire de répartition des espèces. Ces éléments peuvent être anticipés, par la mise en place de zones de réserve sur la base des projections scientifiques. Le droit devrait être plus flexible pour une adaptation de la protection au jour le jour, mais c’est très difficile, car il y a aussi d’autres usages et des droits acquis qui existent également.

Il y a aussi toute la question des nouveaux sites. Par exemple avec le retrait des glaciers, de nouvelles marges proglaciaires pourraient être très intéressantes en termes de biodiversité. Celles-ci ne bénéficient généralement pas encore d’un statut de protection particulier, à moins d’une mise à jour des inventaires de protection. Elles peuvent tout de même être protégées en tant que biotopes dignes d’intérêt si, par exemple, elles contiennent des espèces de la flore et de la faune protégées. On peut également citer les questions de déprise agricole et de gestion des usages. La perte de certaines pratiques agricoles peut entraîner une perte de la biodiversité. Dans ce cas, le droit pourrait venir jouer un rôle sur la mise en place d’une gestion environnementale des zones agricoles et le maintien de certaines pratiques agricoles, en tant que services environnementaux. Les usages de la montagne augmentent et se diversifient aussi, il s’agit donc de mettre en place des mesures pour gérer d’éventuels conflits d’usages, par exemple par la mise en place de quotas de visite.

Ce sont des questions qu’il faudrait anticiper. Le temps du droit est effectivement lent, mais il permet aussi une anticipation. Des chercheurs travaillent d’ailleurs sur les différentes règles de droit qui peuvent être actionnées dans ces différentes circonstances.

 

JF : Pouvez-vous nous expliquer comment vous collaborez avec les spécialistes d’autres disciplines, notamment en ce qui concerne les enjeux de durabilité dans les territoires de montagne ?

VD : Dans mon travail, je pars de principes écologiques et je cherche à savoir comment les traduire en droit. Par exemple, à l’heure actuelle, les biotopes d’importance nationale ne sont pas suffisamment  représentatifs de la biodiversité en Suisse. La question est donc de savoir comment on pourrait renforcer cette représentativité à travers le droit pour que ce soit effectivement le cas en pratique. Par ailleurs, souvent, le droit se focalise sur les aires qui sont très prestigieuses au niveau de la biodiversité, mais beaucoup moins sur la fonctionnalité de ces aires. Le droit n’a pas été conçu pour ça, mais il existe tout de même quelques textes juridiques qui permettent d’appréhender cette fonctionnalité, cette idée de connectivité. Il faut parfois réinterpréter des dispositions juridiques qui datent des années 80-90, en fonction des connaissances actuelles.

Aussi, il est très difficile pour les juristes d’évaluer l’efficacité d’une norme environnementale, car nous ne sommes pas outillés pour ce faire. Une situation de fait est par ailleurs souvent multifactorielle. Par contre, en s’inspirant des travaux d’autres disciplines, on peut comprendre quel est le problème de base et analyser si la norme est adéquate ou non. Que ce soit dans la pesée des intérêts de l’aménagement du territoire, la définition des zones de protection ou la réalisation de plans d’action pour les espèces, le travail est principalement non-juridique. Il faut identifier et cartographier les enjeux, avant de pouvoir les traduire en mesures de protection sur le terrain. Mais pour cela, il faut souvent passer par des outils juridiques. Il y a donc une interaction continue avec d’autres disciplines. Dans mes projets de recherche, je fais beaucoup d’interdisciplinaire, parce que j’utilise les critères écologiques comme cadre d'analyse externe du droit. Dans le cadre des compensations écologiques par exemple, les critères sont développés par des écologistes et il s’agit ensuite de savoir comment cela peut se traduire en principes de droit et comment ces principes peuvent ensuite être respectés dans les décisions. Le droit joue un rôle d’intégration. Un des axes que je voulais développer dans mon Starting grant  c'était justement de trouver des méthodologies qui permettent de faciliter l'interdisciplinarité entre le droit et les autres disciplines, notamment co-écrire des articles et faire de la recherche ensemble. Pour le moment, ça se fait un peu de manière indirecte, ou non structurée. Mais cela se fait de plus en plus.

Dans beaucoup de recherches, le droit permet de fixer le cadre. Il y a ainsi une plus-value à impliquer les juristes, même si la recherche n’est pas juridique en tant que telle. Beaucoup de choses sont liées au droit. Dans la régulation des usages, par exemple, dans la protection, le droit est de plus en plus présent. Dans les questions de changement climatique ou de protection de la biodiversité, le droit est aussi nécessaire, tout comme dans les questions d’usages ou d’aménagement du territoire. Le droit doit aussi pouvoir aller dans le sens de l’évolution scientifique, ce que montre déjà la recherche juridique. 

 

JF : Qu'est-ce qui vous motive au quotidien dans votre travail de recherche et d'enseignement ? 

VD : Le droit est lié à tout. Même si ce ne sont pas des questions juridiques à proprement parler, le droit vient interagir avec d’autres domaines. Ce qui me passionne, c’est la variété des domaines à traiter et de travailler sur un domaine qui me touche à titre individuel. D’ailleurs, je veux orienter mes recherches sur la montagne, car j’ai des connexions personnelles avec ce milieu. C’est un milieu qui me passionne. Travailler sur des objets d’étude qui me touchent personnellement et des éléments très concrets, c’est très motivant.

Actuellement, je donne des cours à l’Université catholique de Louvain et à l’Université Savoie Mont Blanc, en tant que chargée de cours invitée. Dans l’enseignement, ce qui me motive, c’est de susciter l’intérêt de mes étudiants. Pour les étudiants non-juristes, qu’ils comprennent la pertinence et l’utilité du droit. Pour les juristes, qu’ils comprennent le fonctionnement du droit de l’environnement, qui est une sorte de niche du droit et qui est très différent des autres disciplines juridiques.

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