Dans la ville fragmentée et discontinue issue de « l’exode urbain » des dernières décennies une métamorphose d’ensemble s’est produite mettant à jour l’effritement des frontières entre la ville et la non-ville, mais aussi toute une gamme d’espaces inachevés, zonés, parfois déchirés par des voies urbaines, lovés dans les creux de la ville consolidée, ou encore oubliés, sans statut apparent, dont l’ordre interne et le sens nous échappent ou que nous censurons. Les tissus urbains de la ville ordinaire sont ainsi couverts d’une multitude de structures spatiales de tailles et de caractères divers appelant des interventions contextualisées, capables de dégager les particularités locales, d’améliorer leurs qualités formelles, fonctionnelles ou environnementales afin de leur donner davantage de lisibilité et de capter leur beauté spécifique. À l’ère de l’urbain et de la mobilité généralisés, les enjeux de connaissance et de régulation du territoire semblent désormais porter autant sur la maîtrise des limites urbaines que sur l’articulation de cette multiplicité d’espaces intermédiaires issus de la « petite production » de la ville ordinaire.
L’idée d’un étalement illimité est révolue, mais l’entre-ville dont nous avons hérité constitue déjà le lieu d’initiatives et de pratiques explorant des chemins inédits vers plus de durabilité. Reste ainsi à intégrer de façon critique la faible densité du bâti existant comme ressource, la répartition des centralités au sein de l’urbain généralisé et l’intermodalité des déplacements domicile-travail de plus en plus complexes dans des paysages urbains multipolaires entièrement habités.
L’objectif de ce numéro, qui compile des contributions diverses par leur approches, leurs méthodes, leurs objets et leurs échelles d’analyse, est bien d’identifier des éléments-clés sur lesquels pourrait s’appuyer la pratique d’aménagement du territoire et d’urbanisme d’aujourd’hui et demain. La question des « retissages », de l’articulation entre les différentes « espèces d’espaces » est posée. Elle appelle un urbanisme de projet cherchant à privilégier la concertation des acteurs dans des périmètres mouvants, procédant de coalitions variables selon les thèmes, les temps et le degré d’enchevêtrement des spatialités urbaines avec leurs usages et leurs sociabilités spécifiques. Elle appelle aussi inévitablement une vision d’ensemble, une visée collective et des actions convergeant vers un urbanisme de projet cherchant à prendre davantage en compte des contextes locaux, parfois produits de manière spontanée mais toujours chargés de sens, autant que la transversalité des enjeux économiques, sociaux et écologiques de durabilité. Des perspectives s’ouvrent au niveau de l’organisation de l’espace, du développement des transports collectifs et partagés, des circuits courts, etc., mais également au niveau d’une reconsidération du potentiel expressif ou esthétique des espaces intermédiaires.