Harro Maas nommé professeur honoraire de la Faculté des SSP

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Juin 2024

Le parcours professionnel de Harro Maas est décidément atypique, à commencer par sa double formation académique en économie et en philosophie aux universités de Groningue et d’Amsterdam, et par ses débuts professionnels en tant que professeur de lycée, de 1983 à 1998.

En 1993, pendant qu’il rédigeait sa thèse sur William Stanley Jevons (qu’il soutiendra en 2001) tout en enseignant au lycée, on lui demande de donner quelques cours d’histoire des sciences à des étudiant·e·s en économie à l’université d’Amsterdam. Cet enseignement, le groupe dont il faisait partie à la Faculté et le séjour aux archives de Senate House à Londres pour sa thèse, l’ont mis sur la voie de l’histoire de la pensée économique et d’une certaine manière ont façonné son identité académique : le plaisir d’enseigner, l’engagement dans un collectif et le travail sur des matériaux négligés dans des archives pourtant connues sont les traits caractéristiques de notre collègue.

Depuis le premier janvier 2015, et après avoir été professeur associé à la Faculty of Economics and Business de l’Université d’Amsterdam de 2005 à 2011 et à l’Utrecht School of Economics de 2011 à 2014, Harro est professeur ordinaire dans notre Faculté.
Enseignant généreux et communicatif, il a également donné une forte impulsion au Centre Walras Pareto dont il a contribué à maintenir une dynamique constante.

Les principales contributions d’Harro Maas à l’histoire de la pensée économique portent sur la méthodologie économique : comment l’évolution des méthodes des économistes façonne notre compréhension du monde, et avec quelles conséquences sur notre conception de l’agent économique. En d’autres termes, pourquoi et comment le monde économique est-il « régi par les chiffres ». Dans son ouvrage primé, publié en 2005, William Stanley Jevons and the Making of Modern Economics (Cambridge), Harro Maas a étudié les ressources culturelles et intellectuelles sur lesquelles Jevons s’était appuyé pour révolutionner les méthodes de la recherche en économie. Il montre comment Jevons concevait l’univers en termes mécaniques, comment il s’appuyait sur l’usage d’analogies mécaniques pour connaître le monde, et ce faisant, comment Jevons a pu combler le fossé entre la théorie et les statistiques.

Lors de plusieurs collaborations, Harro Maas a poursuivi son analyse de l’évolution des méthodes économiques en s’intéressant à différents lieux d’observations, de production et d’utilisation des données, voire de résistance à la modélisation économétrique. Il a ainsi pu étudier des agences statistiques, des banques centrales, et même les fauteuils des économistes. Il a tout particulièrement porté son attention aux laboratoires des économistes, en publiant en 2016 avec Andrej Svorenčík une histoire également primée des débuts de l’économie expérimentale, The Making of Experimental Economics (Springer).

Si ses études méthodologiques ont été rassemblées dans un manuel, publié en 2016, Economic Methodology. A Historical Introduction (Routledge), ce qui l’a principalement occupé à Lausanne, au Centre Walras Pareto, c’est la poursuite d’une entreprise de dénaturalisation du comportement rationnel de l’agent économique à travers un projet consacré à la comptabilité morale et à la gouvernance des consommateurs. Il a ainsi montré comment les élites genevoises au 18e siècle, les économistes de l’Angleterre victorienne du 19e siècle ou encore les ménagères américaines du 20e siècle étaient éduqués ou s’éduquaient à l’aide d’outils simples tels que les journaux intimes, les registres ménagers, les systèmes de gestion du temps ou autres baromètres moraux. Le consommateur et l’agent rationnel sont ainsi passés au crible du détail de leurs habitudes quotidiennes, bien loin de la conception standard de l’agent rationnel. Sur un autre registre, Harro Maas a montré que les économistes sont prêts à accorder aux individus une capacité de choisir rationnellement sur les marchés, mais pas dans le cas du bien commun, ou lorsque des intérêts publics à long terme sont en jeu. Il a ainsi développé deux études de cas sur la façon dont les économistes comportementaux et expérimentaux ont examiné la réaction des individus lors de catastrophes environnementales telles que la marée noire provoquée par Exxon Valdez en 1989 dans le Prince William Sound ou celle, encore plus importante, du Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique. Ces recherches, qui soulignent la nécessité de développer une capacité de jugement valable en vue du bien commun, résonnent avec l’actualité des inquiétudes croissantes liées aux changements environnementaux.

Sa facilité à traverser les frontières disciplinaires tout en examinant diverses sources et études de cas devrait nous inspirer tous. Le bon sens propre à chaque discipline ou à chaque approche s’en trouve parfois bouleversé, amenant autant de nouvelles façons de comprendre le monde qui nous entoure. Nous souhaitons ajouter un dernier mot sur son enseignement : Harro Maas a débuté sa carrière d’enseignant d’économie dans son pays d’origine — les Pays-Bas — face à des lycéens. Son dévouement et son enthousiasme pour l’enseignement sont passés des salles de classe des lycées, où il a passé une quinzaine d’années, jusque dans les cours dispensés pour notre Institut d’études politique, où il a régulièrement adapté et perfectionné ses cours en réponse aux commentaires de ses étudiant·e·s et à sa forte intuition de ce qui constitue une bonne expérience d’apprentissage pour ses étudiant·e·s. Le nœud papillon qu’il portait à chaque cours et à chaque présentation manquera à ses collègues et à ses étudiant·e·s.

François Allisson
Maria Bach
Roberto Baranzini

 

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