Table Ronde 1: Luttes des Femmes dans le Monde Arabe - Mercredi 29 août
Modératrice : MAHFOUDH Amel
Modératrice : MAHFOUDH Amel
Les mois qui ont suivi la révolution du 14 janvier ont marqué une rupture. En adoptant la loi sur la parité et l’alternance dans les listes électorales, la Haute Instance pour la réalisation des Objectifs de la révolution en Tunisie a mis la question de l’égalité de genre au cœur du processus démocratique et de la représentation, mais jusqu’où cette avancée a permis de rompre avec le cercle vicieux de la domination masculine?
Dans un premier temps, nous traiterons les points suivants: quels sont les liens historiques, culturels, politiques et géopolitiques entre les pays arabes; comment peut-on expliquer que l’étincelle de la révolution tunisienne ait pu s’étendre à l’Egypte, la Lybie, le Yémen, le Bahrein et la Syrie? qu’est-ce qui différencie ces six pays et qu’est-ce qui les rapproche? comment se fait-il que, depuis le début de ces révolutions, aucun régime arabe (du Maghreb et du Machriq, militaire ou royaliste) ne se trouve plus à l’abri? quels sont les éléments sociaux-politiques et géopolitiques qui empêchent les révolutions d’atteindre, aujourd’hui, leurs objectifs premiers? Dans un second temps, nous donnerons un aperçu rapide de la situation sociale et politique des femmes dans les six pays mentionnés ci-dessus avant les révolutions, en essayant de faire ressortir des divergences et des convergences. Nous prendrons ensuite quelques figures de femmes révolutionnaires comme Tawakkol Karman (Yémen), Nouara Nagm (Egypte), Samar yazbek (Syrie). Nous essaierons de démontrer que ces figures, devenues emblématiques dans le monde arabe, ne sont pas une génération spontanée, mais que leur apparition est le fruit d’une longue lutte ayant survécu à des régimes totalitaires.
Je souhaite traiter, dans cette intervention, des racines historiques de l’implication des femmes dans le soulèvement révolutionnaire, ce qui permettra d’en comprendre l’originalité par rapport aux autres pays arabes ayant connu des révoltes durant l’année 2011. Il est également nécessaire de se pencher sur le caractère contradictoire des signaux lancés au cours de la transition par les différentes forces politiques et sociales pour comprendre la nature et l’ampleur des enjeux que représente la question de la condition féminine en période de rédaction d’une nouvelle constitution.
La présente communication vise à soumettre au débat la question de la citoyenneté des femmes au Maghreb et de manière générale dans le monde musulman, à l’heure où on parle des retombées du printemps arabe sur la question féminine mais aussi de l’hiver arabe après les résultats des élections législatives engagées dans certains pays qui ont fait monter au pouvoir les conservateurs (Tunisie, Egypte, Maroc …). Compte tenu de l’actualité de la question des droits des femmes dans cet espace géographique et culturel, nous estimons nécessaire de répondre à certaines questions: Quelle évolution a connu la question féminine dans le monde musulman et particulièrement au Maghreb, où les rapports avec l’Occident, à travers la colonisation/protectorat, ont eu un impact sur la condition juridique des femmes? Quel rôle a joué / ou non l’élite intellectuelle (hommes et femmes) dans ces pays? Quel est l’apport du mouvement des femmes, dans toutes ses sensibilités, à la question féminine? Quelle est la place de la question féminine dans « le printemps arabe » ? Quelles sont les réponses apportées par les Etats, après le printemps arabe, à la question de la citoyenneté des femmes? Quelles sont les avancées concrètes, les régressions constatées et les contradictions relevées?
Modératrice : JARTY Julie
Cette présentation porte sur les imbrications de pouvoir, ou co-formations, ainsi que l‘utilisation politique de l’amnésie coloniale, dans deux événements spécifiques dans le déroulement continu du gouvernement des Etats Unis en Irak: la capture de Saddam Hussein et son examen médical. La présentation aborde particulièrement la spectacularisation paranoïaque de Saddam Hussein en tant que figure d’une corporéité “terrorisante.” Dans les fantasmes politiques dominants Saddam Hussein est transformé en un signe condensé et singularisé de l’ensemble des Arabes-Autres-Dangereux, et il est ainsi intensément investi. Il est mis en exposition publique, encadré dans des termes sexistes racialisés, queerphobes xénophobes and xénophobes queerphobes. Ainsi Saddam Hussein est finalement neutralisé en étant d’abord symboliquement féminisé (par exemple sa barbe est rasée), violé (avec l’abaisse-langue dans sa bouche), et castré (sa bouche représente un vagin qui remplace le pénis-phallus) devant le monde, puis rapidement réellement éliminé et oublié. Mais ces événements et leur lourd investissement de courte durée ne sortent pas de nulle part et sont peu nouveaux. Ils sont construits par des inspirations, des échos et la répression d’événements historiques du colonialisme des États Unis, notamment du traitement, y compris le génocide, des Native Americans (Amérindien[ne]s). Le référent principal caché de ces actions sur le corps de Saddam Hussein est la violence sexuelle coloniale contre les femmes et sujets non cisgenres Native Americans qui reste invisible. La spectacularisation du corps de Saddam Hussein capturé, enfermé dans l’espace, fourré, pénétré, mutilé et finalement éliminé, ouvre brièvement puis fait disparaître une fois de plus une vue potentielle sur cette violence coloniale genrée et racialisée massive antérieure qui se prolonge aujourd’hui sous une multiplicité de formes. Ces événements ont également des résonances directes et indirectes avec la culture populaire dominante (blanche) historique et actuelle des Etats Unis, surtout filmique et musicale, qui renforcent à la fois leur légitimité et l’amnésie de la violence colonial fondatrice. La présentation se termine par quelques réflexions sur ce que signifie faire apparaître la place des co-formations de pouvoir et de l’amnésie coloniale dans la production de spectacles politiques, et sur comment une telle analyse pourra faire avancer la réflexion et la pratique féministe contre le (néo)-colonialisme et la guerre.
En m’appuyant sur le travail de l’Assemblée générale féministe et lesbienne contre l’impunité des violences masculines à Paris, et mon expérience lors de la pré-audience du Tribunal Permanent des Peuples contre les féminicides et les violences faites aux femmes au Chiapas, Mexique (8 et 9 mars 2012), je tenterai de montrer comment l’extension du néolibéralisme repose notamment sur une très grande violence contre les femmes, tout particulièrement appauvries et racialisées, ainsi que, simultanément, contre les femmes et les féministes organisées. Il s’agira en particulier de réfléchir à travers différents exemples et dans des contextes variés, sur la réorganisation de la violence contre les femmes et la continuité entre des violences souvent analysées séparément: violences domestiques, violence de guerre, violence économique, violence législative, violences au travail. Les analyses de nombreuses Latino-américaines et Chicanas, particulièrement importantes et novatrices, seront mises à contribution pour cette réflexion.
Ces dernières années diverses formes de violences envers les femmes ont été fortement médiatisées, en particulier des cas de violences concernant des femmes migrantes ou issues de l’immigration. Les cadres interprétatifs apportés à ces violences renvoient à la culture des groupes d’origine de ces femmes, tandis que les violences touchant des femmes de la population majoritaire sont pensées comme des cas individuels sans rapport avec la culture de leurs auteurs. Ces représentations insistent sur les différences entre les femmes qui en sont victimes et surtout entre les hommes qui les commettent. Ce faisant elles invisibilisent ce que ces violences ont de commun et laisse se diffuser des interprétations à la fois culturalistes et racistes de la violence sexiste. Pour dépasser ces interprétations, il importe de retrouver des cadres d’analyse des violences qui parviennent à dépasser l’interprétation culturelle.
Au courant de l’année 2000, Madame Jeannette Onziel, la première Rapporteure spéciale sur les droits de la femme en Afrique de la Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples, proposait une étude sur les violences faites aux femmes en Afrique, afin d’alerter les opinions publiques africaines et engager les États à les considérer comme atteintes à leurs droits essentiels. Elle avait la volonté affirmée de faire reconnaître toutes les formes de violence à l’encontre des femmes, afin de combattre l’impunité. L’étude dont j’ai coordonné les travaux, à partir de 2001, avec des collègues de la région, rendait compte de la nature et de l’incidence des violences faites aux femmes dans six pays du continent. Les massives et insidieuses plus criantes, car le corps des femmes devenant une arme privilégiée de lutte entre belligérants. Cette situation a-t-elle changé? Le but de cette communication est de voir comment ces violences se sont renforcées, ont continué et/ou ont changé de forme en raison des changements socio-politiques survenus dans les pays. La culture et la religion n’ont jamais été autant au cœur des conflits, tous politiques.
Modératrice : ROCA Y ESCODA Marta
Mon intervention aborde l’imbrication des rapports de pouvoir à l’exemple de l’entretien des rues à New York. Depuis les années 1980, des programmes de réinsertion professionnelle investissent le balayage des rues à New York. Ces mesures s’adressent surtout à des hommes afro-américains sans domicile fixe, ex-détenus et avec un passé dans la toxicodépendance. Selon la rhétorique officielle, le balayage des rues leur permettrait d’acquérir les compétences nécessaires pour accéder à un emploi dans le marché du travail "formel" et ainsi de passer d’"individu assisté" à "citoyen productif". Je montrerai que ce discours – fortement sexué, classé et racisé – contribue à la construction des balayeurs comme n’étant pas des "vrais" travailleurs et à leur exploitation comme main-d’œuvre bon marché, alors qu’ils fournissent un service essentiel à la ville.
En France, les chambres de la famille des Tribunaux de Grande Instance gèrent le contentieux des séparations conjugales (divorces et séparations de couples non-mariés) qui opposent systématiquement un justiciable homme à une justiciable femme, sur des litiges ayant trait à la division du travail parental et à l’économie domestique — c’est-à-dire des litiges qui engagent justement des représentations et des pratiques de la masculinité et de la féminité. Ces affaires sont traitées dans l’immense majorité des cas par un juge unique (un ou une juge aux affaires familiales), dans un domaine du droit peu encadré juridiquement puisque le juge décide principalement "au nom de l’intérêt de l’enfant". Dans un contexte de féminisation de la magistrature, la question de l’influence du sexe du juge sur les décisions prises aux affaires familiales est devenu un sujet particulièrement sensible, sous la pression des associations de défense des droits des pères qui en ont fait un cheval de bataille médiatique. Cette communication s’appuie sur les résultats d’une enquête collective menée dans les chambres des affaires familiales de quatre tribunaux de grande instance français entre 2008 et 2010 et qui combine observation d’audiences, analyse approfondie des dossiers, entretiens avec des professionnel-les de la justice et construction d’une base de données à partir de dossiers archivés. Dans notre enquête, sur 28 Juges aux affaires familiales en poste, il y avait 20 femmes et 8 hommes. Ces magistrates et ces magistrats n’ont pas la même trajectoire personnelle et professionnelle, ils n’arrivent pas à cette fonction dans les mêmes conditions, au même moment de leur carrière et par là même ils n’ont pas la même manière d’envisager leur rôle de juge aux affaires familiales. Néanmoins, nous montrerons que malgré toutes ces différences, il règne une grande homogénéité des décisions aux affaires familiales, quel que soit le sexe du juge.
En m’inspirant d’une enquête récente sur la normativité familiale produite par les assistantes et assistants sociaux de l’Aide sociale publique, en Suisse romande, j’aimerais montrer que l’intervention de ces professionnel·le·s en tant qu’"entrepreneur·e·s de morale" est caractérisée par leur forte cécité à l’égard des rapports sociaux, de sexe et de race en particulier, qui n’apparaissent pas ou rarement en tant que facteurs explicatifs de la pauvreté des familles à l’Aide sociale. Ainsi, s’agissant de la division sexuelle du travail, l’étude montre que les rapports sociaux de sexe ne constituent pas, pour ces professionnel·le·s, des éléments constitutifs de l’injustice dans la famille. Les 5 registres normatifs que nous avons dégagés à partir de l’analyse des interventions des assistantes et assistants sociaux visant à sortir les familles de l’Aide sociale témoignent que la réalisation de cet objectif ne questionne pas, ni n’ébranle à fortiori, la division sexuelle du travail. Cette attitude va de pair, dans le domaine du travail social, avec l’importance accordée aux cas individuels, à une approche marquée par une tendance à privilégier les explications psychologiques, ainsi qu’à l’histoire du métier, imprégné d’un long passé de bénévolat et d’une professionnalité inachevée.
Modératrice : COSSY Valérie
Dans le cadre de cette table ronde, je voudrais réfléchir à certaines positions (stand point) particulières occupées par des femmes "marquées" qui me paraissent privilégiées pour repenser la sexualité. Je veux particulièrement parler des lesbiennes et des prostituées, plus spécifiquement des textes littéraires qu’elles ont écrits, et des déplacements qu’ils opèrent. Une des hypothèses que je veux soutenir est que les lesbiennes et les prostituées sont "situées" aux meilleures places, d’une certaine façon, pour nous faire réfléchir, toutes, aux questions relatives à la sexualité. Quelques pistes : probablement l’apport le plus important des littératures lesbiennes est-il d’avoir contribué à dénaturaliser le désir hétéronormatif; quant à celui des textes littéraires des prostituées (ou des femmes qui pratiquent/ont pratiqué des échanges économico-sexuels [Tabet]), c’est probablement d’avoir mis en évidence les intrications entre les rapports économiques et les rapports sexuels, et suscité une réflexion sur la façon que le soi négocie ces rapports, dans une dialectique posant l’autonomie comme centrale.
Du point de vue de la philosophie politique féministe, le concept d’intersectionnalité se révèle particulièrement heuristique pour l’analyse du pouvoir. J’illustrerai ce propos en appliquant l’analyse intersectionnelle à l’étude des "dispositifs de sécurité", qui font partie de la gouvernementalité contemporaine. Ces dispositifs règlent ce qui, dans une société, apparaît comme une menace et organisent la gestion des risques. Ils se basent sur un ordre de genre structuré de façon intersectionnelle. En effet, certaines femmes font l’objet de la protection étatique (- masculine) alors que d’autres sont privées de protection. Cette différence de genre est elle-même structurée par des critères de nationalité, de classe, de religion, de sexualité ou autres. Ces critères sont aussi relevants si les dispositifs de sécurité privatisent la protection des personnes en la déléguant à la famille et l’économie. En guise de conclusion, je propose de réfléchir à la question de savoir si ce dispositif de sécurité intersectionnel, fondé sur la défense et le contrôle, pourrait se laisser ébranler par une nouvelle identification avec des pratiques de confiance et de soin commun.
Modératrice : GIANETTONI Lavinia
Une lecture des inégalités de santé par le biais des inégalités économiques et des discriminations "raciales" ou "ethniques" laisse des points aveugles sur d’autres types de rapports sociaux tout aussi opprimants à commencer par les rapports de genre. Les femmes sont à la fois singulièrement concernées par les inégalités économiques – elles le sont plus encore que les hommes, y compris quand elles sont immigrées ou quand elles sont appartiennent à des minorités ethnicisées ou racisées. Elles sont à la fois plus pauvres au sein de chaque catégorie de classe, d’origine, et de toute autre catégorie sociale. Et le sont, précisément du fait de leur statut de femmes – et singulièrement plus discriminées, quand elles sont immigrées, que les hommes immigrés puisque elles subissent des discriminations en raison de leurs origines mais aussi parce qu’elles sont "femmes". En nous appuyant sur des données d’une enquête réalisée auprès de femmes immigrées en France métropolitaine, nous montrerons que pour toutes les femmes rencontrées ces deux caractéristiques – être femme et être immigrée –, qui les classent socialement, sont fortement structurantes de leurs trajectoires existentielles.
Une analyse de l’imbrication des rapports de pouvoirs suscite des interrogations sur les différentes formes de pouvoir, sur l’intersection ou l’articulation des rapports de pouvoir et de domination. La race, la classe et le Genre sont des rapports sociaux concrètement imbriqués donnant lieu à un modèle théorique d’analyse, "le modèle analogique". Toutefois à l’idée de Christine Delphy "si le genre est un rapport social analogue à la classe, il est également spécifique et réclame une analyse et des mobilisations qui lui soient propres". Sur cette lancée, comment le Genre apparaît comme un rapport social de domination? Le pouvoir est-il intrinsèquement masculin? Quelles stratégies en matière de Genre pour une avancée du Féminisme? Autant de questions qui peuvent trouver un ancrage sur le terrain politique, dans le monde du travail ou dans le domaine de l’éducation. Dans la présente communication nous nous intéresserons à la problématique Genre, éducation et société à travers l’analyse du phénomène de Harcèlement sexuel des jeunes filles en milieu scolaire au Burkina Faso. Les éléments de notre analyse émanent d’une étude sur le terrain réalisée en 2008 au Burkina Faso. Phénomène tabou, le harcèlement sexuel des jeunes filles en milieu scolaire est réel au Burkina Faso et prend de l’ampleur avec des conséquences incalculables et sous estimées pour les jeunes filles et la société. Il recouvre de nombreux enjeux en matière d’éducation au Burkina Faso et les lois en la matière sont quasi inexistantes ou timides. D’ores et déjà en quels termes faut-il s’en convaincre du phénomèn? Discriminations et privilèges de genre? L’objectif de la présente communication est d’arriver à se départir de la vision arithmétique du pouvoir en matière de genre eu égard à la complexité des réalités empiriques. Mais qu’on ne s’y trompe pas: l’arbre doit-il cacher la forêt?
Les travaux renvoyant au black feminism forment un champ de réflexion qui s’est particulièrement posé depuis le début des années 2000 en France. L’axe franco-américain est central dans ces travaux assimilés à une troisième vague du féminisme. Cette vague envisage l’imbrication des rapports de dominations et s’en saisit pour s’auto-désigner. Or, elle ne secoue pas les hiérarchies imbriquées qui se re-jouent dans les espaces de production de connaissances, demeure marquée par la vision binaire qui divise les sociétés, et tend à réduire le black feminism à un outil d’analyse objective. Ces limites font courir un certain nombre de risques théoriques et pratiques, notamment ceux d’oublier que l’imbrication des dominations s’inscrit dans l’histoire coloniale et de reconduire d’autres féministes vers la frontière, alors qu’elles contribuent, depuis plusieurs générations, au féminisme transnational.
Modératrice : KOCADOST Cingi
A partir des observations tirées de mes travaux sociologiques sur le phénomène migratoire et des publications récentes de chercheuses issues de groupes minoritaires, je tenterai d’identifier les formes multiples de résistances à l’égalité qui ont notamment émergé dans le mouvement féministe ces vingt dernières années en Europe. A travers le processus de racialisation articulé autour de la culture musulmane et des groupes de femmes maghrébines, je poserai la question du pouvoir et de la domination de race et de classe au sein du mouvement des femmes.
Je me propose de présenter des résultats d’une analyse portant sur les représentations de la diversité dans le discours de groupes de femmes du Québec. Nous nous demandons quelle place y trouve cette notion chargée d’ambigüité. Au-delà de vérifier si la diversité tient véritablement du buzzword, il s’agit de mettre au jour certains des enjeux qu’implique le recours à cette terminologie. Dès lors, investiguant le discours féministe sur l’ouverture à la diversité, aux différences culturelles, à l’inclusion des femmes minoritaires dans le mouvement et ses priorités d’action, aux entrecroisements du sexisme et du racisme, ceci se veut une modeste contribution au débat actuel. Cette analyse s’inscrit dans une recherche plus large ayant pour objectif de repérer les configurations actuelles des discours et des pratiques féministes au Québec, ainsi que les transformations qu’ont connu ses propositions théoriques et stratégiques depuis la dernière décennie. Elle a été menée au sein de l’Alliance de recherche IREF/Relais-femmes sur le mouvement des femmes québécois (ARIR). J’y ai collaboré à titre de professionnelle de recherche.
Modératrice : ROUX Patricia
Ces 20 dernières années, une dynamique féministe musulmane a commencé à prendre forme dans le monde musulman, ainsi qu’en Occident. En France, cette conscience féministe musulmane émergente est portée par des femmes (ré)islamisées engagées dans des réseaux associatifs musulmans cherchant à lier défense des droits des femmes à celle d’un islam qui se voudrait promoteur d’une voie alternative de féminisme. L’élaboration de nouvelles pratiques et d’un discours féministe musulman s’opère dans un contexte de racialisation de l’islam, notamment à travers les polémiques récurrentes liées au port du foulard, ou l’argumentaire féministe demeure le référent principal opposé aux femmes musulmanes voilées. C’est donc à partir d’une double critique politique et religieuse que s’élabore l’engagement de ces femmes musulmanes: d’une part elles revendiquent un féminisme ancré dans une tradition religieuse allié à une posture politique refusant l’imposition d’un modèle unique de féminisme et de féminité; d’autre part tout en se plaçant à l’intérieur du champ islamique, elles élaborent un nouveau discours sur les femmes en islam en revendiquant une relecture des Textes religieux dans une perspective se voulant plus égalitariste.
Dans cette communication, je présenterai une réflexion sur un desdits "dix meilleurs films" de l’année 2010 en France, "Le Nom des gens". Ce film, présenté comme une "comédie de gauche", thématise explicitement la question du racisme (en l’occurrence anti-sémite et anti-musulman) tout en ignorant superbement la question du sexisme. "Le Nom des gens" est ainsi un révélateur de la fragilité de la critique féministe dans les mouvements de gauche contemporains, et soulève la question des liens entre luttes anti-sexistes et anti-racistes.
Comment expliquer qu’une part croissante du mouvement des femmes en Belgique dont des féministes qui se déclarent progressistes et anti-racistes, prennent des positions excluant les "musulmanes visibles" du monde de l’école et du travail? Je partirai d’une recherche qui, via des interviews de responsables des grandes associations féministes et l’étude de leurs documents écrits, examine la manière dont la question de l’immigration a été ou non prise en compte par l’association, les allégeances politiques et philosophiques de celle-ci ainsi que la conception du féminisme de ses responsables pour tenter de repenser la notion de racisme dans le contexte actuel.
Partant des théories de la performance, l’intervention démontrera comment les appartenances liées au genre s’articulent avec celles liées aux pratiques et cultures religieuses en France. Elle retrace les différentes manières dont les frontières discursives sont créés depuis l’époque coloniale (inclusion/exclusion de certains droits et/ou territoires), à la fois par le dispositif de l’Etat français (lois sur les enfants métisses, droits à la citoyenneté, commission Stasi, rapport Gérin) et par les Françaises se définissant elles-mêmes comme étant de culture musulmane. Les uns et les autres se réfèrent aux valeurs féministes, mais en les interprétant de manière tout à fait différente quant à leur compatibilité avec des pratiques religieuses.
Modératrice : FASSA Farinaz
Si l’analyse critique de l’hétéronormativité en matière de "nouvelles techniques de reproduction" a été diserte pour légitimer la revendication de l’"homoparenté", elle est restée largement discrète quant à la prise en considération de la monoparenté féminine. À côté des couples lesbiens procréateurs, comment concevoir analytiquement les femmes-mères qui ne sont plus des filles-mères? D’autant que, depuis près de deux siècles, l’association femmes et mères (femme = mère; destin des femmes de devenir mères) a pu être tenue pour le verrou qui bloquait la libération des femmes. Par ailleurs, comment ne pas admettre que des femmes seules recourent à la procréation assistée, alors que la loi leur ouvre l’adoption? Qu’il s’agisse de genre ou de rapport social, des questions persistent à clarifier quant à la maternité mise par excellence à distance de la domination masculine….
La migration féminine en relation avec le travail de care pose un défi conceptuel à la notion de défamilialisation, notion centrale dans les politiques sociales en Europe. Notre exposé est une tentative pour redéfinir la défamilialisation à l’aune de l’expérience de migration des travailleuses, le sens de leur projet migratoire et le sens "culturellement construit" de l’obligation d’aider et de soigner dans le cadre de leurs propres relations à leurs parents dépendants.
Modératrice : DEVREUX Anne-Marie (France)
Les enseignements et les programmes d’études, les publications et les communications de différents types, les périodiques, les colloques et les congrès féministes apparaissent aujourd’hui comme des modes "conventionnels" voire "traditionnels" de diffusion des recherches féministes. De plus, comparativement à la versatilité et à la rapidité qui caractérisent les "nouveaux médias sociaux", leur efficacité dépend largement du temps qu’on y consacre et de la mémoire qu’on réussit à en transmettre aux nouvelles générations de féministes. Cette communication présentera quelques observations et interrogations d’une chercheuse féministe qui a été fortement impliquée depuis 1976 dans la mise en place, la pratique et l’institutionnalisation de ces activités de diffusion féministes en même temps qu’elle a vu se développer, notamment chez les étudiantes féministes, des analyses et des initiatives qui renouvellent mais ne rendent pas obsolètes pas les analyses et les façons de faire féministes précédentes.
La pensée féministe contemporaine se déploie à travers des voix de plus en plus diversifiées et complexes. Elle propose différents vocabulaires, outils conceptuels et modèles méthodologiques, souvent complémentaires, mais quelquefois contradictoires, pour appréhender, dans divers temps et espaces, la réalité sociale du point de vue des femmes et pour analyser et interpréter la division sociale des sexes, la reconduction des inégalités entre les hommes et les femmes et l’ensemble des processus sexués qui traversent toutes les dimensions du social. Certaines des avenues explorées entraînent néanmoins avec elles, le déclin d’une approche critique formulée en termes de rapports sociaux de sexe et de problématique de changement au profit de propositions formulées en termes d’identité, de genre et de différences entre les femmes. Face à cette mouvance, le présent exposé soumettra à la réflexion collective les deux questions suivantes: 1) Pourquoi défendre une conception de la recherche féministe en tant que lieu de production d’une pensée critique formulée en termes de rapports sociaux et d’engagement sociopolitique? 2) Comment maintenir le caractère subversif de la production féministe autour d’un "Nous femmes", tout en faisant place aux différences entre les femmes et aux tensions et positions qui les divisent entre elles?
En avril 2011, un collectif féministe non-mixte, "Les filles des 343", décide de fêter les quarante ans du "manifeste des 343": "40 ans plus tard, où en est-on avec l’avortement?". "Une majorité de médias, de politiques, de médecins, écrivent-elles, présentent sans cesse l’avortement comme un drame et un traumatisme dont on ne se remettrait pas (…) Nous en avons assez de cette forme de maltraitance politique, médiatique, médicale. Nous déclarons avoir avorté et n’avoir aucun regret: nous allons très bien." Le collectif décide de créer une pétition, puis un site Internet ("J’ai avorté et je vais bien, merci!" http://blog.jevaisbienmerci.net/), conçu comme un espace de diffusion de leurs idées, mais également comme un espace de parole pour les femmes "qui ont avorté et vont très bien, merci!". Le site recueille plusieurs centaines de témoignages, publiés en avril 2012 dans un ouvrage ("J’ai avorté et je vais bien, merci!", Éd. la ville brûle). De nombreux journaux (Rue 89, Libération, Le Monde), mais également des magazines féminins (Femme Actuelle, Elle, Be), les contactent alors, intrigués par leur initiative.
Malgré son incontestable puissance cognitive et analytique, la production féministe de la connaissance reste cantonnée dans des couloirs secondaires car elle déclenche l'alerte rouge du défi au bio-pouvoir, au pouvoir patriarcal de créer la "différence" entre les humains. Si les théories féministes prennent leur essor, de leur côté les représentations sociales qui se font chair expriment toujours un féminin construit à l´ombre de cette différence. Le patriarcat, tel le capitalisme, s'adapte aux transformations sociales et son nouveau visage s'immisce au sein des conquêtes réalisées par les femmes. Si les diverses approches des théories et des mouvements féministes gardent en commun l'objectif de transformer les relations sociales et les images qui les façonnent, certaines catégories telles que "le genre" peuvent représenter des blocages à leur épanouissement.
Modératrice : BENELLI Natalie
L’examen des expériences des lesbiennes en milieu de travail montre qu'elles sont confrontées à des discriminations à la fois en raison de leur sexualité et en tant que femmes, sans qu’elles-mêmes puissent toujours départager nettement entre les deux situations. Ce constat suscite une réflexion sur l’articulation entre les deux logiques de domination que sont le sexisme et l’hétérosexisme, lesquelles concourent conjointement au maintien de la division sexuelle du travail. Entre autres, l’impératif de la séduction hétéronormative en milieu de travail illustre le processus de sexualisation des femmes qui consiste à orienter les représentations sociales de la féminité autour du principe de la disponibilité sexuelle des femmes au bénéfice des hommes.
Les migrantes franchissent les frontières nationales, ethniques et culturelles opérant des connexions et des ruptures qui redéfinissent ancrages et appartenances individuels et collectifs. Elles circulent à l’intérieur de réseaux et s’approprient les espaces locaux, notamment urbains, selon les opportunités offertes par l’économie mondialisée – formelle et informelle – en utilisant les informations de ceux et celles qui se sont installées, en s’adaptant et en adaptant les opportunités dérivées de contextes juridiques disparates. Les positions économiques, les appartenances nationales et ethniques, le niveau d’études, le statut matrimonial positionnent différemment les migrantes tout au long de ces échelles migratoires. Néanmoins, dans les situations migratoires, les relations de genre sont constamment négociées à partir des diverses échelles de. Les migrantes agissent différemment selon leurs assignations sociospatiales produisant des interconnexions ainsi que des discontinuités qui interrogent une vision polarisée des migrations. Les migrantes parfois s’accommodent des vieilles hiérarchisations, parfois elles les contestent, parfois elles les transforment dans un jeu d’échelles qui brouille les frontières et les appartenances.
Par leur mobilisation en tant qu’employées domestiques, les femmes migrantes participent des régimes de la division sexuelle du travail qui sont à l’œuvre dans les sociétés d’immigration du Nord du monde. En Italie, par exemple, le recours à la main d’œuvre féminine et migrante a été progressivement institutionnalisé pour satisfaire la demande de services d’assistance à la personne: dans ce pays à la population vieillissante, l’État social est traditionnellement limité. Alors que la division sexuelle du travail domestique dans les familles italiennes demeure inégale, les femmes migrantes sont largement mobilisées en tant que pourvoyeuses rémunérées de services d’aide aux personnes âgées et d’entretien du domicile. Le recours systématique à la main d’œuvre féminine migrante dans ces emplois se fonde sur un système de quotas et des mesures successives de régularisation des migrants, qui ont visé spécifiquement les employées de maison. Ces mesures, fortement voulues par de nombreuses familles soutenues par les partis du centre-droite catholique, ont été adoptées par plusieurs gouvernements dont faisait partie le parti d’extrême droite et farouchement anti-immigration de la Ligue du Nord (LN). Bien qu’opposée au début, la LN a consenti à ces politiques à la suite des pressions exercées par l’Église catholique. Cette communication vise à insérer la question des mobilisations collectives anti-immigration dans le cadre de la problématique de la division sexuelle et internationale du travail domestique. Elle se fonde sur une étude ethnographique concernant le militantisme dans le parti de la LN. Les entretiens menés avec des militants, femmes et hommes, montrent un décalage entre le discours officiel du parti et les expériences et les pratiques des militantes. Malgré les anathèmes de la LN contre l’immigration, vue comme cause directe du chômage des travailleurs italiens, et l’insistance sur le thème de la légalité, un certain nombre de ces militantes anti-immigration emploie ou a employé des migrant(e)s pour assister des parents âgés, dans certains cas sans déclarer le rapport de travail.
La globalisation et la financiarisation du capitalisme ont considérablement affecté l’emploi dont la non–réglementation est désormais considérée comme un postulat nécessaire de performance économique. Cette nouvelle conjoncture de minorisation du travail, appréhendé comme une contrainte en partie superflue, frappe en premier lieu les femmes dans tous les contextes sociétaux dont elle renforce les modes de légitimation de la domination masculine. Cependant, dans le même moment la norme globale de genre s’affirme de plus en plus comme un instrument de gouvernance mondiale, convoquant des idéaux d’universalisme, d’équité, de démocratie et de justice .La confrontation entre des fonctionnements économiques durcis et des invocations pieuses à une réduction des inégalités qui touchent les femmes dans le travail et ses marchés ouvre les scènes locales à des logiques contrastées; d’un côté les femmes qui se maintiennent dans l’emploi en déléguant à d’autres les charges du care deviennent implicitement ou explicitement la cible de culpabilisations diverses; sous un autre angle , des altérités fantasmées sont érigées, reléguées et accusées de s’opposer à l’émancipation féminine et de la freiner. Devenus des marchés comme les autres, les marchés du travail constituent les matrices de nouvelles formes d’antagonisme entre les femmes, divisées par les figures fétichisées qu’il leur faut incarner dans un spectacle globalisé .L’étrangère imaginaire hante les tableaux actuels du travail et de la famille dont l’appel à la réconciliation se présente plus que jamais comme une imposture.