ARCHIVE - Nouvelles Questions Féministes

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Machine, machin, truc, chose : pour du féminisme avec objets

Volume 24 No 1


Coordination

Cynthia Kraus, Fabienne Malbois, Saba Bahar, Farinaz Fassa

 

 

Sommaire

Edito
Farinaz Fassa, Cynthia Kraus, Fabienne Malbois
Histoires d'objets

Grand Angle
Geneviève Fraisse
Le devenir sujet et la permanence de l'objet
Diane Lamoureux
« Objectiver les personnes, réifier les situations »
Jennifer M. Saul :
Objectification, pornographie et l'histoire du vibromasseur
Elsa Dorlin et Grégoire Chamayou
L'objet = X. Nymphomanes et masturbateurs XVIIIe - XIXe siècle
Rachel Mader et Nicole Schweizer
« Your Body is a Battleground ». De quelques objets de l'histoire de l'art

Champ libre
Sandra Rieunier-Duval
Publicité, dessins animés : quels modèles pour les filles ?

Parcours
Farinaz Fassa
Un parcours en contrepoint entre les sciences et les techniques, le féminisme et le genre. Entretien avec Madeleine Akrich

Comptes rendus
Anne-Françoise Gilbert
Formations techniques et scientifiques:
de la promotion des femmes à une politique institutionnelle de l'égalité ?
Nadia Lamamra et Magdalena Rosende
Quand l'égalité se heurte aux rôles sociaux de sexe. L'exemple de la campagne romande Tekna
Fabienne Malbois
« Fragments d'une ethnométhodologie du genre »
Martine Chaponnière
Raphaëlle Renken-Deshayes. « Miroir, mon beau miroir... »

Collectifs
Pat Crook
La Glasgow Women's Library: Plus qu'une bibliothèque « femmes » pour moi !

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Résumés/Abstracts

Geneviève Fraisse. Le devenir sujet et la permanence de l'objet
La formulation habituelle joue de l'opposition entre l'objet et le sujet. Le nouveau sujet subvertirait la place d'objet. Comment cesser d'être un objet et devenir un sujet ? Rien n'est simple : objet de désir, objet d'échange, la femme reste tout cela indépendamment de tout régime politique. Il est imaginable par conséquent que l'affirmation du sujet n'entraîne pas la subversion de la place d'objet, autrement dit ne se traduise par aucune victoire de la nouvelle figure du sujet femme.


The Becoming Subject and the Permanence of the Object
Customary formulation opposes object and subject. The new subject is said to subvert the old object. How can one stop being an object and become a subject? Nothing is simple. Object of desire, object of exchange, women remain both and much more, independently of any political regime. It is therefore conceivable that the affirmation of the subject may not lead to the subversion of the object. In other words, it does not signify a victory of the new figure of the female subject.



Diane Lamoureux. Objectiver les personnes, réifier les situations
Ce texte s'intéresse aux enjeux théoriques et politiques soulevés par les mouvements de lutte à la pauvreté. Dans un premier temps, il analyse comment la pauvreté est construite socialement à travers des technologies de pouvoir à vocation réifiante qui dépolitisent les rapports sociaux et qui transforment en objets de politique les personnes vivant des situations de pauvreté. Dans un deuxième temps, il est question des stratégies de lutte à la pauvreté à travers l'opposition entre une stratégie fondée sur les besoins, qui réitère la disqualification politique des pauvres, et une stratégie fondée sur les droits qui fait appel à la citoyenneté et au statut de sujet politique.


Objectifying People, Reifying Situations
This article deals with the theoretical and political dimensions of anti-poverty movements. It first analyzes how poverty is socially constructed via various reifying technologies of power which depoliticize social relations and transform impoverished people into political targets. It then examines two strategies that fight poverty, counterpoising one centered on needs that reiterates the political disqualification of the poor, against one centered on rights. The latter opens up the possibility of democratic inclusion and political agency.



Jennifer M Saul. Objectivation, pornographie et l'histoire du vibromasseur
Cet article discute les arguments féministes récents selon lesquels il pourrait y avoir un lien entre le fait de traiter les choses comme des personnes (particulièrement dans le cas de la pornographie) et celui de traiter les personnes (particulièrement les femmes) comme des choses. Autrement dit, ces arguments soutiennent qu'il existe un lien entre l'objectification (traiter les personnes comme des choses) et ce que j'appelle la « personnification » (traiter les choses comme des personnes). Cette connexion devrait, par ailleurs, nous donner des raisons de nous inquiéter de l'utilisation de la pornographie. Je montre, en m'appuyant en partie sur l'histoire récemment mise à jour du vibromasseur, que la connexion est plus complexe que ne l'avaient supposé ces arguments. Selon moi, on ne peut pas traiter les choses comme si elles étaient des personnes, à moins de n'avoir déjà traité ces dernières comme de purs moyens -ce qui est souvent considéré comme la forme principale que prend l'objectification. Néanmoins, cette connexion n'est pas de celles qui devraient, me semble-t-il, nous amener à nous sentir moralement troublé·e·s devant la consommation des images pornographiques, ou, de manière générale, par le fait d'user des choses comme si elles étaient des personnes.


Objectification, pornography, and the history of the vibrator
This paper discusses recent feminist arguments that there may be an interesting link between treating things as people (especially in the case of pornography) and treating people (especially women) as things. That is, these arguments assert a connection between objectification (treatment of people as things) and what I call «personification» (treatment of things as people). According to these arguments, the connection is one that gives us reason to worry about the use of pornography. I argue, in part drawing on the recently discovered history of the vibrator, that the connection is more complicated than these arguments have supposed: in my view, one cannot treat things as people unless one already treats people as mere means-and this is often taken to be a central form of objectification. Nonetheless, I argue, this sort of connection is not one that should lead us to worry about the use of pornography, or about the use of things as people more generally.



Elsa Dorlin et Grégoire Chamayou. L'objet = X Nymphomanes et masturbateurs XVIIIe - XIXe siècle
Pour les autorités morales et médicales, la masturbation pervertit la relation de soi à soi en faisant du sujet l'objet de son propre plaisir ; bien plus, elle trouble les définitions normatives des sujets sexués : virilisant les masturbatrices qui prennent les choses en main et autodéterminent leurs objets de désir (nymphomanes et tribades), à l'inverse, elle met en péril la virilité des masturbateurs. Face à ces mutations de genre, les médecins élaborent des techniques de contrôle qui buttent sur l'imagination rusée des onanistes, sur leur art du détournement et sur l'indétermination de leurs objets. Ces frictions dans l'appareil de contrôle conditionnent le déploiement de plusieurs tactiques de répression/production que nous étudions pour écrire un fragment de l'histoire techno-politique du genre.


The Object = X. Nymphomaniacs and Masturbators in the 18th and 19th Centuries.
For moral and medical authorities, masturbation perverts the relation of oneself to oneself by making the subject the object of his/her own pleasure. More importantly, it disturbs the normative definitions of sexed subjects. While virilizing the women who take things in hand and self-determine their objects of desire (nymphomaniacs and tribades), it threatens the virility of male masturbators. Faced with these gender mutations, physicians work out techniques of control which inevitably come up against the crafty imagination of the onanists, their art of diversion and their indeterminate use of objects. These frictions within the device of control condition the deployment of several tactics of repression/production which we examine here to contribute to a techno-political history of gender.


Rachel Mader et Nicole Schweizer. « Your Body is a Battleground ». De quelques objets de l'histoire de l'art
Notre article s'articule autour des points suivants: comment la critique féministe de histoire de l'art a-t-elle déplacé le ou les « objets » autours desquels s'articulait traditionnellement la discipline ? Quels nouveaux « objets » ont dès lors été constitués ? Et comment, à l'épreuve de ceux-ci, les histoires de l'art féministes doivent-elles, elles aussi, constamment se repositionner ? L'exemple paradigmatique du corps dans la performance des années 1970 nous permet d'interroger dans un deuxième temps la façon dont les artistes elles-mêmes ont déplacé la définition de l'objet, et par conséquent aussi celle du sujet - de l'oeuvre comme de la perception.


« Your Body is a Battleground ». On Some Objects in Art History ».
This article focuses on the following points : How has the feminist critique of art history shifted the « objects » around which the discipline was traditionally articulated ? What new « objects » were created in the process? How, in turn, did feminist art histories have to constantly redefine their own position in response to these new «objects»? Examining the paradigmatic example of the body in performance art of the early 1970s, the article then sets out to interrogate how artistic practices themselves re-articulated the idea of the object, and consequently also that of the working and/or viewing subject.


Sandra Rieunier-Duval. Publicité, dessins animés : quels modèles pour les filles ?
A première vue, les personnages de filles dans les dessins animés et spots publicitaires semblent avoir évolué, délaissant les modèles de passivité et de douceur pour des héroïnes plus énergiques et indépendantes. Cependant une analyse des dispositifs narratifs et de l'arrière-plan symbolique dans quelques exemples précis révèle que ce changement pourrait n'être qu'illusoire. D'une part la fille reste cantonnée à une place de seconde zone par rapport au garçon ; d'autre part sa combativité n'est qu'un habillage « moderne » et « sexy » d'un modèle féminin qui demeure archétypal.


Role Models for Girls in Advertising and Cartoons
At first sight, the portrayal of girl characters in cartoons and commercials seems to have evolved, abandoning models of passivity and tenderness in favour of more energetic, independent-minded heroines. However, close analysis of the narrative mechanisms and the symbolic background employed in a few specific examples reveals that this change may be only illusory. On the one hand, girl figures continue to be portrayed in supporting roles, subordinate to boy figures, and on the other hand, their pugnacity is nothing more than a "modern" and "sexy" rendition of a feminine model which remains archetypical.

Communiqué de presse

L'émancipation des femmes devrait-elle, idéalement, mener à un monde sans objets?


Au coeur des mouvements de libération des femmes des années '70, une protestation a résonné avec force : « Mon corps n'est pas à vendre ! ». Revendiquer le droit à la libre disposition de son corps, c'était dénoncer le fait que, sous le régime patriarcal, le corps féminin est réduit à une marchandise, un instrument de travail ou encore à un objet sexuel. Ce refus de la « femme-objet » est emblématique du rapport tendu sinon impossible entre féminisme et objet. Il présuppose en effet un rejet de l'objet tout court, comme si le monde et le langage de l'objet ne pouvaient signifier que dépossession, appropriation, domination, instrumentalisation, objectification ou encore déshumanisation du sujet féminin. Le rejet de l'objet n'est pas le propre du féminisme mais il place ce dernier devant un dilemme singulier : si la femme-objet incarne « l'objet type » du féminisme, est-ce à dire que la libération des femmes sera sans objet ... ou ne sera pas ?

De toute évidence, notre monde actuel est peuplé d'objets - cet aspect a été bien documenté par les études sociales des sciences et des techniques comme on peut le lire dans le Parcours de Madeleine Akrich. Et pour l'heure, puisqu'il n'est guère possible de leur échapper, nous sommes placé·e·s devant le choix d'y faire face ... ou non. Ce numéro de NQF entame la discussion : comment faire du féminisme avec objets ? Quels sont les contours d'un féminisme qui réhabiliterait l'objet ? Au fil des articles de ce numéro, nous pourrons ainsi suivre les auteur·e·s nous conter des « Histoires d'objets » et exposer l'objet (du godemiché à l'objet de connaissance) dans tous ses états.

Un état, bien classique celui-là, où l'objet s'oppose au sujet par exemple. Avons-nous toujours affaire, dans cette paire conceptuelle, à un sujet qui agit et à un objet qui est agi ? Il semblerait bien que non. Dans un article qui porte sur les stratégies de lutte contre la pauvreté, celle des femmes en particulier, Diane Lamoureux met en évidence qu'à l'intérieur d'un rapport de pouvoir, une position d'objet peut produire une position de sujet. De son côté, Geneviève Fraisse, qui s'attache à déconstruire la notion du sujet « femme », nous incite à prendre acte que pour des sujets contemporains en devenir, il existe des positions d'objets viables, ou tout du moins des objectivations à partir desquelles il est possible d'objecter.


Est-il d'ailleurs si facile de diagnostiquer quand et sous quelles conditions un être humain est réduit à un statut de chose ? Jennifer M. Saul, qui traite de la consommation hétérosexuelle masculine de matériel pornographique, constate qu'il n'existe pas de réponse tranchée à cette question cruciale.
Objet versus Sujet : il est difficile de « faire sans » - ce qui ne veut pas dire se contenter de « faire avec ». Mais, et cela change tout, il est possible de se jouer de la dichotomie. Voir de la déjouer, à la manière du corps dans le « Body Art », comme le montrent Rachel Mader et Nicole Schweizer qui esquissent une histoire de l'art féministe, ou dans les pratiques des onanistes au XVIIIème siècle dont Elsa Dorlin et Grégoire Chamayou font la généalogie des technologies de répression.
Finalement, s'il est une morale aux « Histoires » que propose cette nouvelle livraison de NQF, ce serait une morale d'objet : la chose contient plus que la négativité du sujet. A tout le moins, les pratiques réprimées des masturbatrices nous parlent d'un objet qui crée la femme - hystérique, nymphomane certes, - mais aussi rebelle, puisque les trucs et les machins permettent de refuser une sexualité toute tournée vers la procréation.

Pour tout contact concernant ce numéro : Cynthia.Kraus(at)unil.ch

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