Un large débat a eu lieu, organisé par le milieu académique, mais nourri et co-construit par nos inter-locuteurs dans le cadre de la recherche. Pour éviter les blocages potentiels liés aux nécessités de la rhétorique partisane, un espace tiers a été créé hors des enjeux médiatiques et des débats politi-ciens. Le travail a consisté à mettre sur pied une plateforme de discussion et de concertation sur la question des travailleurs âgés, autour des 3 cercles d’acteurs (patronat, syndicat, milieux de défense des seniors/retraités), pour permettre ensuite, par cascade, la prolongation de la réflexion au sein de ces trois cercles constitués.
La question des aînés sur le marché de l’emploi est considérée comme problématique depuis le début de l’ère industrielle. La situation actuelle constitue en quelque sorte une rupture : avec l’avènement du droit à la retraite depuis une cinquantaine d’années, la situation matérielle des per-sonnes âgées avait trouvé une solution ; or, celle-ci est remise en cause, au moins partiellement, depuis une décennie. Non seulement l’âge de la retraite est remis en question, mais la notion de droit au repos est relativisée et la précarité semble menacer des pans importants des retraités et surtout les futurs pensionnés.
Face aux seniors sur le marché du travail, le discours social a en effet radicalement changé au tour-nant du 21ème siècle. De personnes inemployables, prématurément usées, n’étant plus adéquates au marché de l’emploi, le discours s’est transformé pour devenir allongement de la durée de l’activité professionnelle, préservation de l’employabilité, bonnes pratiques à l’égard des travailleurs âgés. Les travailleurs âgés sont devenus une catégorie publique, qui peuvent prolonger leur carrière en raison de leur espérance de vie en santé, mais aussi du fait que le travail est source d’enrichissement éco-nomique, social, identitaire et financier. Ces mêmes travailleurs âgés doivent prolonger leur carrière professionnelle, à cause de la responsabilité sociale qu’ils endossent et de la solidarité intergénéra-tionnelle nécessaire dont ils doivent faire preuve. Les dispositifs de préretraite, retraite anticipée, âge de retraite flexible, retrait et départ précoces font ainsi de plus en plus place à des dispositifs de diversion tels qu’assurance-chômage, assurance-invalidité, aide sociale.
Les débats et échanges au sein du projet ont montré en particulier que la question est abordée de façon trop restreinte et sectorielle en Suisse, comparativement à d’autres pays. Il est nécessaire d’étendre le champ du débat et de la recherche en élargissant la perspective au-delà de la retraite : l’importance de prendre en compte des thèmes connexes comme la santé au travail, la gestion de l’âge en entreprise, la transmission des entreprises, les mesures d’âge au sein des entreprises (for-mation continue, travail adapté à l’âge, mise à la retraite progressive), les discriminations liées à l’âge, la situation socio-professionnelle et familiale des seniors. De façon générale, l’ensemble des partenaires a souligné la nécessité de travailler la question du senior au travail au travers d’un regard holistique et le besoin de penser la place des retraités dans la société comme au poste de travail.
Si l’importance de la problématique a été unanimement reconnue par tous les acteurs, les diver-gences sont profondes sur les origines et la gravité des risques, le caractère d’urgence ainsi que sur les mesures à envisager. Chacun des groupes tente d’imposer sa définition du problème. L’évaluation même des travailleurs âgés en tant que catégorie à risque fait l’objet d’analyses fort différentes selon les cercles d’acteurs. Les points de divergence sont importants à propos de la pénibilité de l’emploi et l’employabilité des seniors : pour certains, des mesures pour améliorer l’employabilité sont néces-saires, alors que d’autres exigent des systèmes plus institutionnalisé de protection. Par ailleurs, le vieillissement est vu, pour certains partenaires, comme coûteux pour les institutions sociales, mais aussi susceptible de répondre aux besoins de main-d’œuvre de l’économie, alors que pour d’autres, les conditions de travail et les représentations de la vieillesse au travail sont actuellement peu pro-pices à l’engagement des seniors sur le marché de l’emploi.