Les membres de la section des sciences du langage et de l'information se rencontrent régulièrement pour échanger autour des activités de recherche, dans et hors de la section.
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Robin Meyer - Passé du futur en arménien : un survol exploratif de son histoire et des développements courants - 29 avril 2024
Les marqueurs épistémiques et évidentiels et plus généralement le domaine de "l'épistémicité" a fait l'objet de nombreuses études en linguistique française, mais principalement dans une perspective sémantique et/ou syntaxique et en mobilisant majoritairement des exemples inventés ou fortement décontextualisés. Les recherches sur corpus restent rares, elles se concentrent le plus souvent sur quelques marqueurs spécifiques et ne prennent généralement pas en compte les facteurs pragmatiques tels que la séquentialité (aspects cotextuels), la généricité (aspects contextuels) et la multimodalité (aspects pluri-sémiotiques).
La présentation se basera sur un projet de recherche FNS en cours (2020-2024, 100012_188924) et dont l'objectif est l'étude des marqueurs épistémiques et évidentiels du français tels qu'ils émergent dans un corpus contrastif vidéo-enregistré de 28h d'interactions documentant des débats politiques (publics ou télévisés) et des réunions en entreprise. Après une courte introduction aux principales options théoriques et méthodologiques adoptées par le projet pour analyser – à la fois quantitativement et qualitativement – un large empan de marqueurs épistémiques et évidentiels du français, la présentation fournit une analyse de cas sur la base de 328 occurrences de verbes et adverbes d'apparence (verbes: sembler, paraître, avoir l’air, avoir l’impression et donner l’impression; adverbes: apparemment, évidemment, manifestement, visiblement). L'analyse quantitative se concentre sur la distribution générale des verbes et adverbes par genres discursifs, rôles communicationnels et positions séquentielles ; La multimodalité – notamment les éventuels changements de direction du regard ainsi que les éventuels gestes co-occurrents aux marqueurs – sera aussi considérée. Au niveau quantitatif, la présentation propose une étude de l'expression la plus fréquente (il me semble que), en examinant les variations de sens et de valeurs en fonction des positions séquentielles (par exemple en position initiative VS réactive) et des types de portée (notamment en termes de factualité). La présentation se conclut avec quelques remarques générales sur l'intérêt de combiner méthodes quantitatives et qualitatives pour étudier les marqueurs épistémiques et évidentiels et plus généralement pour alimenter les réflexions actuelles quant à l'interface de la sémantique et de la pragmatique.
NB : Cette présentation se base en grande partie sur une conférence donnée à l’USI (Lugano) en février 2022 à l’occasion du colloque international « Sources of knowledge in talk-in-interaction ». La présentation se fera en français, mais les diapositives seront en anglais.
Benjamin Storme & Laura Delaloye Saillen - Effets du genre grammatical sur les inférences de genre social : le cas des noms hybrides en français - 10 mai 2022
Un nombre croissant de recherches montre que le genre grammatical d’un nom biaise l’interprétation du genre social/biologique de son référent. Ce résultat, qui joue un rôle central dans les débats de société autour de l'écriture inclusive, a été établi à partir de recherches psycholinguistiques portant majoritairement sur les masculins génériques (par ex. les étudiants). Ces recherches ont montré que les masculins génériques ont tendance à être interprétés comme renvoyant spécifiquement à des hommes, même quand une interprétation générique incluant hommes et femmes est visée.Cette présentation décrit deux études expérimentales sur le français (160 participant⸱es) qui visent à répliquer ce résultat mais en utilisant un type de noms beaucoup moins étudié dans la littérature psycholinguistique : les noms hybrides à interprétation générique (par ex. individu, personne, talent, vedette, personnage, personnalité, etc.) . Comme les masculins génériques, les noms génériques hybrides peuvent renvoyer aussi bien à des hommes qu'à des femmes. Mais à la différence des masculins génériques, leur genre grammatical est invariable et, selon les noms, peut être non seulement masculin (par ex. un talent) mais aussi féminin (par ex. une vedette). La disponibilité des deux genres grammaticaux pour les noms hybrides permet de tester de façon plus complète l'effet du genre grammatical sur les inférences de genre.Les résultats de nos études sur les noms hybrides, établis à partir de données de jugement, vont dans le même sens que les résultats sur les masculins génériques et par conséquent apportent un nouvel argument en faveur de l'hypothèse d'une influence du genre grammatical sur les inférences de genre. En effet, les noms hybrides à genre masculin ont été jugés comme renvoyant de façon plus probable à des hommes que les noms sémantiquement proches à genre féminin (par ex. un talent vs. une vedette). Cependant les résultats n’ont pas révélé de biais symétrique pour les noms féminins : ceux-ci n’ont pas favorisé des interprétations féminines de leur référent mais ont eu tendance à être interprétés comme neutres du point de vue du genre. Ce résultat inattendu, qui semble remettre partiellement en cause l'hypothèse de biais grammaticaux dans les inférences de genre, sera discuté à la fin de la présentation.
Ana Claudia Keck & Clotilde Robin - L’expression du degré de certitude et de la source de l’information dans l’interaction - 2 mars 2021
Nos deux thèses respectives s’inscrivent dans un projet de recherche FNS collectif consacré aux prises de positions épistémiques (‘epistemic stance' (Heritage, 2012)) en français-en-interaction. L'objectif général du projet est de proposer une étude systématique des marqueurs épistémiques - au sens large - du français relevant aussi bien de la modalité épistémique (degré de certitude), tels que probablement, je crois, je pense, etc. que de l'évidentialité (source de l'information), tels que il paraît, j’ai vu, manifestement, etc., et ce dans une triple approche énonciative, interactionnelle et multimodale. Le projet collectif tend à suivre l'idée selon laquelle la modalité épistémique et l'évidentialité se regroupent à l'intérieur d'un domaine conceptuel plus général appelé epistemicity (Boye, 2012). Cette prise de position théorique permet alors de rendre compte de manière globale de la façon dont les marqueurs du doute, du savoir et du non-savoir se manifestent en français-en-interaction et comment ceux-ci sont utilisés par les interlocuteurs pour construire et moduler des positionnements épistémiques dans l'interaction. Le corpus commun sur lequel nous travaillons se compose de deux sous-corpus de données « politiques » avec des débats-conférences publics et des débats télévisés (env. 14h de vidéo-enregistrements), mais également d’un corpus de réunions professionnelles au sein d’entreprises (env. 14h).
Cette conférence sera ainsi l’occasion de présenter (1) le cadre théorique du projet de recherche, (2) les méthodes choisies pour l’analyse des marqueurs épistémiques et de proposer (3) une étude de cas au travers d’un extrait où apparaissent aussi bien des marqueurs relevant du degré de certitude que des marqueurs relevant de la source de l’information.
Clara Cohen - Deep Learnability: Using Neural Networks to Quantify Language Similarity - 27 avril 2021
Learning a second language usually progresses faster if a learner's second language (L2) is similar to their first language (L1). Yet global similarity between languages is difficult to quantify, obscuring its precise effect on learnability. Further, the combinatorial explosion of possible L1 and L2 language pairs, combined with the difficulty of controlling for idiosyncratic differences across language pairs and language learners, limits the generalizability of the experimental approach. In this study, we present a different approach, employing artificial languages, and artificial learners. We built a set of five artificial languages whose underlying grammars and vocabulary were manipulated to ensure a known degree of similarity between each pair of languages. We next built a series of neural network models for each language, and sequentially trained them on pairs of languages. These models thus represented L1 speakers learning L2s. By observing the change in activity of the cells between the L1-speaker model and the L2-learner model, we estimated how much change was needed for the model to learn the new language. We then compared the change for each L1/L2 bilingual model to the underlying similarity across each language pair. The results showed that this approach can not only recover the facilitative effect of similarity on L2 acquisition, but can also offer new insights into the differential effects across different domains of similarity. We finish by speculating on how these results can be expanded to uncover other unbiased measures of global language properties, such as inherent complexity; and whether learner-specific cognitive resources can be profitably added to our models.
Sam Zukoff - The Typology of Repetition Avoidance Patterns in Indo-European Reduplication - 4 mai 2021
A number of the ancient Indo-European (IE) languages display a typologically unusual alternation in reduplication, relating to the treatment of cluster-initial bases. For example, in Gothic, bases beginning in obstruent-sonorant (TR) clusters copy just the first consonant, but bases beginning in s-obstruent (ST) clusters do something else, namely, copy both consonants. When looking around the IE languages, we find two dimensions of variability relating to this kind of reduplicative alternation: (i) What alternative (i.e. non-C1-copying) reduplication pattern do the ST-clusters show? (ii) Which cluster types pattern with the ST-clusters and which pattern with the TR-clusters? In this talk, I'll explore the first of these questions, and develop analyses and explanations for the resulting (micro-)typology.
Ezer Rasin - How children learn the hidden sound patterns of their language: a computational approach - 12 novembre 2021
The sound system of a language contains patterns that humans learn from their input in the first few years of their lives. Some of those patterns are "hidden" (also called "opaque"), in the sense that they are only observable at a level of abstraction that is remote from the surface sounds that children hear. Such hidden sound patterns pose a cognitive puzzle: how do children make the inductive leap required to abstract away from the surface and discover a hidden sound pattern? In this talk I will present an approach to this puzzle based on the principle of Minimum Description Length (MDL) -- a mathematical formalization of Occam's Razor -- according to which children learn sound patterns by looking for the system of rules that provides the simplest description of their input. I will present a concrete MDL-based learning algorithm and successful simulation results using artificial datasets with hidden sound patterns like those found in natural languages. These results suggest that MDL is a promising general theory of language acquisition in the domain of sound.
Jonathan Kasstan - On the emergence of variable rules as a resource in severe language endangerment - 24 novembre 2021
The centrality of style is uncontested in sociolinguistics: it is an essential construct in the study of linguistic variation and change in the speech community. This is not the case in the ‘language-obsolescence’ literature, where stylistic variation among endangered-language speakers is instead understood as an ephemeral, ‘marginal’ (Hoeningwald 1989: 348) resource, as speakers are argued to undergo ‘stylistic shrinkage’, later becoming ‘monostylistic’ (e.g. Dressler and Wodak-Leodolter 1977: 37). While such characterisations are readily found (Mougeon and Beniak 1989: 309, Grinevald Craig 1997: 261, Holloway 1997: 149, Dal Negro 2004: 50, Roesch 2012: 192 inter alia), I argue that accounts of stylistic variation in language obsolescence are over-simplified and insufficiently theorised. Using data from a study on linguistic variation and change in severely endangered Francoprovençal, I argue that stylistic variation can in fact emerge from structural processes associated with obsolescence: among more fluent speakers, a categorical allophonic rule of /l/-palatalization before obstruents becomes underspecified. Speakers pick up on this variation and recruit variants strategically in socially meaningful ways. Among adult learners of Francoprovençal, novel palatal variants form part of an emergent sociolinguistic norm. Using these data, I offer some reflections on how studies of such minoritized languages might contribute to our understandings of the actuation of sociolinguistic variation.
D’après l’hypothèse de l’efficacité communicative des langues, les systèmes linguistiques sont façonnés par un compromis entre les besoins communicatifs des locuteurs (minimiser l’effort dans la production) et des auditeurs (comprendre le message transmis par les locuteurs).
Cette présentation soutient que cette hypothèse permet de rendre compte de deux faits déroutants dans le paradigme des pronoms en créole haïtien. Les facteurs morpho-phonologiques qui expliquent généralement la distribution des allomorphes pronominaux dans la langue ne s'appliquent pas aux pronoms singulier et pluriel de troisième personne dans certains contextes phonologiques. Nous montrons que ces contextes phonologiques se trouvent être des contextes où les allomorphes réguliers du singulier et du pluriel seraient homophones ou similaires. L'utilisation d'allomorphes irréguliers dans ces contextes peut alors être comprise comme une stratégie pour maintenir le singulier et le pluriel suffisamment distincts pour l’auditeur. L'argumentation s'appuie sur des données provenant de deux variétés haïtiennes et inclue des données de corpus, des données de jugement et des données perceptuelles.
Le cas des pronoms haïtiens est également pertinent par rapport aux débats actuels sur la façon dont l'efficacité de la communication façonne les langues : émerge-t-elle seulement en diachronie ou est-elle imposée par les locuteurs en synchronie ? Une des stratégies utilisées pour éviter l'homophonie dans la variété septentrionale de l’haïtien consiste à emprunter le pronom utilisé dans la variété standard. Il est peu plausible que cette stratégie soit le résultat d’erreurs perceptuelles de l’auditeur, comme le postulent les modèles purement diachroniques de l’efficacité de la communication. En revanche, ce type de stratégie est compatible avec l’hypothèse selon laquelle l'efficacité communicative est pertinente en synchronie.
Robin Meyer - La pertinence de la typologie concernant le contact des langues - 17 novembre 2020
Malgré l’insistance de chercheur.euse.s structuralistes et générativistes que les types d’éléments et structures empruntables par une langue à l’autre sont limités par des facteurs divers (compatibilité typologique, «naturalness», etc.), ma recherche sur les emprunts syntaxiques (en particulier «pattern replication») suggère qu’a priori il n’y existe aucune contrainte typologique générale qui limite des tels emprunts.
Par contre, même si les différences typologiques entre les langues en contact n’influencent pas le processus d’emprunt, elles se révèlent importantes pour la grammaticalisation de syntagmes empruntés. Je propose que la typologie, sous la forme de «pression systémique», interagit avec des facteurs socio-historiques et la fréquence du syntagme en question en déterminant la rétention, adaptation, ou perte de ce syntagme.
Les arguments avancés se basent sur les observations de trois situations de contact avec des langues iraniennes : l’araméen ancien avec le vieux perse ; l’arménien ancien avec le parthe ; et le néo-araméen oriental avec les dialectes kurdes. Dans chaque cas, la structure d’actance ergative-absolutive de l’iranien a été répliquée, grammaticalisée plus ou moins effectivement, et enfin perdue, remplacée par une structure nominative-accusative. Je démontre que cette perte est causée par une combinaison de facteurs mentionnés ci-dessus.
Indo-European nominal t-stems have specific semantic and formal features, that set them apart from other consonant stems (Vijūnas 2006). Concrete nouns found in more than one branch, such as *nókw-t- ‘ night’ or *nép-ot- ’nephew, grandson', are rare. The much less frequent d-stems share some of these specifics. Several striking and enigmatic features can be explained if we connect the t-stems with the origins of the instrumental endings -t, -it, -et in Hittite, and of the ablative ending *-d of non-Anatolian Indo-European. This topic takes us into the reconstruction of PIE argument structure and verb valency.
La voix est porteuse d’éléments linguistiques, mais aussi paralinguistiques. Ces éléments donnent en général des informations sur les caractéristiques sociales du locuteur ainsi que sur la situation d’interaction. C’est notamment le cas pour les voyelles, dont la prononciation peut donner des informations sur le niveau social du locuteur [Labov, 1990]. La prononciation des phones peut également donner des informations sur le contexte d’interaction, sur l’activité de communication en cours lors de la production d’un énoncé [Harmegnies & Poch-Olivé, 1992, 1994 ; Scarbourough et alii., 2007, 2013, 2015].
La présente étude démontre, à travers une analyse phonétique de corpus, que la qualité vocalique donne également des informations sur l’identité de l’interlocuteur. L’analyse du corpus PFC-Suisse [Andreassen et al., 2010 ; Racine et Andreassen, 2012], a en effet montré un faisceau de caractéristiques vocaliques différentes lors d’une discussion entre époux et lors d’une discussion avec une enquêtrice : les voyelles sont plus longues mais aussi plus hypoarticulées dans la discussion entre époux que dans la discussion avec une enquêtrice. Une analyse de la variation interlocuteur a également montré une certaine convergence dans les caractéristiques vocaliques des phones produits par les couples.
Au millénaire du numérique, chacun a un avis sur les bonnes pratiques alimentaires à adopter. Il suffit parfois de tendre l’oreille ou de se souvenir du dernier souper de famille pour s’en rendre compte: « pour ne pas grossir, il faut privilégier les sucres lents, comme les pâtes » disent les uns. « Les pâtes ne sont en fait pas des sucres lents, vu leur indice glycémique très élevé » répondent d’autres. « Il faut boire du lait pour avoir des os durs » reprennent les premiers, et les seconds rétorquent « c’est de la propagande des lobbies laitiers : les êtres humains ne sont pas faits pour boire du lait de vache. La preuve, c’est que deux tiers de la population mondiale sont allergiques au lactose ! » Et les uns tenteront de convaincre les autres en leur montrant leur petit écran : « regarde, là, c’est écrit ! »
« À l’ère numérique, ce sont les informations qui trouvent les lecteurs, plutôt que l’inverse » (Antheaume 2016 : 78). Cette constatation d’Antheaume est forte de sens : un contenu avec lequel un lecteur potentiel est en désaccord ne lui sera vraisemblablement pas proposé, car les algorithmes sont conçus de telle sorte qu’un point de vue n’est livré en priorité qu’à celui qui s’y intéresse. Ce phénomène nous rappelle que des autorités habituellement établies ont perdu continuellement en reconnaissance et en pouvoir d’adhésion au fil des dernières décennies. Boullier (2016 : 25) montre que le numérique a pour effet d’amplifier cette tendance, en rendant possible des publications d’amateurs qui n’ont pas le statut d’autorité mais qui, pourtant, gagnent en visibilité en très peu de temps. Cela pose la question de l’objectivité algorithmique notamment soulevée par Gillespie (2012).
Cette contribution analyse les comportements alimentaires à l’époque du numérique. Notre travail consiste à étudier – sur la base d’exemples – si les algorithmes d’un moteur de recherche comme Google peuvent conforter une position, voire la renforcer par un processus que l’on appelle le biais de confirmation. Par des méthodes de topic-modeling (à savoir la visualisation thématique de contenus de recherches par l’application d’un modèle probabiliste), nous cherchons à investiguer quels sont les liens entre une requête Google par un utilisateur et le résultat que lui renverra le moteur de recherche. Google nous aide-t-il a remettre en question ce que pensons savoir – notamment sur nos pratiques alimentaires – ou contribue-t-il à renforcer nos idées en nous envoyant vers des sites qui confirment nos croyances préalables ?
L’étude de l’évolution des sens modaux constitue un des piliers du projet de recherche FNS WoPoss. A world of possibilities. Modal pathways on the extra-long period of time : the diachrony of modality in the Latin langue. À partir de données linguistiques issues de l’analyse de corpus et ancrées dans la philologie textuelle, le projet WoPoss vise à créer un modèle interprétatif valable pour l’étude de la modalité et du changement sémantique au-delà du cas spécifique du latin. Dans une perspective de longue durée le projet WoPoss vise à créer des instruments utiles pour s’interroger non seulement sur la continuité entre latin et langues romanes (par ex. lat. debeō et fr. devoir, it. dovere, etc.), mais aussi sur le renouvellement du lexique modal (par ex. lat. conveniō « venir ensemble, convenir » et fr. convenir « convenir, être opportun »). C’est dans cet esprit que, dans ma communication, je présenterai un travail en cours sur l’émergence d’une valeur modale de nécessité dans l’italien occorrere. Ce phénomène n’a pas encore été étudié ni dans une perspective diachronique (le sens modal n’est pas attesté en latin), ni dans une perspective théorique (comment émerge-t-elle cette valeur modale ?). L’étude de l’évolution sémantique du verbe italien occorrere sera l’occasion pour s’interroger sur des questions théoriques, comme par exemple, le rapport entre modalité et grammaticalisation, mais aussi pratiques, comme par exemple, les difficultés rencontrées dans l’exploitation de corpora qui ne sont pas pensés pour l’analyse linguistique.
Antoine Viredaz - Les contacts linguistiques du dialecte grec ancien de Tarente : latin, osque, messapien - 17 décembre 2019
La colonie spartiate de Tarente a été fondée à la fin du 8e s. av. J.-C. en Italie du Sud. Dès leur implantation sur sol italien, les Tarentins ont été en contact avec des populations de langue non grecque: locuteurs du messapien et de l’osque d’abord, puis du latin. Toutefois, le caractère fragmentaire de la documentation sur le dialecte grec ancien de Tarente ne permet pas de saisir immédiatement l’ampleur et la nature des phénomènes de contacts linguistiques impliquant le grec tarentin et les langues des populations voisines. Dans cet exposé, je commencerai par dessiner un cadre historique présentant (1) les premiers contacts entre Tarentins et locuteurs de langues non grecques et (2) la nature de ces contacts à l’époque hellénistique. Puis j’examinerai une série de documents littéraires et épigraphiques pouvant être interprétés comme des indices des contacts linguistiques entre grec tarentin d’une part, et latin, osque et messapien d’autre part.
La cité de Tarente a été fondée à la fin du 8e s. av. J.-C. en Italie du Sud, sur la mer Ionienne, par des colons grecs venus de Sparte. Au moins jusqu’à l’avènement de la domination romaine sur cette ville (209 av. J.-C.), celle-ci a fait figure de pôle à la fois culturel et politique dans une région caractérisée, jusqu’à la fin de l’époque hellénistique (4e-1er s. av. J.-C.), par une importante diversité ethnique et linguistique. Cette circonstance a conduit, notamment aux 4e-3e s. av. J.-C., à la cohabitation fréquente d’individus parlant des langues différentes et portant des identités ethniques et culturelles variées. La Tarente préromaine offre ainsi un terrain de grand intérêt pour une étude de sociolinguistique historique. À cet égard, plusieurs questions peuvent être posées : quelles langues autres que le grec y étaient parlées ? Quel rapport les Grecs tarentins entretenaient-ils avec les autres langues (notamment latin, osque, messapien) ? Et quel était leur rapport à leur propre dialecte ? Quelles stratégies de gestion des pratiques langagières étaient mises en œuvre dans les divers domaines de la vie culturelle tarentine (cercles philosophiques, troupes de théâtre, ateliers d’artistes, etc.) ? Dans cette perspective, la recherche des caractéristiques propres au dialecte grec de Tarente, et des possibles influences exercées sur lui par des substrats ou adstrats non grecs, revêt une importance particulière. Une telle étude se fonde sur un examen philologique de sources variées : textes épigraphiques sur pierre ou métal, sur vases, sur monnaies, textes de tradition manuscrite directe ou indirecte. Malheureusement, dans le cas du tarentin, les sources épigraphiques sont rares et leur chronologie difficile à établir, rendant très incertaine toute hypothèse relative à son développement en diachronie. Quant aux sources manuscrites, elles reflètent souvent moins le dialecte parlé par leur auteur qu’un idiome artificiel dont les conventions sont dictées par des contraintes de genre littéraire. Face à cette insuffisance de documents utilisables, les données transmises par la tradition lexicographique de l’Antiquité tardive acquièrent un poids certain. On connaît en effet, grâce principalement au grammairien Hésychios d’Alexandrie (6e s. ?), une centaine de gloses que les lexicographes antiques attribuent au dialecte tarentin. Une étude systématique de ce matériau, sous un angle à la fois philologique et étymologique, fait encore défaut. Elle permettrait pourtant, dans plusieurs cas, de corroborer les rares informations livrées par les documents épigraphiques et littéraires.
L’ambiguité est un phénomène omniprésent dans les langues : les mots ont souvent des sens multiples. Cependant, il y a également des contraintes sur les types d’ambiguité observés dans les langues. Par exemple, dans la typologie des systèmes morphologiques de genre, on observe que les pronoms pluriels sont plus souvent ambigus quant au genre de leur référent que les pronoms singuliers (comme en anglais, où le singulier distingue he et she mais le pluriel n’a qu’une seule forme they, ambiguë entre masculin, féminin et mixte). Cela suggère que l’ambiguité n’est pas un phénomène purement aléatoire. La question qui se pose alors est la suivante : quels sont les principes qui régissent l’ambiguité dans les langues ?
Dans cette présentation, je me focalise sur la question de l’ambiguïté dans les paradigmes morphologiques, connue sous le nom de “syncrétisme morphologique”. Par exemple, dans les pronoms de troisième personne anglais, le genre est syncrétique au pluriel mais pas au singulier. Comment expliquer les tendances typologiques observées dans ce domaine ? Plus spécifiquement, pourquoi certains contextes grammaticaux favorisent le syncrétisme morphologique d’autres traits grammaticaux ? Par exemple, pourquoi le pluriel favorise le syncrétisme de genre dans les pronoms à travers les langues ?
Dans cette présentation, je reprends l’idée selon laquelle l’omniprésence de l’ambiguité dans les langues s’explique par des considérations communicatives (par ex. Piantadosi, Tily et Gibson, 2012). L’ambiguité permet en général de réduire la taille du lexique. En revanche, elle pose un problème du point de vue de l’auditeur qui doit décoder la morphologie et doit choisir entre plusieurs sens possibles. Un système communicativement optimal devrait par conséquent pouvoir permettre de l’ambiguité mais on s’attend à que celle-ci se manifeste préférentiellement dans des contextes morphologiques où elle est moins préjudiciable, c’est-à-dire dans des contextes où il existe une bonne stratégie de désambiguisation. Je montre comment cette approche prédit correctement les contextes favorisant le syncrétisme morphologique dans quatre études de cas. La présentation inclura également une comparaison avec l’analyse générativiste de Harley et Ritter (2002) et l’approche diachronique de Haspelmath et Sims (2010).