Journalisme

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Séverine Chave

Ancienne responsable du pôle vidéo au journal Le Temps

En quoi consistait votre fonction au journal Le Temps ?

En tant que responsable du pôle vidéo, j’étais à la fois cheffe de la rubrique vidéo et journaliste vidéaste. En plus de mon activité de journaliste, j’assumais le travail administratif de gestion de l’équipe et j’avais pour tâche d’assurer le développement de la rubrique. Comme la vidéo sur le web est un milieu qui évolue rapidement, je collaborais étroitement avec l’équipe des réseaux sociaux, afin de maintenir une certaine créativité dans l’imagination de nouveaux formats. En tant que journaliste, je réalisais des sujets en lien avec l’actualité soit dans des formats courts en lien avec l’actualité immédiate, soit dans des formats longs plus propices à un traitement de fond. Nous visions un public jeune, adepte des réseaux sociaux.

J’ai travaillé au Temps de décembre 2018 à juin 2024. Je suis passée responsable du pôle vidéo lorsque le poste s’est libéré avec le départ de Xavier Filliez, qui l’occupait jusqu’alors à côté de sa charge de rédacteur en chef adjoint. En compagnie des membres de mon équipe, je me suis familiarisée avec les pratiques vidéo de différents médias (Le Monde, Blast, Street Press, Brut., Tataki, RTSinfo et 52 minutes) ; sur la base de ces exemples, nous avons proposé à la rédaction en chef de refondre les formats. Nous avons également soumis à la fondation Aventinus, propriétaire du journal Le Temps, un dossier de demande de financement. Le projet a été validé par la rédaction et par la fondation Aventinus, ce qui a permis l’ouverture de deux postes en plus des 4 postes déjà existants. Nous avons pu former un grand pôle vidéo avec un septième personne spécialisée en vidéo, que nous avons récupérée du média Heidi News.

Notre projet comprenait la diffusion de cinq vidéos par semaine, soit une vidéo par jour ouvrable, avec un format long le dimanche. La durée des vidéos pouvait varier entre moins d’une minute pour « rentrer » dans les shorts de YouTube ou sur TikTok en format vertical, jusqu’à 15 minutes pour les longs formats destinés à YouTube et Instagram. En fonction de la thématique, nous publiions également sur LinkedIn, X et Facebook. Chaque vidéo faisait l’objet d’une collaboration avec une personne de l’équipe des réseaux sociaux, qui émettait des suggestions pour le script. L’équipe des réseaux sociaux nous inspirait aussi régulièrement des sujets en adéquation avec l’air du temps.

Chaque membre du pôle vidéo était JRI, à savoir « journaliste reportage/image ». Nous étions toutes et tous capables de tourner, monter, présenter et d’assurer la partie journalistique (recherche d’informations, interviews, écriture de commentaires, pose de la voix). L’équipe comprenait également un vidéaste spécialiste du marketing et une motion designer pour les animations graphiques. Certain·e·s d’entre nous étaient plus attiré·e·s par la gestion de l’image, d’autres plus par la recherche journalistique. Mais il régnait dans l’équipe un esprit d’étroite collaboration.

Quel parcours avez-vous suivi pour arriver à votre fonction au Temps ?

J’ai réalisé un Bachelor en histoire de l'art et histoire et esthétique du cinéma avec, pour troisième discipline, le français moderne. J’ai accompli ensuite un Master en cinéma avec un programme de spécialisation en dramaturgie et histoire du théâtre. Mon travail de mémoire, placé sous la direction de Charles-Antoine Courcoux et de Danielle Chaperon, a porté sur la représentation du théâtre au journal télévisé suisse, des années 1950 à aujourd’hui. J’ai abordé un sujet de télévision avec la méthodologie de l’analyse de séquences propre à l’histoire et esthétique du cinéma.

Pendant les six années que j’ai passées à l’UNIL, j’ai été rédactrice à L’auditoire, avec la fonction de rédactrice en chef pendant trois ans. J’ai effectué mon stage RP de journalisme à la RTS parallèlement à l’accomplissement de mon cursus de Master. Dans le cadre de mon programme de spécialisation, j’ai participé à la mise en scène d’une pièce de théâtre à la Grange, menée par Danielle Chaperon, David Giauque et Matthias Urban.

Le stage RP (RP pour « registre professionnel ») est indispensable pour l’obtention d’une carte de presse. Il y a plusieurs façons de le réaliser : pendant une année à l’Académie du journalisme et des médias (AJM) après l’obtention du diplôme de Master en journalisme et communication de l’UNINE ; pendant deux ans au Centre de Formation au Journalisme et aux Médias (CFJM) en travaillant parallèlement dans un média (dans ce cas, le stage est payé par la rédaction) ; ou en prouvant avec l’appui de deux parrains que pendant deux années de suite on a fait du journalisme sa principale source de revenus (comme pigiste ou comme salarié d’un média sans statut RP). L’AJM, en tant qu’institut de la Faculté des sciences économiques de l’UNINE, prend gentiment le dessus comme organisme de formation, ce qui a tendance, à mon avis, à homogénéiser la profession, puisqu’il faut réaliser le Master de l’UNINE au préalable. Le stage RP réalisé au CFJM est plus coûteux pour les médias, puisqu’ils le financent pour leurs stagiaires pendant deux ans (10 semaines effectives de cours), contre une année à l’AJM. Mais au CFJM se côtoient des journalistes de tous horizons et de parcours de vie multiples, qui sont bien implantés dans la réalité du terrain. Par exemple, lors de mon stage, j’ai fréquenté des journalistes de Radio Jura bernois, de Radio fréquence Jura, du 24 Heures, du Messager, de La Gruyère ou de Rhône FM, ainsi que mes camarades de la RTS. On se constitue ainsi un réseau utile pour son futur dans la profession. Un autre avantage du stage RP de deux ans au CFJM est qu’il est accessible à des non-universitaires qui ont déjà réussi à intégrer
des rédactions, notamment comme pigistes.

Avant de travailler comme stagiaire à la RTS, j’avais déjà eu une expérience journalistique pendant mes études : j’avais fait six mois de stage à Vigousse et j’avais obtenu en 2014 un petit stage dans la section promotion/réseaux sociaux de la RTS. J’ai eu un job d’étudiante au Matin.ch : je devais en gérer la homepage et faire de l’édition web. Ces petites expériences ont probablement joué en ma faveur quand je me suis présentée au concours de la RTS pour l’obtention d’un stage RP.

J’ai fini mon stage RP en même temps que mon mémoire en 2017. J’ai donc obtenu simultanément mes diplômes de Master et de journaliste. La RTS m’a engagée comme journaliste pour couvrir l’actualité régionale du Canton de Vaud, principalement à Lausanne. Mais moi, je voulais travailler pour le web. Je trouvais les codes TV un peu trop rigides : à mes yeux, il y a peu de marge d’innovation, peu de créativité. J’ai préféré travailler pour des émissions web en respectant plutôt les codes en vigueur sur YouTube. Entre temps, un collègue du CFJM qui travaillait pour la région du nord vaudois, a été engagé par Le Temps pour la rubrique vidéo. Il m’a signalé la création d’un poste de vidéaste. J’ai répondu à l’o;re d’emploi et j’ai obtenu le poste en 2018. Les profils de journaliste vidéaste étaient encore assez rares à cette époque ; je dirais même qu’ils le sont encore aujourd’hui. Mais c’est une orientation du journalisme qui va immanquablement se développer, parce la distinction entre les médias se brouille progressivement. Le papier hebdomadaire ou mensuel aura toujours sa place, mais les formats multimédias vont se multiplier.

Que vous ont apporté vos études de Lettres ?

J’ai retiré de mes études principalement des compétences méthodologiques, c’est-à-dire une rigueur dans l’analyse, la recherche de sources variées, la capacité à les interroger quand elles se révèlent contradictoires, un esprit critique vis-à-vis de tout ce qu’on lit, l’aptitude à contextualiser l’information. Ce sont des qualités qui permettent à un journaliste de se distinguer d’un créateur de contenu ou d’un influenceur sur les réseaux sociaux.

Évidemment, je citerais aussi la capacité de rédaction, que j’ai travaillée non seulement pour mes dissertations, mais aussi dans le cadre de mon activité à L’auditoire ou lors de mon stage à Vigousse. Il ne faut pas oublier non plus l’expression orale exercée dans les séminaires. On apprend à parler en public, à communiquer en des termes plus simples des informations complexes à la base, à faire le tri pour ne garder que l’essentiel. L’établissement d’une problématique pour les travaux de séminaire correspond à ce qu’on appelle « l’angle » dans les productions journalistiques. Il faut cibler le propos, avoir un cap en laissant de côté l’accessoire.

Enfin, j’établirais de nombreux parallèles entre le programme de spécialisation que j’ai suivi en études théâtrales et la pratique du récit en journalisme. Lorsqu’on traite un sujet, on parle volontiers de « personnages ». La question qui nous est posée dans les rédactions est toujours celle-ci : « Quel est le personnage principal dans ton sujet ? » Il y a aussi les personnages opposants et les adjuvants, exactement comme dans une pièce de théâtre. On peut dire que, dès qu’il y a une narration, il y a de la dramaturgie. Quand on tourne une vidéo ou qu’on rédige un article, on réalise un travail de mise en scène : on construit son sujet. Regardez les sujets du téléjournal : ils sont très souvent construits avec la même dramaturgie que celle employée dans les séries !

En résumé, ma formation universitaire me permet de garder un point de vue réflexif sur mon travail. Je sais d’où je parle, j’ai conscience de ce que je suis en train de faire. Cela me rend responsable dans l’exercice de mon métier.

Quels conseils donneriez-vous à nos étudiant·e·s pour se lancer dans une carrière dans les médias ?

Il est important de se créer progressivement son réseau en réalisant des stages, en effectuant des piges ou en travaillant dans des médias étudiants. Il ne faut pas hésiter à envoyer des candidatures spontanées dans les médias établis. Sinon il est avantageux d’avoir un blog personnel, un podcast ou une chaîne YouTube. De cette façon, vous avez de la matière à présenter à vos futurs employeurs.

Il n’est pas obligatoire d’avoir une carte de presse pour couvrir des événements ou aller à des conférences de presse. Les organisateurs d’événements qui visent plutôt un public jeune préfèrent que ce soient des jeunes qui parlent de ce qu’ils font. Par exemple, les membres de L’auditoire peuvent obtenir facilement des accréditations pour le Paléo. Certains artistes privilégient les médias étudiants, parce qu’ils se méfient du discours des médias dominants, trop convenu à leurs yeux.

Quand on est étudiant, on a tendance à penser qu’on n’est personne. Mais, en réalité, il y a plein d’endroits ou de manifestations qui préfèrent s’adresser à des reporters n’appartenant pas à de grands médias. De nombreux milieux sont prêts à ouvrir leur porte. Cela ne coûte rien de demander.

Nous vivons un moment charnière dans l’histoire du journalisme. Le flou est de plus en plus grand entre les créateurs de contenu et les journalistes, entre les différents types de média. On est arrivé au bout de l’enjeu de l’immédiateté. Les jeunes qui consomment l’info aujourd’hui se moquent bien de savoir qui a déniché l’information en premier. Ce qu’ils veulent, c’est un pas de côté, un regard différent. C’est pourquoi on a besoin de forces vives pour garantir le pluralisme des médias et pour éviter une situation où les journalistes disent la même chose dans des médias différents. Les jeunes sont capables de créer de nouveaux formats et de traiter l’information différemment.

On a quitté l’âge d’or de la stabilité et du confort de l’emploi. Il y a eu une réduction drastique des postes. On est arrivé au bout d’un certain modèle économique. Celui-ci ne peut être viable à l’avenir qu’avec le soutien massif de l’argent public. Pour le réinventer, il faut de la créativité et de l’innovation. Ces qualités se trouveront du côté des jeunes qui n’ont pas connu l’ancien système.

En conclusion, je dirais qu’on a plus que jamais besoin des journalistes pour faire le tri dans la pléthore d’informations qui nous parviennent. Mais la prétention à l’objectivité qui caractérise le journalisme traditionnel a fait son temps : il est crucial aujourd’hui d’expliquer d’où on parle, d’a;icher un point de vue situé, d’expliciter ses critères de choix dans la masse des faits et des opinions. Les Lettres constituent une bonne école pour atteindre cet objectif, parce qu’on y apprend à considérer les phénomènes dans leur complexité et à complexifier les affirmations simplistes.

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Pour aller plus loin

Centre de carrières 

Vous souhaitez vous renseigner sur les débouchés après des études à l’UNIL, faire un stage après votre Master, optimiser votre CV et votre lettre de motivation, avoir accès aux ressources sur Moodle ? Les conseillères et conseillers du SOC sont à votre disposition toute l'année: unil.ch/perspectives

Statistiques 

Premier emploi après les études: enquête de l’Office fédéral de la statistique (OFS) sur la situation professionnelle des diplômé·e·s des universités suisses. Ses résultats sont disponibles en ligne: orientation.ch

De l’UNIL à la vie active: résultats de l’enquête de l'OFS concernant spécifiquement les diplômé·e·s de l’UNIL: unil.ch/unisis

TandemPRO

Proposé par le Bureau des alumni, TandemPRO offre la possibilité aux diplômées et diplômés de l'UNIL (Doctorat, Master ou Bachelor) de s’entretenir avec un membre du réseau pratiquant dans le domaine d’activité ou exerçant la profession qui les intéresse. Une facilité également ouverte aux alumni en transition de carrière.

unil.ch/alumnil

BNF - Programme national de qualification

Programme national de qualification de l'Université de Berne destiné aux diplômées et diplômés universtaires sous forme de conseils personnalisés, de mise en réseau avec d'autres spécialistes et de formations ciblées. 

bnf.unibe.ch 

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