Jean-Luc Epard
Jean-Luc Epard est professeur associé à l’Institut des sciences de la Terre (ISTE) de la Faculté des géosciences et de l’environnement. Ses recherches portent principalement sur la géologie structurale et la géologie alpine.
Entretien du 1 mars 2022
Mélanie Clivaz (MC) : Qu’est-ce qui t’a amené à devenir géologue ?
Jean-Luc Epard (JLE) : Comme de nombreux gamins, j’imagine, j’ai récolté des cailloux le long des chemins. Plus tard j’ai eu l’occasion d’exposer ma « collection » dans une vitrine de la salle de science du collège de Nyon. Je me souviens aussi d’avoir fait un exposé sur le pétrole. Il y a eu peut-être aussi l’influence d’un professeur du collège qui avait fait un cours sur la géologie de l’Alsace. Mais les informations que je pouvais obtenir sur les roches et la géologie étaient bien lacunaires à l’époque. Le choix de cette branche d’étude à l’université a été dicté par mon goût pour les sciences naturelles et par le fait que les sciences de la Terre faisaient aussi appel aux sciences physiques, chimiques et mathématiques. C’était une formation qui me paraissait très large. Ce n’est pas un intérêt particulier pour la montagne qui est à l’origine de mon choix. Mon attrait pour les montagnes est apparu durant mes études de géologie et s’est encore renforcé par la suite.
MC : En tant que spécialiste de la géologie structurale et de la géologie alpine, quels sont tes axes de recherche ?
JLE : Je m’intéresse aux processus de formation des chaînes de montagnes. Pour cela, j’étudie la nature des roches, leur répartition, leur âge et l’histoire de leurs transformations dans les Alpes et l’Himalaya. Je vais ainsi sur le terrain faire de la cartographie géologique et divers autres relevés. Je collecte des échantillons pour étudier leur structure que cela soit macroscopiquement ou au microscope. L’étude des processus de déformation des roches est l’un de mes axes de recherche qui comprend l’examen des structures formées à différentes échelles. La structure des nappes tectoniques à l’échelle plurikilométrique, la formation des plis et des failles à l’échelle kilométrique et les structures, visibles dans un affleurement ou un échantillon sont au cœur de ma recherche. Je laisse à d’autres l’étude des processus géodynamiques à l’échelle de la croûte terrestre ou les transformations à l’échelle des cristaux constitutifs des roches.
MC : Quels sont les produits de tes recherches?
JLE : Les produits de ma recherche visent à partager le résultat de mes études, que cela soit avec la communauté scientifique spécialisée par des publications, ou avec les étudiants au travers de mes cours. En fait, il s’agit d’une production qui se fait principalement par le truchement du travail de mes doctorants à l’heure actuelle. J’attache une valeur particulière à la communication des données de base; pour moi il s’agit en priorité de la production de cartes géologiques. Le développement des canaux de publication en Open Access de documents cartographiques est une évolution particulièrement positive. La mise à disposition de ces documents est essentielle, en particulier pour les chercheuses et les chercheurs qui n’ont que difficilement accès aux publications des grands éditeurs commerciaux. La production de cartes demande un effort important qui n’est toutefois pas toujours reconnu par la communauté scientifique.
MC : As-tu l’occasion de mener des projets interdisciplinaires en géologie ?
JLE : Tout dépend de la définition et des limites que l’on met à la discipline « géologie ». Mais à l’heure actuelle, je considère que je mène des recherches purement disciplinaires. Cela étant dit, il n’est pas envisageable de mener des recherches telles que les miennes sans une collaboration étroite avec d’autres disciplines des sciences de la Terre. Les collaborations avec les collègues, principalement de l’ISTE et de l’IDYST, sont pour moi indispensables.
Mon attrait pour les sciences naturelles me pousse aussi à mettre mes compétences au service d’autres disciplines. J’ai collaboré à une étude impliquant un inventaire des lichens sur les blocs erratiques appartenant à la Société Vaudoise des Sciences Naturelles. Je collabore aussi avec un groupe d’archéologues travaillant au Ladakh. Il s’agit d’études qu’on pourrait qualifier de pluridisciplinaires (et non interdisciplinaires). J’essaie de ne pas m’aventurer hors de ce que je considère comme mon domaine de compétence disciplinaire.
MC : Tes terrains d’études sont également en Himalaya et dans les montagnes du Sud. Peux-tu nous en dire plus sur la recherche en montagne dans ces régions ?
JLE : L’étude de l’Himalaya offre un point de comparaison important pour le géologue alpin. Les similitudes entre ces deux chaînes de montagnes permettent de cerner certains principes généraux alors que les différences impliquent une meilleure compréhension du détail des processus. Similarités et différences entre les deux chaînes de montagnes sont donc toutes deux porteuses d’information. Mon intérêt et mon affection pour la région du Ladakh est aussi un moteur important. Je suis très attaché à cette région que j’apprécie de parcourir en trek, hors des voies de communications habituelles. Pour moi, une géologie de bord de route, en jeep, ne revêt pas le même intérêt que de tenter des parcours plus difficiles, souvent mal connus des géologues, en étant coupé de la civilisation durant plusieurs semaines. Les expéditions réalisées en Himalaya ne m’empêchent pas non plus d’apprécier la géologie des Alpes suisses, valaisannes et vaudoises particulièrement, plus faciles d’accès.
MC : Tu as eu l’occasion d’animer une excursion dans le Vallon de Réchy dans le cadre du cycle d’événements "Montagne et Société" du CIRM ; est-il facile d’expliquer la géologie d’un lieu à un public non-initié ?
JLE : Oui, je pense que c’est facile. Durant cette excursion, j’ai pu constater qu’il y a un fort intérêt pour la géologie dans la population, mais également une grande méconnaissance du public. J’ai pu aussi faire ce constat durant des excursions « grand public » que j’ai pu guider en d’autres occasions (par exemple dans le cadre de la Société Vaudoise des Sciences Naturelles). Je suis contre une vulgarisation qui viserait à trop simplifier les processus géologiques. L’effort doit porter sur le choix du vocabulaire utilisé en évitant les termes techniques ou en les expliquant avec des mots du langage courant. Le public n’est pas stupide, il est capable de comprendre des processus complexes si on prend le temps de les expliquer. Il est important aussi d’expliquer la démarche scientifique suivie : comment arrive-t-on à une conclusion, sur la base de quels arguments ou de quelles observations. C’est une démarche que j’adopte aussi dans certains de mes cours à l’université.
MC : Qu’est-ce que le CIRM apporte à tes recherches ?
JLE : J’aimerais inverser la question : que puis-je apporter au CIRM ? Je me considère plutôt comme un chercheur disciplinaire. Le CIRM ne représente donc pas pour moi une ressource indispensable à mes recherches. Je ne vais pas initier des recherches interdisciplinaires, je pense que je n’en ai pas la compétence. Cependant, je suis parfaitement disposé à collaborer à des recherches mises sous la bannière du CIRM pour y apporter une contribution disciplinaire. On peut aussi penser que le CIRM abrite non seulement des recherches interdisciplinaires, mais également pluridisciplinaires. Le CIRM est le lieu de rencontre des chercheurs spécialistes de plusieurs disciplines, sciences de la Terre et sciences sociales ou humaines, rassemblés autour du thème de la montagne ou d’une région comme les Alpes valaisannes. En ce qui me concerne, cette rencontre ne s’est pas encore faite, mais je garde espoir…
MC : À l’avenir, quelles contributions des géologues au CIRM verrais-tu ?
JLE : Cela dépend probablement de la recherche effectuée. Certains sujets sont plus naturellement susceptibles d’offrir des interfaces interdisciplinaires. Je pense entre autres à la thématique des tremblements de Terre. L’implication des géologues dans le CIRM dépend aussi grandement de la personnalité et de l’intérêt des chercheurs. Le développement d’une collaboration dans une recherche interdisciplinaire dépend, selon moi, principalement des personnes et particulièrement de leurs affinités réciproques (cela ne se commande pas !). Dans un deuxième temps, la collaboration peut se cristalliser autour un thème ou d’une région. Je me réjouis de faire mieux connaissance des différents membres du CIRM, en présentiel et non au travers de sessions zoom. J’espère que l’alchimie des relations sociales pourra opérer !