Quelle est l'hsitoire du CAN-TEAM ?
De l’importance des chiffres
Concernant l’historique du CAN-TEAM (« Child Abuse Neglect Team »), il faut réaliser qu’avant, c’est-à-dire en 1994, il y a 27 ans donc, on commençait à parler de maltraitance et de la détection de maltraitance dans les hôpitaux : on a alors interrogé notre système informatique qui nous a montré qu’entre 1980 et 1990, il y avait entre 1 et 10 cas par année qui portaient le diagnostic de mauvais traitement. Bien sûr qu’on était en dessous de tout ce qu’on lisait dans la littérature médicale par rapport au pourcentage d’enfants maltraités, puis on a décidé, à ce moment-là, de mettre en place un CAN-TEAM qui était une équipe, pas de spécialistes, mais des personnes qui étaient sensibilisées à cette problématique et qui avaient une mission de détection des mauvais traitements et de prise en charge des enfants qui étaient victimes de mauvais traitements.
Un volet « prise en charge » : se spécialiser en tant que professionnel pour détecter et agir
Logiquement, si on veut éviter que la maltraitance survienne, il faut identifier les facteurs de la maltraitance et agir sur ces facteurs avant qu’ils ne se réalisent. Il y a eu d’emblée ces deux volets -dépistage du risque et détection des situations de mauvais traitements avérés- où dans les secteurs cliniques, hospitalisation polyclinique, urgences, spécialités, on a petit à petit sensibilisé tous nos collègues à cette problématique. Souvent la maltraitance était pressentie, sous-entendue mais on ne posait jamais les bonnes questions. Pourquoi ? Parce qu’il n’y avait pas les bons outils ; quand on pose une question par rapport à la maltraitance et qu’il n’y a personne autour de nous qui peut nous aider – pour finir on ne pose plus la question parce qu’on ne sait qu’en faire. Et puis parler de maltraitance, détecter des cas et qu’il ne se passe rien, cela empire peut-être encore la situation des enfants victimes !
Un volet « prévention » : un travail en équipe pluridisciplinaire
Et puis, il y a eu le volet prévention qui s’est plus mis en place en néonatalogie et en maternité ; durant la grossesse il y a cette période de transparence psychique où l’accès au vécu des mamans en particulier est favorable. On a mis en place une équipe avec des sages-femmes conseillères, des assistantes sociales qui pouvaient s’entretenir avec les futures mères ; et puis, elles pouvaient partager, dans un colloque pluridisciplinaire, les éléments justement qui étaient peut-être précurseurs ou identifiés comme facteurs de risques par rapport à la survenue d’une maltraitance.
On a commencé à deux personnes en 1994, puis petit à petit, l’équipe s’est étoffée, en particulier depuis 2014 lorsque la Direction Générale de la Santé (à l’époque, il s’agissait de la Santé Publique) a reconnu cette mission comme une tâche de santé publique et elle nous a octroyé un budget nous permettant d’augmenter le nombre de collaborateurs à environ 6 ETP (équivalents temps plein) répartis sur une douzaine de personnes ! De fait, c’est tout de suite devenu une unité importante au sein de l’hôpital car les unités comme la gastroentérologie, la néphrologie, etc…, ce sont des petites unités – souvent il y 2 - 3 médecins et puis, 2 - 3 infirmières – souvent, ce ne sont même pas des infirmières dédiées à la spécialité, elles sont polyvalentes.
Donc, on a notre position qui s’est vue reconnue dans le cadre de l’hôpital.
Peut-on parler d’une lutte politique pour en arriver là, entre les deux personnes du départ et les douze 10 ans plus tard ?
Ça a été vraiment progressif mais disons dans une pente légèrement ascendante, il y a vraiment eu un bond en 2014 avec cette reconnaissance et puis la dotation de l’équipe.
La clinique de la maltraitance, un outil spécifique
Et puis là, il y a beaucoup d’acteurs autour de la maltraitance ; on le voit à l’Observatoire de la maltraitance envers les enfants (OME), au comité scientifique, ce sont des gens qui viennent d’horizons très différents avec si j’ose dire du matériel très différent. C’est-à-dire qu’ils abordent la maltraitance sous des angles très variés.
Nous, ce qu’on détient, ici à l’hôpital, c’est la clinique de la maltraitance. C’est vraiment ce qu’il faut mettre en avant, ce qui nous donne notre place, notre légitimité, ce que nous sommes les seuls à pouvoir dire : « non, telle et telle lésions, ce n’est pas un accident, c’est quelque chose qui a été provoqué ». Donc, pour sensibiliser autour de nous, on a utilisé beaucoup cet outil clinique et on a cherché à former les professionnels avec cet outil clinique – d’abord les médecins pédiatres, les généralistes et puis les infirmières – l’infirmière de soins à domicile notamment.
Donc le CAN-TEAM organise des formations auprès des différents professionnels ?
Du CHUV aux structures externes : une expertise partagée et du matériel rendu accessible
Oui, donc au départ, c’est beaucoup de formations en interne, puis en 2014, en contre partie du budget obtenu, notre mission qui s’est élargie au canton. On a eu comme tâche supplémentaire – pas « d’aller faire du CAN-TEAM » dans tous les coins du canton si je puis dire, mais d’apporter un soutien humain, d’abord de connaissance clinique, et puis logistique dans les autres structures. Comme par exemple, si des professionnels d’un service des urgences veulent faire une résonnance magnétique parce qu’ils pensent qu’un bébé a été secoué, c’est la croix et la bannière pour obtenir un rendez-vous au CHU, donc ce service passe par le CAN-Team pour qu’il prenne le relais dans ces situations-là et organise les examens qu’il faut faire ou de temps en temps, il peut s’agir de dispenser des soins spécialisés aux enfants.
L’apport de la (pédo)psychiatrie : de la maladie psychique des enfants et de leur famille à la conduite d’entretien
Et puis, une autre chose qui s’est beaucoup développée, c’est la collaboration avec les pédopsychiatres ; et par la suite, avec les psychiatres parce qu’un des facteurs de risques qui est reconnu par rapport à la maltraitance c’est la maladie psychique. Or, au CAN-Team on était complètement démuni par rapport à cette discipline qu’on ne connait pas. La collaboration avec les pédopsychiatres est importante – non seulement par rapport aux maladies psychiques mais aussi dans toutes les techniques d’entretien avec les familles – c’est clair, les familles qui ont toujours tout raté et qui sont maltraitantes, si on les aborde de façon frontale en mettant le doigt sur leurs fragilités, leurs vulnérabilités, souvent ce sont des familles qui se mettent sur les pattes arrières et qui ne vont pas s’ouvrir et qui seront un petit peu imperméables au changement enfin aux outils qu’on peut leur proposer et qui permettraient de changer la situation. Donc actuellement, dans le CAN-TEAM, on a un tout petit moins de dotation en personnel médical. Ce qu’on a beaucoup mis en avant ces derniers temps, c’est le rôle des psychologues. On a 1,8 ETP psychologue contre 1,7 ETP de médecin.
Les infirmières en première ligne
L’idée c’était vraiment de créer une équipe plus grande qui puisse répondre aux besoins des familles. À noter également le rôle des assistantes sociales qui ont une place très importante (1,5 ETP d’assistante sociales) et puis les infirmières qui sont en première ligne auprès des malades. Leur intégration a constitué une partie conséquente du projet. Un important travail de sensibilisation a été conduit ces dernières années auprès des infirmières sur cette problématique. Elles sont en première ligne : un enfant peut choisir une infirmière parce qu’elle est présente depuis 2 ou 3 jours, que l’enfant a un lien de confiance avec elle et qu’il va lui dire « tu ne sais pas ce que papa me fait, etc. ». Pour que la porte ne se ferme pas, il y a eu cette sensibilisation.
Sensibiliser les professionnels
Si je prends l’exemple du Nord Vaudois, sur 3 ans, on a fait des cours de sensibilisation d’une journée complète avec toute notre équipe – avec les psychologues et assistants sociaux qui abordaient toutes ses formes de maltraitance (y compris la violence conjugale), et sur 3 ans, on a formé à peu près 90 % des infirmières qui travaillent en pédiatrie, à la maternité, dans les hôpitaux d’Yverdon et Payerne. Maintenant, on fait la même chose avec l’Ouest. Et puis au Centre, c’est quelque chose qui s’est mis en place bien auparavant, mais maintenant il y a de nouveau des cours plus intensifs pour former le maximum de personnes. Donc, tout ça pour vous dire, qu’outre la clinique, la formation c’est vraiment le 2ème élément clé, disons de la mission du CAN-TEAM.
Un volet « recherche » : créer des outils au service de la clinique
Enfin, le troisième volet concerne la recherche, mais c’est vraiment marginal parce qu’on n’a pas une dotation qui permette de faire de la recherche. Mais, à notre niveau, on encadre pas mal de travail de master. Il y a par exemple une étude qui sort ou un outil que nous mettons au poing pour la détection de la violence familiale, enfin, des choses comme ça.
L’exemple de la violence intrafamiliale
Par exemple, actuellement, on travaille sur une sorte d’algorithme, essentiellement sous forme de questions successives par rapport à la violence intrafamiliale. On s’est donné une année pour tester cet outil ici - qui pourra éventuellement être diffusé ailleurs.
Les cas d’exposition des enfants à la violence conjugale
Un autre outil, toujours par rapport à la violence intrafamiliale, traite des enfants exposés à la violence familiale de parents. On voit beaucoup de parents, c’est la moitié de notre effectif, mais ces enfants, on ne les voit pas ou très peu d’entre eux. Donc là, il va y avoir une recherche, financée par la DGEJ et qui en ce début d’année, dans laquelle on va essayer de voir le maximum d’enfants exposés à cette violence avec l’objectif, premièrement, d’évaluer leurs situations et les répercussions que cette violence a sur leur développement et deuxièmement, de les orienter vers les services et soins adéquats. C’est vraiment une appréciation de l’orientation vers des structures. Alors, les enfants qui vont relativement bien, ils seront orientés chez le pédiatre, et puis ceux qui montrent vraiment des signes de l’altération de leur développement, des comportements, ils seront orientés vers le SUPEA.
Et à quel niveau ces enfants sont-ils identifiés ?
La plupart sont identifiés au niveau de l’Unité de médecine des violences (Unité de médecine des violences, UMV). C’est-à-dire, un des parents consulte, raconte des actes de violence subie. Une des premières questions que les infirmières de l’UMV pose c’est : Est-ce que vous avez des enfants ? Et, lorsque la réponse est oui, elles sont averties : on dit que les enfants sont souvent impactés par cette violence et qu’ils doivent être évalués. Les infirmières expliquent qu’elles vont en parler au CAN-TEAM. On craignait que cette information, donnée rapidement lors de consultations comme entrée en matière dans ses consultations, pousse les victimes à peu dévoiler ce qu’elles vivent, ou carrément quitter la consultation. Mais en fait, il y en a très peu de refus, ils se comptent sur les doigts d’une main les cas des mamans qui vont dire « oh non, si vous mettez mes enfants là-dedans, je préfère m’en aller », c’est très rare. Lorsqu’elles viennent dans ces consultations, il y a une motivation à ce que les choses changent et la plupart des victimes acceptent qu’on parle des enfants. Ensuite, le CAN-Team rencontre les infirmières ou médecins de l’UMV - qui fait un constat médico-légal – et puis on rencontre ces familles après et on cherche à mettre en place un soutien, une aide - souvent c’est par la pédopsychiatrie justement pour qu’il y a quelque chose qui change dans le dysfonctionnement familial. Et, dans les situations où ce soutien est refusé par les familles et que les enfants restent exposés à une forme quelconque de maltraitance, nous « passons la main », conformément à la loi sur la protection de la jeunesse du canton de Vaud : nous rédigeons un signalement à l’intention de la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ) qui va pouvoir évaluer de façon approfondie les dangers que courent les enfants et mettre en place des moyens de protection.