Le sak yant sublime les compétences
Stéphane Barelli
La Thaïlande est un pays de tradition bouddhiste Theravada. Inclusive et accueillante, la Doctrine des Anciens a évolué au sein d’une multitude de cultures et d’influences. Des siècles de pluralité ont profondément modelé le paysage religieux thaïlandais. Le bouddhisme, l’animisme et l’hindouisme ne s’y sont jamais développés de manières complètement autonomes, se nourrissant mutuellement d’éléments de pensées et d’usages composant un métissage des formes de foi [1]. Ces trois traditions se sont alliées dans ce que l’on appelle le bouddhisme thaïlandais.
[1] Kitiarsa (P.). 2005. Beyond Syncretism: Hybridization of Popular Religion in
Contemporary Thailand. Journal of Southeast Asian Studies 36, no. 03. 484.
La tradition des tatouages apotropaïques, fut probablement importée par les peuples thaïs venus du nord [2]. Elle a reçu dans le creuset de la civilisation des khmers, une transformation très profonde dont la trace la plus manifeste est l’adoption de l’alphabet khmer. La forme artistique et religieuse des tatouages sacrés, appelés sak yant, permet d’illustrer l’hybridation des croyances thaïlandaises.
[2] Bernon (O.). 1998. Yantra et mantra. Catalogue d’exposition du Centre culturel de Phnom Penh, Cambodge.
La forme artistique et religieuse des tatouages sacrés, appelés sak yant, permet d’illustrer l’hybridation des croyances thaïlandaises. Le mot « sak » peut se traduire par « taper sur » et « yant » signifie « prières sacrées ». Ce terme désigne dans le contexte du tatouage la méthode employée (tatouage au bambou) pour faire entrer l’encre sous la peau.
Un yant est un dessin géométrique sacré contenant des écritures qui sont des psaumes bouddhistes ou des formules magiques. Les signes, lignes et symboles représentent des séquences de lois de la nature, misent en codes. Elles ont été transcrites par des ascètes au terme de longues périodes de méditation. Certains parlent du fruit de révélations d’êtres célestes.
Les maitres (ajan) tatoueurs questionnés, s’accordent pour dire que les yants sont d’essences divines. Tout yant possède sa propre structure, inaltérable qui existe en tant que principe élémentaire. Un dessin peut être découvert par un maître qui, à force de méditation, acquière une compréhension supérieure des lois de causalités universelles. Mais il ne peut créer quelque chose d’immanent, le yant existe « en soi ». Cette compréhension métaphysique des influences de divers éléments sur d’autres, permet de pirater le court naturel des événements. Toutefois les dessins (yant) ne sont pas des éléments suffisants pour que le pouvoir magique contenu dans les figures géométriques sacrées, fasse effet. Pour les activer, le maître qui inscrit le dessin, doit chanter un kata (autrement appelé mantra) puis le souffler dans le dessin en invoquant des forces sacrées et les éléments particuliers intrinsèques au tatouage. Les yants, une fois activés par le pouvoir spirituel du maitre, peuvent considérablement influencer les aptitudes humaines. Ces tatouages sont un assemblage de sutras bouddhistes, de pictogrammes et de sorts magiques et d’une parcelle de la substance spirituelle du maître tatoueur.
Les lignes dessinées dans le yant sont traditionnellement perçues comme les os du dessin. Elles représentent le cordon ombilical de Bouddha. Il en existe des formes variées : circulaire, triangulaire, quadrilatéral et pictural. Les yantras sont remplis de prières et de sorts en lettrages sacrés qui en augmenteront la puissance. Ils sont plutôt complexes, parsemés de symbolismes géométriques, de mantra et de codes numériques variés.
Il y a un yant pour chaque raison possible ; pour éviter les flèches ; pour la récolte des fermiers et repousser les parasites sur les animaux ; pour éviter d’être piétiné par un éléphant ; pour repousser les voleurs ; pour les marchands et les pêcheurs ou même pour gagner aux jeux de hasard. La liste des Yants et ses applications sont presque sans fin.
Image : Selon ajan Nat, ce yant tracé sur le front de la tête d’un bovin fixé sur les piliers de la maison où il a vécu a pour effet de la protéger. Il continuera à la servir en temps qu’esprit.