Historique de la recherche et de l'enseignement en cinéma
La reconnaissance du cinéma comme matière d'étude et de recherche s'est faite jour lentement quoiqu'elle fût formulée très tôt et qu'elle requît très vite des chercheurs ayant une compétence éprouvée dans des disciplines reconnues au plan académique.
Citons par exemple Hugo Münsterberg (professeur de psychologie formé auprès de Wilhelm Wundt à Leipzig, invité par William James à Harvard où il publie de nombreux ouvrages, qui écrit en 1916 : The Film : A Psychological Study), Béla Balazs (philosophe, élève de Georg Simmel ayant travaillé avec Georgy Lukacs, auteur en 1923 de Der Sichtbare Mensch oder die Kultur des Films), Siegfried Kracauer (philosophe et sociologue, formé par William Dilthey, Georg Simmel, Max Weber, auteur dans les années 20 de Das Ornament der Masse et Kult der Zerstreuung et après la Deuxième Guerre mondiale de From Caligari to Hitler et Theory of Film), Rudolf Arnheim (professeur à Harvard, puis Ann Arbor, psychologue de la perception - dans le courant de la "Gestalttheorie" - et de l'art, auteur en 1932 de Film als Kunst). A la même époque, l'historien de l'art Erwin Panofsky applique au cinéma sa théorie de l'iconologie dans l'article : " Style and Medium in the Moving Pictures " (1934-7).
Cette "tradition" s'est poursuivie avec l'intérêt que portent régulièrement au cinéma des philosophes tels que Maurice Merleau-Ponty (" Le cinéma et la nouvelle psychologie ", 1945) ; Stanley Cavell (The World Viewed : Reflections on the Ontology of Film, 1971) ; Gilles Deleuze (Cinéma I & II, 1983-1985), Jacques Rancière (La fable cinématographique, 2001, Le destin des images, 2003).
On peut cependant distinguer un courant pour sa cohérence méthodologique et son implantation institutionnelle, celui des chercheurs russes regroupés sous l'étiquette de "Formalistes" qui développèrent leur projet au sein de l'Institut d'histoire de l'art de Leningrad en 1926-1929 et créèrent une faculté de cinéma.
Ces chercheurs reconnus en matière d'analyse et histoire littéraires, en linguistique - Roman Jakobson, Iouri Tynianov, Boris Eikhenbaum, Viktor Chklovski, Boris Tomachevski (et quelques autres) - ont réuni une partie de leurs propositions théoriques en 1927 dans le recueil Poètika kino. Pour une part leur projet se perpétua en Tchécoslovaquie au sein de l'Ecole de Prague avec Roman Jakobson et Jan Mukarovsky.
D'emblée on peut remarquer que ces recherches théoriques sont liées à la pratique cinématographique (la faculté de cinéma de Leningrad forme non seulement des chercheurs et théoriciens mais aussi des scénaristes, monteurs ; Balázs collabore avec des cinéastes, Arnheim définit une esthétique créatrice).
Par la suite, la part la plus importante de la réflexion (historique et théorique) sur le cinéma proviendra des écoles de cinéma (Idhec à Paris, notamment avec Georges Sadoul et Jean Mitry, Centro Sperimentale en Italie, avec Umberto Barbaro, Francesco Pasinetti, VGIK à Moscou, avec Serguei Eisenstein, Lev Kouléchov) et des institutions liées à la diffusion des films (ciné-clubs, festivals, revues. André Bazin en est le meilleur exemple en France).
C'est en 1948 que la situation se modifie avec la création de l'Institut de Filmologie à Paris (et son correspondant à Milan qui en sera aussi l'héritier) accueilli par La Sorbonne et visant à construire un objet de connaissance "cinéma" au croisement de plusieurs disciplines éprouvées : psychologie expérimentale (André Michotte, Henri Wallon), Histoire de l'art (Pierre Francastel), Sociologie (Edgar Morin), Histoire du cinéma (Georges Sadoul), Philosophie (Gilbert Cohen-Séat, Maurice Caveing), Esthétique (Etienne Souriau).
En dépit de l'extinction progressive de cette entreprise, c'est bien elle qui préside à la fondation des études académiques sur le cinéma sur la base de la "science pilote" des années 60, la linguistique, avec la sémiologie de Christian Metz et ses développements tant en France qu'à l'étranger (Umberto Eco, Pier Paolo Pasolini, Gianfranco Bettettini en Italie, Iouri Lotman en URSS, Jorge Urrutia en Espagne notamment. En France, la revue Communications s'en fera l'écho durant deux décennies).
Parallèlement l'intérêt des historiens pour le film comme document donne lieu à quelques travaux dans ce sens (Marc Ferro en France, Jeffrey Richards en Grande-Bretagne).
Au tournant des années 1970, de nombreuses universités françaises, italiennes, américaines (Etats-Unis et Canada) ouvrent des sections d'études cinématographiques (plus sporadiquement suivent : l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Hollande, l'Espagne, l'URSS). La base est alors tendanciellement à dominante sémiologique.
Dans les années 70, un autre événement va influer sur les directions de recherches et d'enseignement avec l'ouverture des Archives de films (cinémathèques), regroupées au sein de la FIAF, à l'étude de leurs collections sur des bases historiques. Dans le même mouvement, la prise en compte des archives "papier" liées aux films (scénarios, maquettes, dessins, correspondance, comptabilité) et du vaste domaine du "parafilmique" (affiche, publicité) est développée.
Dès lors l'approche historique va contrebalancer et, suivant les pays, évincer l'approche sémiologique, tandis que dans le meilleur des cas ces deux approches seront articulées afin de fournir des modèles d'analyses rigoureux.
La dimension esthétique qui fut l'une des premières à voir le jour, mais en un sens souvent prescriptif, est également l'objet d'une approche historique et bénéficie des liens avec l'Histoire de l'art.
Enfin, développement récent dans le champ des études cinématographiques, l'approche anglo-saxonne dite des "cultural studies" ou "culturologie", où le cinéma est abordé dans ses connexions intertextuelles et pluri-culturelles, études qui se développent souvent au sein de départements de langues (russe, allemand, français aux Etats-Unis fournissent une importante part des travaux sur les cinémas de ces aires linguistiques), de sociologie, d'histoire, de sciences politiques.
Développement en revanche extra-cinématographique, englobant le cinéma dans un ensemble plus vaste, les études sur l'audiovisuel et les médias comme phénomène au sein des théories de la communication sociale prennent place dans les facultés de sociologie.