Responsable: Patrick Clastres
Assurément, les échanges sportifs internationaux ne fonctionnent pas comme les autres types d’échanges et de consommation culturels (musique, cinéma et arts visuels, littératures, gastronomie…). Imagine-t-on en effet des fédérations internationales de musique classique ou de jazz, de théâtre ou de poésie ? La singularité du sport tient aussi largement au fait qu’il produit des vainqueurs et des vaincus et que les compétitions mettent en scène des corps s’affrontant, symboliquement, mais parfois aussi de manière violente, devant des milliards de spectateurs. Comme l’ont brillamment exprimé Bob Edelman et Christopher Young dans The whole world was watching (Stanford University Press, 2020), le sport représente bel et bien « l’outil d’influence et de persuasion qui est à la fois le plus agressif et le plus lénifiant ».
Mais le sport est-il aussi aisé à manipuler ? Est-il vraiment efficace ? Ne peut-il pas représenter un risque ? Quelles sont les forces en présence ? Que peut nous apprendre l’histoire et quels sont les enjeux présents et futurs ? Notre ambition est de décrypter la géopolitique du sport tant en identifiant les logiques d’acteurs aux échelles nationales, internationales et transnationales qu’en combinant les approches de longue durée avec l’actualité la plus vive.
Depuis la fin du XIXe siècle, le nombre va croissant des États qui tentent de diffuser leurs cultures sportives, de démontrer la supériorité de leurs institutions et de leurs modèles politiques, économiques et culturels en capitalisant sur les victoires de leurs athlètes. Depuis longtemps aussi, ils cherchent aussi à organiser des méga-événements à des fins de prestige et de reconnaissance internationales, à soutenir leurs entreprises impliquées dans l’économie du sport et les médias, et même à prendre le contrôle des organisations sportives internationales.
Or, ces dernières revendiquent à corps et à cris leur autonomie. Apparues à compter des années 1880, elles prétendent gérer leur propre planète sportive en s’appuyant sur un discours de neutralité diplomatique et d’apolitisme. Face aux menées des États et des idéologies dans les années 1920 et 1930, elles ont opposé l’adage devenu populaire selon lequel « on ne mélange pas le sport et la politique ». Quant au Comité international olympique, depuis sa fondation en 1894, il prétend occuper une position hégémonique. Il s’appuie pour cela sur l’indépendance et le cosmopolitisme de ses membres que favoriserait le principe de cooptation, sur une posture éthique résumée dans l’idéologie olympique, et sur un système de redistribution vers les FIS de l’argent généré par les jeux olympiques qu’il a mis en place dans les années 1980.
Mais la planète des sports ne se résume pas à l’orbe olympique. D’une part, certaines FIS ne souhaitent pas intégrer le programme des jeux olympiques. D’autre part, il existe des formes alternatives d’organisation sportive à l’échelle du monde qui ont pu concurrencer le CIO et qui continuent à le concurrencer : sport féminin, universitaire, fasciste, socialiste et communiste (Spartakiades), juif (Macchabiades), militaire, tiers-mondiste (GANEFO), des nations autochtones… C’est sans compter surtout avec le système économiquement puissant des ligues professionnelles fermées, d’abord constituées aux États-Unis, mais qui se diffusent dorénavant dans le monde de manière accélérée.
Dans ce jeu déjà complexe, il faut compter avec des acteurs longtemps discrets mais qui forcent leur voix à l’ère des réseaux sociaux au point de déstabiliser l’architecture du mouvement olympique : les athlètes et les militants des OING en charge de la défense des droits et libertés.