Laine Chanteloup est professeure assistante en géographie des ressources de montagne à l'Institut de géographie et durabilité depuis octobre 2019. Spécialiste des relations humains-animaux dans les régions de montagne et arctiques, elle nous reçoit en ligne depuis sa maison familiale en France.
Entretien du 8 mai 2020.
Coordinateur CIRM (CC) : En regardant les images de la faune sauvage occupant les villes, il semble que le confinement dû au Covid-19 a changé les relations entre nous et nos voisins animaux. Ou bien pas ?
Laine Chanteloup (LC) : Le confinement a bien sûr réduit les activités humaines. Les animaux en profitent donc pour « réoccuper » certains lieux où il n’y a plus ou une moindre circulation humaine. De toute façon, avant le confinement, il y avait aussi pas mal d'activités animales en ville, sauf que les animaux étaient moins visibles. Par exemple, les renards sont régulièrement en ville et on entend parfois à la radio le fait que des chevreuils ou sangliers sont vus en ville. De même, un programme de suivi du loup a par exemple montré qu'un individu était allé des Alpes italiennes aux Pyrénées espagnoles en passant sur son trajet par des bassins de populations très peuplés comme la région lyonnaise. Avec le confinement, le nombre d'animaux en ville a donc augmenté et les accidents se sont réduits. Mais c'est difficile à dire si les relations humains-animaux, en général, ont vraiment changé, car il n’y a pas eu forcément plus d’interactions étant donné que les humains étaient confinés ; les animaux ont juste eu des accès facilités à des territoires vidés d’humains.
CC : Une des sources de pression sur la faune est celle des sports de nature. Tu as un projet de recherche là-dessus dans les Alpes françaises. Qu'est-ce que vous avez trouvé ?
LC : Le projet constate une forte fréquentation des zones de montagne tout au long de l’année. Le ski de randonnée, les promenades en raquette, le trail, la randonnée, la chasse... occupent des espaces non aménagés, où il y avait avant majoritairement des animaux de montagne et seulement quelques pratiques humaines, comme le pastoralisme, selon les périodes de l’année. Mais aujourd’hui, les sports de nature amènent une autre pression sur le milieu. Le projet veut mieux comprendre ces interactions : il se focalise sur les perceptions humaines des animaux, la conscience ou non d’un possible dérangement et, en retour, il regarde comment les animaux réagissent ou non à cette présence humaine. En France, le confinement, en interdisant toutes les activités en montagne, a clairement réduit la pression sur les territoires de montagne, notamment pour le ski de randonnée. Quelques espèces ont pu en bénéficier, comme par exemple les tétras-lyres, animaux particulièrement sensibles à cette activité.
CC : Dans tes travaux, tu parles d'espaces partagés entre animaux et humains. L'étude de ces espaces t'amène à des approches interdisciplinaires croisant les sciences humaines et sociales et les sciences environnementales, notamment l’écologie. Quelle place ce type de travaux a dans le CIRM ?
LC : Je pense que c’est le genre de travaux que souhaite promouvoir le CIRM. Dans le projet actuel mené sur les sports de nature, il y a des chercheur·es relevant principalement des sciences humaines et sociales qui étudient les pratiques sportives, les sportifs et leur mobilité, la manière dont les animaux sont perçus, la place qu’ils ont dans les représentations paysagères. Mais il y a aussi des chercheur·es en écologie qui étudient la mobilité des animaux et leur comportement face au dérangement produit par l’activité humaine pour les ongulés, comme le chamois, et pour les marmottes. La coopération entre sciences humaines et sociales et écologie permet de mieux comprendre les interactions entre sports de nature et faune sauvage. Le CIRM est tout à fait un laboratoire pour ce type de projet. Mais le montage de programmes interdisciplinaires dépend de différents facteurs : des compétences de chacun, des réseaux présents, du temps à accorder à de nouveaux projets… Un projet se concrétise en fonction des compétences du réseau qu’on arrive à mobiliser. Au sein du CIRM par exemple, j’ai été contactée par une collègue historienne qui souhaite monter un programme interdisciplinaire autour des sons dans les Alpes. C’est un bon objet d'étude pour un regard croisé entre géographes, historiens et écologues.
CC : Est-ce que le projet sur les sports de nature aboutira sur des mesures concrètes avec les gestionnaires ?
LC : Le but ultime du programme de recherche est en effet l’aide à la décision pour les gestionnaires des espaces naturels et la sensibilisation du public. Dans ce cens, le projet a été construit avec différents gestionnaires partenaires comme le Parc naturel régional des Bauges, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et le Parc national de la Vanoise. Par exemple, une doctorante travaillant sur le projet a réalisé des focus groups avec différents pratiquants de sports de nature sur le dérangement de la faune pour discuter de l’acceptabilité ou non de certaines mesures permettant de mieux gérer les sports de nature. Le projet prévoit également la mise en œuvre d’un serious game permettant une meilleure sensibilisation du public face aux enjeux que posent les sports de nature à la faune sauvage de montagne.
CC : Tu peux apporter beaucoup au CIRM. Mais qu'est-ce que le CIRM t'apporte à toi ?
LC : C'est un peu tôt pour le dire. Mais il m'apporte un grand réseau de recherche où je peux trouver des partenaires pour monter des projets. Le CIRM permet d'identifier très rapidement des personnes qui veulent travailler d'une manière interdisciplinaire. En plus, les séminaires organisés par le CIRM m'amènent une ouverture intellectuelle vers d'autres thématiques et cultures scientifiques, ce qui est fondamental lorsqu’on souhaite travailler et développer l'interdisciplinarité. Finalement, il me donne aussi la possibilité de m'intégrer dans les territoires de montagne suisses tout en étendant mes partenariats, jusqu'à présent limités aux terrains de montagne français et à certains terrains en Arctique.
CC : Tu utilises des techniques de recherche audiovisuelle. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
LC : Avec deux collègues géographes, nous faisons des ateliers vidéo avec des adolescent·es du Nunavik, au nord du Québec au Canada. Ces ateliers nous permettent de travailler autour de nuna, qui est le mot inuit qui signifie territoire ou paysage. Les adolescents réalisent un film pendant une semaine et cela nous permet d’explorer leur rapport à l’environnement. Notre rôle se limite à encadrer l’atelier et montrant quelques techniques cinématographiques, mais ce sont eux qui réalisent totalement le court métrage de leur choix : ils filment, font des entretiens, la musique, la narration, etc.
CC : En raison du confinement, l’UNIL a dû adapter ses activités de recherche et d’enseignement en utilisant les technologies audiovisuelles en ligne. Comment cela se passe-t-il pour toi ?
LC : On a vu qu’il était possible de continuer à travailler et que l’ensemble de nos activités d’enseignement et de recherche peuvent en grande partie se réaliser. Toutefois, l’enseignement reste plus compliqué sans le contact direct. La recherche confinée est limitée au travail bibliographique et à retravailler des données de terrain déjà acquises. Peut-être allons-nous commencer à faire des entretiens par visioconférence mais ces outils ne peuvent pas tout remplacer ; le rapport humain reste au cœur de notre métier. Par exemple, la présentation de résultats de recherche peut très bien passer par visio à une conférence organisée à l’autre bout du monde, mais on a aussi besoin de la pause-café ou des repas pour tous les moments de discussion autour de résultats ou pour faire émerger de nouveaux projets.