Emmanuel Reynard

Emmanuel Reynard est professeur ordinaire de géographie physique à l'Université de Lausanne depuis 2005. Il a assumé la direction de l’Institut de géographie (IGUL) entre 2008 et 2012, puis de l’Institut de géographie et durabilité (IGD) de 2012 à 2016. Par la suite, il a dirigé le Centre interdisciplinaire de recherche sur la montagne (CIRM) de 2018 à 2024.

Interview du 6 janvier 2025

 

Jeanne Fournier (JF) : Quelles motivations ont conduit à la création du CIRM, et quels étaient les objectifs initiaux pour ce centre ?

Emmanuel Reynard (ER) : La création du CIRM s’est inscrite dans l’objectif de la précédente Direction de l’UNIL de renforcer l’interdisciplinarité au sein de notre université. Au printemps 2017, j’ai été sollicité par le Doyen de la FGSE de l’époque, le Prof. René Véron, pour mettre sur pied un centre interdisciplinaire sur la montagne. Un tel centre devait prendre le relais d’une initiative facultaire développée au cours des précédentes années, le projet RechAlp, coordonné par le Prof. Antoine Guisan et qui se concentrait sur les Alpes vaudoises. Nous avons ainsi conservé les acquis de RechAlp – notamment la concentration des travaux dans les Alpes vaudoises, la volonté de développer des approches interdisciplinaires, le travail avec les acteurs du territoire, les actions de médiation scientifique regroupées sous le label InAlpe – tout en l’élargissant du point de vue géographique (en ouvrant le périmètre d’action aux Alpes valaisannes, puis plus tard au Jura vaudois), thématique (en élargissant les champs disciplinaires concernés) et institutionnel (en mobilisant cinq, puis six facultés).

Les objectifs étaient ceux que nous poursuivons encore actuellement : créer une communauté interdisciplinaire de chercheuses et de chercheurs travaillant sur les montagnes au sein de l’UNIL, développer des projets de recherche en collaboration avec des acteurs des territoires de montagne (recherche transdisciplinaire) et mettre sur pied un programme de médiation scientifique dans ces territoires.

 

JF : Selon toi, quel rôle joue le CIRM au sein de l’UNIL, et quelle est sa contribution spécifique à la recherche sur la montagne ?

ER : Le CIRM n’est de loin pas la seule entité s’occupant de recherches sur les montagnes à l’UNIL. En particulier au sein de la FGSE, de nombreuses équipes mènent des recherches de pointe sur les montagnes, notamment du point de vue environnemental. La plus-value du CIRM est la promotion de la recherche inter- et transdisciplinaire, dans toutes ses activités. En cela, nous répondons à l’objectif initial de la Direction de l’UNIL qui était de développer des actions concrètes d’opérationnalisation du concept d’interdisciplinarité. Nous voulons aussi nous situer non seulement au carrefour des disciplines mais aussi à l’interface entre l’université et la société. Nous nous voyons comme un maillon de transmission – dans les deux sens – entre le monde académique et les territoires et sociétés de montagne. Pour cela, nous avons développé un gros réseau de partenaires comprenant 25 partenaires régionaux et sept partenaires internationaux. Ce réseau joue un effet de levier dans le renforcement des liens entre l’Université et la société. C’est une richesse que nous essayons de faire fructifier par l’organisation de nombreuses activités communes. 

 

JF : Parmi les réalisations du CIRM, lesquelles te tiennent particulièrement à cœur, et pour quelles raisons ?

ER : Après six ans de direction du CIRM, il y en aurait beaucoup à mentionner. J’en retiens quatre qui me semblent particulièrement éclairantes sur la philosophie du CIRM. La première est le programme Seed funding. Ce programme de soutien annuel à des projets interdisciplinaires avait pour objectif de donner un « coup de pouce » initial – par exemple pour créer l’équipe, pour rédiger un projet à soumettre à un organe de financement ­– à des équipes de chercheur·es afin de développer une idée. L’évaluation menée par Iago Otero sur les 15 projets financés entre 2019 et 2022 a permis de tirer un bilan très positif de ce programme : le retour sur investissement moyen est de CHF 4,60 pour chaque franc investi et l’UNIL a en particulier pu obtenir, grâce à ce soutien initial, deux projets interdisciplinaires financés par le FNS, HutObsTour, sur les transitions touristiques dans les refuges de montagne, et ComMount, sur les nouveaux communs de montagne.

Le deuxième est la progressive organisation du programme de recherche, qui est passé d’une approche très ouverte, au début, organisée autour de 9 thématiques, permettant à tout un chacun de trouver sa place au sein du CIRM, à une approche plus « dirigée », actuellement, organisée autour de la thématique générale du « bien vivre en montagne ». Ce thème, qui mobilise autant des compétences en sciences naturelles (par ex. sur le climat et les changements environnementaux) qu’en sciences humaines et sociales (par ex. les questions de vieillissement, les changements socio-économiques) et qu’en sciences de la santé, est inclusif (pouvant intéresser plusieurs facultés) tout en donnant une certaine identité au CIRM.

La troisième réalisation est constituée par l’ensemble des actions visant à renforcer le travail transdisciplinaire. Cela est passé par la mise sur pied du réseau de partenaires, dont j’ai parlé ci-dessus, soutenu par tous les efforts des trois chargé·es de projet du CIRM, Mélanie Clivaz, Jeanne Fournier et Iago Otero, pour le faire vivre. Nous avons également mis sur pied plusieurs actions d’envergure. Je pense notamment au « Mois du paysage dans le Val d’Hérens » en 2020, à l’action interdisciplinaire « Les séismes de 1946. Se souvenir pour se préparer au prochain tremblement de terre » en 2021 ou encore au projet de sciences participatives « Val d’Hérens 1950/2050 », initié en 2021. Je relève aussi les très nombreuses conférences et autres activités de médiation scientifique organisées dans les communes des territoires d’action du CIRM. Cela a permis de faire connaître le CIRM auprès d’un large public, en particulier les populations des vallées de montagne assez éloignées des centres universitaires et qui apprécient que « l’université se déplace chez eux ».

Enfin, je relève l’activité d’enseignement. Même si cela n’était pas un objectif initial, les collaborations avec plusieurs programmes d’études en FGSE et en Faculté des lettres ont permis de mettre sur pied des activités didactiques intéressantes. Le cours de bachelor « Le paysage au prisme des disciplines », mis sur pied conjointement par le Centre des sciences historiques de la culture (lettres) et le CIRM, fêtera sa cinquième édition en automne 2025. Depuis trois ans, le CIRM prend une part active au cours « Projet tutoré » du master de géographie. Le cours a pour objectif de mettre les étudiant·es en situation de mener un projet sur une thématique de montagne, en collaboration avec les partenaires du CIRM. La première volée a ainsi organisé la fête des cinq ans du CIRM. Les volées suivantes ont collaboré à des projets avec la Maison des Alpes, le Parc Gruyère Pays-d’Enhaut, le CREPA et le Musée des Ormonts, tous partenaires du CIRM. C’est une manière de faire fructifier le réseau de partenaires, tout en permettant aux étudiant·es de se confronter aux réalités des acteurs du territoire. Depuis 2024, le CIRM est également engagé dans le Blended Intensive Program (BIP) TRANSMOUNT, dans le cadre de l’Alliance CIVIS, en collaboration avec les universités de Bucarest, Aix-Marseille et Athènes. C’est une nouvelle étape dans le renforcement des enseignements sur la montagne au sein de notre université, en y ajoutant une composante internationale.

 

JF : Après avoir dirigé le CIRM pendant six ans, tu entames un congé académique de six mois. Quels sont tes projets pour cette période ?

ER : Je vais surtout m’atteler à la rédaction d’un livre sur la gouvernance du château d’eau helvétique. Les questions de gestion de l’eau étaient déjà au cœur de ma thèse de doctorat, soutenue en 2000, et depuis, j’ai mené de nombreuses activités d’enseignement et de recherche sur cette thématique. Avec la recrudescence d’années sèches au cours de la dernière décennie, la Suisse semble découvrir sa vulnérabilité en matière de ressources en eau. Il me semble que c’est le bon moment pour écrire un ouvrage de synthèse promouvant une approche holistique de la gestion des eaux… que j’appelais déjà de mes vœux il y a 25 ans. Je vais aussi coordonner deux ouvrages collectifs issus d’activités du CIRM : un ouvrage de synthèse sur le Val d’Hérens (que je coéditerai avec Laine Chanteloup) et le quatrième ouvrage de synthèse « Mémoires du Rhône », qui réunira les contributions au colloque « Le Rhône, frontière et trait d’union », que le CIRM avait co-organisé en septembre dernier.

 

JF : Quels défis majeurs et opportunités importantes vois-tu pour le CIRM dans les années à venir ?

ER : Le défi principal sera la pérennisation du centre au-delà de 2026. Parmi les opportunités, je vois surtout le développement du CIRM au niveau international.

 

JF : As-tu un message particulier à adresser à tes successeurs et aux chercheur·es associés au CIRM ?

ER : Je remercie Grégory Quin et Laine Chanteloup d’avoir accepté de prendre la direction du CIRM. Après la phase de développement de ces six dernières années, ils ont la lourde de tâche de pérenniser le centre. Bon vent à eux deux. De manière plus générale, j’espère que le travail au sein du CIRM continuera avec le même enthousiasme que jusqu’ici, qui m’a beaucoup apporté, tant sur le plan professionnel que personnel.

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