Buzzi Simone

L’expérience de l’histoire : Le « laboratoire suisse » de l’épistémologie critique de Walter Benjamin

Cette recherche entend suivre les traces du parcours épistémologique effectué par Walter Benjamin, à travers lequel le concept d’« expérience » s’articule à celui d’« histoire » en définissant les limites d’une théorie originale de l’objectivité historique. C’est dans les sentiers peu battus des montagnes suisses que le jeune Benjamin – exilé antimilitariste lors de la Grande Guerre – développe le laboratoire théorique qui va lui servir de base pour tout son travail ultérieur. De 1917 à 1920, il vit en Suisse, où il entretient des liens étroits sur le plan intellectuel et amical avec Gershom Scholem, Hugo Ball et Ernst Bloch. C’est avec Scholem, à l’« Université imaginaire » de Muri bei Bern, que Benjamin lit et discute assidument Kant et Hermann Cohen, avant de rédiger son « Programme de la philosophie qui vient » (1918), texte fondateur d’un nouveau concept d’« expérience ». A travers Hugo Ball, son voisin à la Marzilistrasse, sur l’Aar, il s’intéresse au syndicaliste révolutionnaire Georges Sorel, et développe une conception politique anarchorévolutionnaire dans « Critique de la violence » (1921) – bien avant la célèbre « rupture matérialiste » qu’une importante littérature secondaire s’accorde à situer en 1924, après la lecture d’Historie et conscience de classe de Lukács. C’est, enfin, dans un intense échange avec la pensée d’Ernst Bloch, à Interlaken et à Berne, que les deux intellectuels posent les éléments fondamentaux d’un nouveau concept d’histoire destiné à accompagner leurs recherches futures – concernant Benjamin, jusqu’à son « testament philosophique » que représentent ses fameuses thèses « Sur le concept d’histoire » (1940). Ces trois rapports définissent les trois thèmes généraux de la présente recherche doctorale : épistémologie, politique et histoire dans la pensée du jeune Benjamin exilé en Suisse. Chaque thème est composé d’une série d’objectifs spécifiques et hétérogènes, qui font appel à une méthodologie tournée vers trois niveaux de questionnement – du concret à l’abstrait : a. la description positive des faits historiques tels qu’ils émergent de l’analyse du matériau d’archive ; b. la « mise en réseau » qui vise la mise en évidence des rapports existant à l’intérieur de – et entre – chaque thème ; c. l’interprétation philosophique des éléments d’ordre théorique. Cette recherche interdisciplinaire n’est possible qu’à partir d’un travail sociologique rigoureux préliminaire : les éléments qui définissent le « réseau suisse » dirigent autant la recherche d’archive que l’interprétation théorique.

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