La mémoire épisodique d’évènements autobiographiques qui se produisent dans un contexte spatio-temporel unique est fondamentale pour définir qui nous sommes. Malgré cela, avant l’âge de deux ans, les enfants sont incapables de former et de stocker des souvenirs épisodiques à long terme. Ce phénomène est appelé amnésie infantile. Durant les 3 à 5 ans qui suivent, les enfants sont capables de former de nouveaux souvenirs, mais ces souvenirs restent toujours moins nombreux que ce qui est prédit par une simple courbe d’oubli. Ce phénomène est appelé amnésie de l’enfance. Jusqu’à récemment, les bases neurobiologiques qui sous-tendent ces phénomènes d’amnésie sont restées très hypothétiques. Au contraire, chez les adultes, les recherches conduites au cours des trente dernières années ont établi qu’il existe différents types de mémoires soutenus par différents circuits cérébraux. En particulier, la mémoire déclarative, incluant la mémoire épisodique et la mémoire sémantique (les connaissances factuelles sur le monde), est dépendante de l’intégrité et du fonctionnement de la formation hippocampique, alors que les mémoires non-déclaratives ne le sont pas.
La mémoire spatiale allocentrique, la mémoire des emplacements codés en relation avec les différents éléments constituant l’environnement qui nous entoure (la table se trouve entre la porte et la fenêtre), est un composant fondamental de la mémoire épisodique: le “où”, associé au “quoi ” et au “quand” qui définissent les mémoires épisodiques. Comme les mémoires sémantique et épisodique, la mémoire spatiale allocentrique est également dépendante de l’intégrité et du fonctionnement de l’hippocampe chez les individus adultes, alors que la mémoire spatiale égocentrique, mémoire des emplacements codés en relation avec notre propre corps, tel que “ sur ma gauche”, “ sur ma droite”, ou “devant moi”, ne l’est pas. Toutefois, bien que le rôle de l’hippocampe dans les processus d’apprentissage et de mémoire chez les individus adultes soit relativement clair, la façon dont ces différents systèmes de mémoires se développent et les raisons pour lesquelles ces différents types de mémoires dépendants de l’hippocampe apparaissent à différents moments de la petite enfance, l'est beaucoup moins.
Dans notre laboratoire, nous étudions le développement de la mémoire spatiale allocentrique, un composant fondamental de la mémoire épisodique, chez les enfants entre 18 mois et 9 ans, afin de mieux comprendre les phénomènes d’amnésie infantile et d’amnésie de l’enfance, et le développement des processus de mémoire dépendants de l’hippocampe chez les enfants. Dans une série d’expériences séminales, nous avons montré que (1) la mémoire spatiale allocentrique apparaît vers l’âge de 24 mois et continue à se développer pendant les 3 années qui suivent; (2) entre 2 et 5 ans, les capacités de discriminer des emplacements proches spatialement et de distinguer des évènements d’un point de vue temporel s’affinent, et contribuent ainsi à l’amélioration des capacités de mémoire spatiale allocentrique.
Nos résultats comportementaux, en lien avec nos études neuroanatomiques du développement de la formation hippocampique chez le singe, soutiennent l’hypothèse que la maturation différentielle de circuits hippocampiques distincts contribue à l’émergence différentielle de processus de mémoire distincts. Cette maturation culmine avec l’émergence de la mémoire épisodique en parallèle avec la maturation de l’ensemble des circuits hippocampiques.