Informations générales
Vendredi 24 janvier 2025
UNIL, Château de Dorigny, salle 106
Journée d'études dans le cadre de la Formation doctorale interdisciplinaire (FDi). Responsables: Jérôme Meizoz avec la collaboration de Panayota Badinou. Comité doctoral: Étienne Furrer (SSP, IEP), Noé Maggetti (Lettres, Section d'histoire et esthétique du cinéma), Lucrezia Perrig (SSP, CEG), Vivien Poltier (Lettres, Section de français moderne).
Problématique
Cette journée d’étude interdisciplinaire a pour objectif de penser et d’interroger l’ensemble des enjeux liés aux processus de politisation de la recherche et du travail académique. Il s’agira de réfléchir à la manière dont l’activité scientifique se construit en général, incarnée et traversée par des relations de pouvoir, et, en particulier, lorsqu’elle se trouve confrontée à des phénomènes ou à des objets de recherche implicitement ou explicitement politiques. L’objectif est ainsi de reconstituer les processus d’inscription ou d’effacement du politique en interrogeant les soubassements méthodologiques, théoriques et/ou épistémologiques qui structurent la pratique savante dans une configuration donnée. À distance du régime discursif de l’opposition et de la dichotomie, il s’agira donc d’une part de questionner la dimension partielle et située du savoir académique, geste réflexif qui conduit de fait à la question de la responsabilité du chercheur ou de la chercheuse (Haraway 1988) et, d’autre part, de réfléchir à la constitution de l’objet de savoir en tant qu’il s’inscrit dans un horizon politique. Dans cette perspective, il devient ainsi possible de s’interroger sur la signification d’un ensemble de concepts qui, longtemps, ont eu pour fonction de disqualifier, au sein de l’université, des perspectives de recherche engagées.
La notion de neutralité axiologique (Wertfreiheit) introduite par Max Weber a donné lieu à de nombreuses interprétations conflictuelles. Insistant sur la séparation entre les faits et les jugements de valeur dans les analyses scientifiques, certain·e·s ont défini cette posture a posteriori comme une stricte séparation des engagements politiques de la recherche scientifique. Lecture partielle, puisque cette distinction servirait bien davantage pour Weber à l’identification des jugements de valeurs pour ne pas les dissimuler sous couvert de scientificité (Pfefferkorn 2014). À la suite de Weber, Bourdieu rejette la dichotomie stricte entre recherche académique et engagement et avance l'idée d'un « savoir engagé » où les chercheurs·euses, tout en respectant les règles d’autonomie scientifique, s'impliquent activement dans les questions sociales et politiques (Pinto 2011). Aux tentatives de faire de cette posture axiologique un exercice scientifique en modélisant de façon abstraite et cohérente l’approche d’un objet de recherche, les limites de ces efforts de neutralisation n’ont eu de cesse d’être dessinées (Bateman 2006).
Pour proposer des pistes de réponse aux contradictions propres à la notion de neutralité axiologique, différentes épistémologies du positionnement ont été développées. Celles-ci constituent un ensemble de réflexions théoriques qui interrogent la façon dont les savoirs sont produits en fonction des positions sociales et des expériences vécues par les individus (Harding 1986). Forgées autour du concept de standpoint, ce corpus hétérogène prolonge celui du Standpunkt marxiste en s’éloignant de la prise en compte du point de vue sur un objet de connaissance pour situer une position dans la relation de savoir. Critiquées en raison de leur essentialisme et de leur relativisme présumés (Haraway 1988), ces approches sont continuellement pensées afin de remettre en question les standards d’objectivités aveugles des contextes et statuts spécifiques des sujets épistémologiques (Flores Espinola 2012). En rupture avec l’hypothèse d’une neutralité du sujet, ces perspectives tiennent comptent des subjectivités, des corps et des émotions et cherchent à se réapproprier l'objectivité scientifique en la conciliant avec des positionnements d’ordre politique (Harding, 1993).
Ces questionnements transversaux dans les sciences humaines et sociales indiquent l’actualité et la pertinence de mener une réflexion collective sur les processus de politisation qui traversent le travail de recherche. Certain·e·s chercheuses et chercheurs éprouvent l’articulation entre recherche et politique (ou entre recherche et militantisme) comme une nécessité, voire comme une urgence. Quelles conditions épistémologiques définissent-ils et elles pour asseoir la pertinence de leurs jugements? À cet égard, il est d’autant plus essentiel que la qualité du travail d’élaboration intellectuelle favorise le débat, la discussion et l’échange académiques.
Dans cette perspective, plusieurs axes pourront être abordés par les participant·e·s:
- Le rapport entre recherche et ordre social
Penser la politisation de la recherche à partir du prisme de la structure des rapports sociaux (race, genre, classe, etc.). Il peut aussi s’agir de problématiser la combinaison de ces facteurs structurels (intersectionnalité), en interrogeant des cas-limites où surgiraient des contradictions. La perspective d’analyse centrée sur les rapports sociaux peut être envisagée à différents niveaux : construction de l’objet de recherche (méthode et théorie) ; posture du chercheur ou de la chercheuse et rapport au champ académique; etc. - La situation de l’engagement dans la recherche
Penser le problème de l’engagement dans la recherche, le rapport à la méthode qu’il suppose, les défis qu’implique la délimitation de l’objet de recherche ainsi que les enjeux relatifs à la théorie. La question de l’engagement peut aussi être abordée, de manière réflexive ou critique. - Les questionnements autour de la réflexivité et de la neutralité
À quelles conditions les effets de positionnements sont-ils compatibles avec l’impératif de réflexivité épistémologique propre au domaine de la recherche? En d’autres termes, comment la tension entre neutralisation de la positionnalité et engagement subjectif est-elle négociée dans le cadre de la construction de la validité scientifique? Quels sont les choix méthodologiques et d’analyse et comment sont-ils justifiés? - Le politique comme objet de recherche
Présentation d’études de cas portant sur l’engagement, les mouvements sociaux et les processus de politisation, ou, de manière plus large, sur l’historiographie des pratiques «engagées» dans la recherche et la vie intellectuelle.
Agenda
Un résumé d’environ 2'500 signes ainsi qu’une notice bio-bibliographique sont à faire parvenir d’ici au 3 novembre 2024 aux adresses suivantes : Etienne.Furrer@hotmail.com, Noe.Maggetti@unil.ch, Lucrezia.Perrig@unil.ch et Vivien.Poltier@unil.ch. Les actes de ces journées devraient faire l’objet, après évaluation des articles, d’une publication dans la revue a contrario début 2026.
Keynote speakers
- Justine Huppe, chercheuse et chargée de cours en «Littérature et société» (XVII-XXIe siècles), Université de Liège: Du panpolitisme au “tout-travail”: faut-il (vraiment) ramener l’horloge de la théorie aux alentours de 1935?
- Dialogue entre Faduma Abukar Mursal, maîtresse d’enseignement et de recherche en anthropologie, Université de Lucerne & Anne Lavanchy, professeure HES associée, Haute école de travail social de Genève: Penser les choix et contraintes de la recherche à l’aune de la blanchité.
Appel à communications
Appel_Journée_Recherche_2025 (367 Ko)