Mais j’aimerais pointer un paradoxe en lien, me semble-t-il, avec le fait que dans la société il y a toujours des mouvements de balancier, je m’explique : il y a eu toute la phase où la parole de l’enfant n’était pas vraiment écoutée, où la question de l’abus sexuel était taboue. Désormais, on assiste à un retour du balancier dans le sens où à la moindre allégation, il y a tout de suite pénalisation de la situation, sans se donner le temps de prendre un peu de recul et de mettre un peu de bon sens. Donc par rapport à cette tendance, que je perçois depuis environ 3 ans, je me dis : « soyons prudents, ne nous précipitons pas tête baissée. »
Cependant, j’insiste sur le fait que les allégations d’abus sexuels sont toujours une urgence, ils vont passer avant la liste d’attente. Mais il faut se donner le temps de la réflexion, car parfois on a l’impression qu’on pourrait avoir tendance, la société aurait tendance à se protéger - par crainte qu’on lui adresse des reproches -, plutôt qu’à vraiment mentaliser la situation et essayer de comprendre les tenants et aboutissants de certaines allégations. Mais je peux aussi comprendre que ce message soit complexe à entendre et à comprendre.
Disons, je l’entends et je trouve pertinent de le pointer par rapport à cette pression que vous évoquiez, et finalement, je me dis qu’il y a aussi le danger que ces temps de réflexion disparaissent ou s’amenuisent face à cette pression mise sur les professionnels.
Au début de ma pratique, lorsqu’il y avait une allégation, je rencontrais les parents, la mère ou les parents, puis j’essayais de me faire une idée de comment cette allégation était venue. Je m’interrogeais sur le risque de manipulation ou d’instrumentalisation de la parole de l’enfant, ainsi que sur le risque que des jeux qui peuvent être réputés plus ou moins normaux (typiquement le jeu du touche pipi) pourraient être interprété du domaine de l’abus sexuel par un individu particulièrement sensible et particulièrement stressé. Et c’est sûr que j’aurais tendance à continuer de procéder ainsi.
Mais à l’heure actuelle, dès lors qu’il y allégation d’abus sexuel, il y a la tendance à signaler à la DGEJ qui souvent dépose plainte. Or, le dépôt de la plainte risque de faire beaucoup plus de mal que de bien. À savoir que du fait des délais de la justice pénale, si l’allégation est fausse ou s’il y a eu une mauvaise interprétation - et qu’in fine un non-lieu est prononcé –, pendant toute cette période, en général, les pères, les beaux-pères ou les grands-pères (ou autres) n’ont plus accès à l’enfant et des haines se développent. Il est vrai que dans la majorité des cas les allégations sont justes, mais il arrive aussi qu’elles soient dictées par une grande angoisse ou par des manipulations. C’est une minorité mais cela arrive, il faut donc que nous soyons prudents et prenions le temps de réfléchir.
Et de ce fait, comme vous le disiez, sous l’influence de la peur, on assiste à un effet de surprotection et certaines erreurs peuvent être commises : erreurs qui ont aussi un impact sur toutes les personnes qui sont engagées dans cette situation.
Oui effectivement, de telles procédures peuvent faire du mal à une famille. Mais on a bien vu comment, s’il y a effectivement abus sexuels à l’intérieur d’une famille, cela détruit l’individu également.
Oui, finalement, dans les 2 cas, vrai ou pas, il y a des destructions, même si probablement de natures différentes.