Projet, résultats, enseignements

Le contexte | Le projet | Déroulement | Résultats | Conclusions et perspectives
 

Le contexte

Trois enjeux principaux ont été identifiés:

  • Le regard fragmenté sur la réalité, notamment l'opposition permanente entre le Social et l’Economique. Résultant de la spécialisation Moderne, cette opposition représente la grille de lecture dominante pour appréhender la réalité, tant dans le monde académique que dans l'administration publique et la vie politique. Elle conduit les acteurs publics et privés à se focaliser sur l'une ou l'autre dimension, limitant ainsi la possibilité de répondre efficacement aux enjeux complexes du 21eme siècle. Finalement, elle force les acteurs à choisir entre une structure économique ou une structure sociale et peine à reconnaître et à intégrer les acteurs hybrides désireux de combiner des enjeux sociaux et des enjeux économiques.
     
  • Déséquilibres croissants et problèmes complexes. La complexité croissante des enjeux économiques, environnementaux et sociaux semble exiger des solutions elles-mêmes complexes. Le développement durable passe par des solutions qui combinent les différents secteurs de la société. Les acteurs sociaux doivent donc être capables de mieux prendre en compte la réalité économique tandis que les acteurs économiques doivent être capables de mieux intégrer les enjeux sociaux et environnementaux.
     
  • La difficulté à mesurer et valoriser le non-quantifiable. Dans un univers dominé par le quantitatif (lui-même souvent réduit au  monétaire), il est souvent difficile de valoriser des données qualitatives ainsi que les conséquences à long terme. Comment chiffrer ce qui n’est pas quanti-fiable, comme le bien-être produit par la réinsertion d’un chômeur de longue durée ? On peut certes calculer les coûts évités pour la collectivité, respectivement la contribution économique du travail de cette personne, mais comment agréger le résultat que peut avoir à long terme une telle réinsertion sur la qualité de vie de cette personne et de sa famille et, par ricochet, sur le succès ou l'échec scolaire de ses enfants, sur son engagement renouvelé dans la vie sociale et politique du quartier, etc.? Il est indispensable de développer des évaluations du bien-être créé qui prennent davantage en compte des aspects qualitatifs et à long terme. Faute d'avoir d’autres indicateurs, impliquant une autre représentation du réel, les politiques manqueront d'outils pour véritablement initier une réorientation de la société vers un développement durable.

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Le projet

Afin de répondre à ces défis, le projet a choisi une approche interdisciplinaire et une définition large des acteurs hybrides plutôt que la focalisation sur un segment ou sur un courant spécifique. Le concept de nébuleuse a été retenu pour définir le champ. Ce qui sous-entend que si certains acteurs forment le cœur de l'hybride socio-économique, d'autres acteurs traditionnellement rattachés à l'un ou l'autre des secteurs traditionnels de l'économique ou du social ne peuvent être exclus a priori (Figure 1).

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Figure 1: Logique du recensement de la nébuleuse de l’ESS

Ainsi, bien que des outils aient été développés pour appréhender les caractéristiques et les contributions des différentes organisations, les chercheurs n'ont pas fixé de critères pour inclure ou exclure des acteurs du champ de l'ESS au-delà la notion d'hybridité dans les intentions des acteurs – la fixation de tels critères étant nécessairement, dans ce contexte, de nature politique. La méthode choisie offre une manière de positionner les acteurs sur chacune des dimensions, mais le respect de la neutralité scientifique empêche de circonscrire la nébuleuse avec une frontière nette qui permettrait d'inclure, respectivement d'exclure, de manière objective et définitive, les différents acteurs.

De plus, l'analyse empirique a intégré les « aspects sociaux » et les « aspects économiques » en une entité indissociable. En effet, dans un environnement complexe, nous ne pouvons réduire la gestion à sa seule dimension économique ou le bénévolat à sa seule dimension sociale. De même, des concepts tels que la gestion participative ne peuvent en effet être scindés en un aspect économique et un aspect social.

Finalement, le projet a mis en valeur et a présenté de manière systématique et synthétique les nombreuses contributions socio-économiques des organisations hybrides — sans nécessairement chercher à les quantifier ou à les comparer.

De manière générale, l'approche hybride et exploratoire visait à respecter la complexité d'un champ aux contours flous et la double nature des acteurs. Il s’agissait également de valoriser, aux yeux de la société et des pouvoirs publics, la pertinence de la contribution spécifique des acteurs hybrides dans un monde de plus en plus interconnecté.

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Déroulement

Tout d'abord, une revue de la littérature a permis de positionner la nébuleuse des acteurs socio-économiques romands par rapport notamment aux courants français (traditions de l'économie sociale, l'économie solidaire, puis l'économie sociale et solidaire) et anglo-saxon (social entrepreneurship).

Ensuite, un double échantillon a été constitué. Nous avons tout d'abord inclus les membres d'organisations faîtières reflétant une logique hybride sociale et économique (p.ex. Après-VD et la Fédération romande de l'agriculture contractuelle de proximité). Nous les avons ensuite invités, selon la méthode « boule de neige », à nous communiquer les coordonnées des acteurs qui, selon eux, font partie de la nébuleuse ESS. Cette démarche a été renforcée par la publication d'un article dans le quotidien 24 heures ainsi qu'un formulaire web permettant de nous communiquer des acteurs à inclure. Un deuxième échantillon a été créé avec les coopératives, fondations, et associations du registre du commerce non incluses dans le premier échantillon (excepté celles en lien avec les fonds de pensions, les EMS et les partis politiques), soit les formes d’entreprise traditionnellement associées à l’ESS.

Nous avons envoyé à tous ces acteurs recensés un premier questionnaire portant sur leur fonctionnement interne. Un deuxième questionnaire a été envoyé pour cerner la diversité de leurs contributions socio-économiques. Alors que le premier questionnaire a permis de comparer les différentes manières de combiner les aspects sociaux avec les aspects managériaux et économiques, les résultats du deuxième questionnaire ont permis de d’appréhender la richesse, mais aussi la complexité et la subtilité, des diverses contributions socio-économiques directes et indirectes.

Finalement, en marge de cette recherche, un colloque sur les entreprises coopératives a été organisé à l'occasion de l'année internationale des coopératives. Au vu du succès de cet événement, un deuxième colloque portant sur la gouvernance participative a été mis sur pied.

Tout au long du processus, les diverses présentations publiques, colloques, tables rondes et autres ateliers ont permis la discussion avec la société civile des résultats et réflexions sur la situation des acteurs hybrides romands – discussion qui a permis d'affiner les conclusions théoriques du projet. De plus, des séances régulières avec notre partenaire (après-VD) ont permis de définir les lignes générales, priorités et stratégies pour atteindre les acteurs de la nébuleuse dans un contexte où aucun registre, aucune faîtière, ni aucun mouvement n'offre une base de données raisonnablement complète.

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Résultats

Pour la société civile, le projet a permis d'une part le développement d'outils d'(auto-)évaluation et de comparaison au niveau du fonctionnement interne (cf. figure 2). Cet outil a été utilisé pour donner un feedback personnalisé aux organisations qui ont rempli le questionnaire en ligne et pour discuter des forces et faiblesses de différents types d'acteurs, notamment en fonction des formes juridiques. Un questionnaire permettant de se positionner par rapport aux contributions sociales et économiques a également été développé. Bien que ce deuxième questionnaire n'ait pas conduit à la création de résultats standardisés, il offre néanmoins un fil rouge pour l'(auto-)évaluation des différents domaines de contributions sociales en fonction des phases de production au sein d'une organisation: les phases 1 et 2 de la figure 3 correspondent à la contribution de type RSE (responsabilité sociétale des entreprises), alors que la phase 3 peut être divisée en deux types de contributions: la résolution d'un problème social spécifique et l'enrichissement de la qualité de vie en général.

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Figure 2 : Comparaison des positionnements des acteurs (fonctionnement interne)

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Figure 3: Les 3 phases au cours desquelles une entreprise peut contribuer au bien-être collectif

L'étude a également mis en évidence que l'utilisation extensive du terme « utilité publique » par les acteurs de l'ESS sans jamais le définir clairement rend parfois la finalité sociale de l'ESS ambiguë. De plus, au vu de la complexité et de la pluralité des courants existants en Suisse, il semble inévitable que plusieurs faîtières, représentant les divers courants d'acteurs hybrides, émergent. Si le manque de cohésion parmi ces réseaux peut représenter une faiblesse, il rend également le discours de l'ESS et de l'entrepreneuriat social attractif et incontournable en permettant d'inclure de nombreux acteurs qui ont des approches et priorités diverses, mais qui tous partagent une hybridité de leurs finalités sociales et économiques.

De plus, la rapport recommande la mise en place de politiques publiques transversale afin de répondre aux enjeux complexes de demain. Au-delà de la création d'offices interdépartementaux pour assister les acteurs hybrides, nous recommandons une meilleure prise en compte de l'hybridité dans les mesures et projets existants, tels que la promotion économique (qui tend à oublier les formes juridiques hybrides telles que la coopérative) ou les appels d'offres. Ces derniers, se focalisant sur une prestation spécifique au meilleur coût, ne tiennent pas compte de critères sociaux ou des capacités de certains acteurs hybrides à répondre, au travers d'un projet combiné unique, à des appels d'offres émanant de deux services différents.

Au niveau de la recherche et de l'enseignement, les résultats appellent à un décloisonnement afin de développer des outils et des catégories qui permettent une vision véritablement hybride des acteurs qui traversent les frontières habituelles des disciplines académiques. Si l'étude n'a pas permis de chiffrer précisément le nombre d'acteurs ou la part de l'emploi qu'ils représentent pour le canton (notamment à cause de l'impossibilité, au niveau scientifique, de définir objectivement les frontières de la nébuleuse et donc de décider de qui inclure, respectivement exclure, dans de tels comptages), elle a néanmoins confirmé l'existence de milliers d'acteurs qui ne peuvent être assimilés aux catégories habituelles. Ces acteurs cherchent à combiner des objectifs sociaux et économiques, sont actifs dans presque tous les secteurs de l'économie, et adressent une grande majorité des enjeux sociaux et économiques que la société rencontre aujourd'hui. De plus, selon notre étude, l'appartenance à un réseau ESS est corrélée avec une meilleure application des principes ESS sans toutefois garantir l'application systématique de tous les principes. Vu que les acteurs ESS ne sont que très peu fédérés dans le canton, il n'est pas surprenant que de nombreuses organisations qui n'appartiennent pas à un réseau ESS en appliquent néanmoins les principes – ceci indépendamment de leur forme juridique.

Finalement, le projet a eu plusieurs retombées indirectes, telles que le dépôt d'un projet Interreg par Après-VD ainsi que l'avancement du débat sur l'ESS en Suisse romande au travers de séances publiques, de conférences et d'articles dans les médias. Les chercheurs ont également participé à la création d'une association promouvant un canevas pour la création d'organisations hybrides (social business models, SBM) et à la réalisation de mandats d'expertises, notamment pour la Commission Européenne. De plus, les interactions formelles et informelles entre les chercheurs et la société civile ont renforcé la visibilité de l'UNIL, notamment en permettant de valoriser les contributions spécifiques que l'Université peut offrir à la société civile (et expliquer ce qu'elle ne peut pas offrir). Au niveau académique, les chercheurs ont été associés au réseau européen de recherche sur les entreprises sociales (projet ICSEM), développé une collaboration avec la HEG-FR et rassemblé les chercheurs suisses sur l'entrepreneuriat social et l'ESS lors d'une journée à l'UNIL.

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Conclusions et perspectives

Le projet a confirmé l'importance d'intégrer les différentes disciplines et courants de recherche pour obtenir une image plus conforme à la réalité complexe de la société du 21eme siècle et pouvoir ainsi formuler des propositions plus pertinentes pour la recherche future, les acteurs de terrains, les faîtières et les pouvoirs publics. De plus, vu la présence en Suisse des cultures françaises, germaniques et anglo-saxonnes de l'ESS et de l'entrepreneuriat social, il est important de dépasser les ornières parfois imposées par la théorie ou la pratique de l'un ou de l'autre de ces courants de l'ESS.

Les résultats empiriques mettent en avant la présence de centaines d'acteurs qui, bien que n'adhérant pas forcément à l'un ou l'autre des mouvements traditionnels de l'ESS et du social entrepreneurship, cherchent activement une combinaison d'objectifs sociaux et économiques. Ces acteurs, actifs dans tous les domaines de l'économie et de la société, manquent souvent de visibilité et de reconnaissance de leurs visions et des enjeux spécifiquement liés à leur hybridité.

Le succès des colloques, des tables rondes, et des restitutions de résultats organisés avec nos partenaires a également mis en avant l'intérêt de la société civile pour des lieux d'échanges de savoir et de pratiques qui allient la réflexion scientifique et la riche expérience des acteurs de terrains.

Le projet ouvre plusieurs perspectives pour l'avenir. Les diverses sollicitations à partager notre compréhension de la situation suisse montrent la pertinence d'une approche qui ne se laisse pas enfermer dans un courant théorique, une approche, ou une discipline. Au niveau empirique, et suivant la logique de nébuleuse plutôt que celle de l'inclusion-exclusion, la distribution des deux questionnaires à un échantillon de PME permettrait de préciser les contours de notre nébuleuse du côté des entreprises. Les pratiques de certaines PME pourraient en effet se trouver proches de celles de certains acteurs traditionnellement considérés comme faisant partie de la nébuleuse – et ceci malgré le fait que ces PME se considèrent probablement comme faisant partie de l'économie traditionnelle et non d'une économie hybride. La réalisation de ces recherches nécessiterait néanmoins des fonds supplémentaires, ce qui met en lumière la difficulté d'assurer la durabilité de projets novateurs sortant des spécialisations et formats habituels.

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