Le français des scientifiques en URSS (1920-1930) (d’après des documents du fonds André Mazon, Institut de France)
Le 18 octobre 2013, 9h00, Anthropole, salle 4014 / Conférence de M. Vladislav Rjéoutski, Université de Bristol:
Le fonds André Mazon à l’Institut de France contient une riche correspondance entre le Comité français pour les relations scientifiques avec la Russie et un grand nombre de savants soviétiques des années 1920-1930. Outre leur intérêt pour l’étude des relations scientifiques entre la France et l’URSS, ces documents peuvent nous renseigner sur l’usage des langues dans la communication entre les savants soviétiques et les savants français. L’article propose un aperçu de l’usage du français dans l’histoire de la communication scientifique entre la Russie et l’Europe avant 1917 et quelques pistes de réflexion pour la compréhension des changements linguistiques survenus dans le milieu des scientifiques après la rupture révolutionnaire.
Si les élites scientifiques russes formées sous l’ancien régime n’étaient pas toujours francophones, une bonne connaissance du français était néanmoins assez fréquente dans ce milieu et s’explique souvent par une communication intense avec des collègues étrangers et souvent des séjours en France. L’éducation privilégiée donnait parfois un lustre supplémentaire au français de quelques scientifiques, mais elle n’était pas décisive, me semble-t-il, le rôle du français dans la communication scientifique à cette époque était énorme et cette langue était apprise par quiconque aspirait à une vraie carrière scientifique. Les membres de cette vieille garde de la science russe, quand ils ont survécu aux bouleversements révolutionnaires, ont pu renouer les liens avec leurs collègues français et utilisèrent le français dans leur correspondance, du moins avant que le rideau de fer ait sérieusement compliqué la communication des savants soviétiques avec l’étranger.
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Comment parlent les Pétersbourgeois
Le 18 octobre 2013, 14h00, Anthropole, salle 4014 / Conférence de Mme Irina Ivanova, Université de Lausanne:
Le petit article de Vasilij Černyšev (1867-1949) «Kak govorjat v Peterburge» [‘Comment parle-t-on à Saint-Pétersbourg’] demeure peu connu des spécialistes modernes en histoire des idées linguistiques. Cet article fut publié en 1913 dans une revue à tirage très limité Golos i reč’ [‘Voix et parole’].
Nous pensons que ce petit article de Černyšev présente un intérêt particulier, car il met en évidence aussi bien les méthodes utilisées dans la dialectologie de l’époque que les débats sur les normes de la langue littéraire. Černyšev fait la première tentative pour fixer le parler de Saint-Pétersbourg et cherche à lui donner une explication, tout en s’appuyant sur l’histoire de sa formation.
Il est difficile de préciser, quelle influence a eue cet article sur la dialectologie russe. Cependant, Černyšev lui-même continua à étudier les parlers urbains et en 1947 a préparé un grand article sur le dialecte de Moscou. Malheureusement, ce travail n’a été publié qu’en 1970, après la mort de son auteur.
Ainsi, on peut conclure que ce sont trois facteurs qui ont déterminé l’intérêt des linguistes russes pour le dialecte urbain : les débats entre les deux capitales sur les normes du russe littéraire, le développement de la dialectologie russe et le choix de la langue parlée comme objet principal de la linguistique.
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« Gorodskoe prostorečje » à travers le prisme de la pragmatique
Le 18 octobre 2013, 14h00, Anthropole, salle 4014
Conférence de Mme Irina Thomières-Kokochkina, Université Paris IV – Sorbonne:
Il n’est pas chose aisée de s’attaquer au «gorodskoe prostorečje» («langue de la population peu éduquée» ou «parler populaire des villes»), compte tenu des études remarquables déjà effectuées sur la question . Nous allons essayer de relever ce défi en nous aidant de certaines notions propres à la pragmatique. Notre article s’articule en plusieurs parties. Après avoir délimité notre objet d’étude et la notion de «locuteur prototypique», nous nous pencherons sur l’analyse de deux types de corpus : les blagues d’une part, les textes littéraires satiriques, de l’autre. Nous verrons que le «gorodskoe prostorečje» y est l’origine du comique tout en y jouant le rôle principal et/ou secondaire.
La ville nous parle de plusieurs voix, pour reprendre notre titre. Au linguiste de les entendre et de les décrire. Les faits linguistiques observés nous ont permis d’éclairer une facette particulière du phénomène appelé «gorodskoe prostorečje», à savoir son rôle dans le comique. Deux cas de figure ont pu être distingués. Le GP apparaît parfois comme protagoniste. Il peut aussi se cantonner à un rôle secondaire en renforçant l’effet comique déjà contenu dans le texte satirique.
Mais la réalité discursive est plus complexe. La réception adéquate du texte dépend du niveau des connaissances linguistiques du lecteur et de son niveau d’éducation. Aussi, les cas de figure qui se présentent dans chaque emploi individuel peuvent être plus subtils et variés. En outre, une étude ultérieure devra aborder leur emploi dans la langue orale non standard.
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L'approche de B. Larin dans l'étude des usages urbains: objet de descriptions, voies d'accès, résultats
Le 18 octobre 2013, Anthropole, salle 4014 / Conférence de Mme Margarita Shönenberger, Université de Lausanne:
Dans les années 1970, apparaît le terme de «sociolinguistique soviétique» désignant essentiellement l’apport des linguistes moscovites L.P. Krysin et E.A. Zemskaja, qui entreprennent des recherches de terrain sur le rôle de facteurs sociaux dans le fonctionnement du russe. Les investigations semblables sont également entreprises dans d’autres régions de la Russie. Les auteurs appellent leur approche «fonctionnelle» et conçoivent que les produits langagiers relèvent de différents «styles fonctionnels» de la langue où l’usage oral urbain spontané possède ses traits propres. Les points de vue des linguistes sur la place à assigner aux usages oraux des citadins à l’intérieur du «système hiérarchisé de la langue nationale» présentent des divergences notables. Ce fait peut s’expliquer en grande partie par le cadre théorique de ces recherches, à savoir la théorie des langues «littéraires» qui fait un consensus parmi les sociolinguistes russes de l’époque examinée.
Les travaux des linguistes présentés plus haut constituent et véhiculent des stéréotypes connotés négativement (variantes régionales, usage familier «non littéraire», registres «bas») pour justifier une forme de domination qui prend la forme d’une politique linguistique répressive. domination qui prend la forme d’une politique linguistique répressive. Pour le faire, les linguistes procèdent par simplification : ils «falsifient» en quelque sorte les données non par construction de traits négatifs inventés, mais par réduction de traits réels, diminuent l’ampleur de la variation linguistique en russe, nient ou passent sous silence certains traits régionaux.
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Etudes urbaines micro-sociolinguistiques en URSS et en Russie actuelle: problématiques et methodes
Le 18 octobre 2013, 17h00, Anthropole, salle 4014 / Conférence de Mme Natalia Bichurina, Université de Bergame:
La langue et la révolution est une thématique de recherche qu’on voit émerger en Russie deux fois : dans les années 1910-1920 et dans les années 2010. Durant les deux périodes des particularités linguistiques sont étudiées en lien avec les changements sociaux en cours ; simultanément, on y trouve l’idée que l’étude des changements linguistiques permettra de découvrir les changements sociaux en cours lorsque ceux-ci sont encore peu ou pas visibles. Les usages linguistiques sont ainsi regardés comme symptomatiques des changements dans la société.
Pourtant les changements sociaux et linguistiques provoquent aussi des changements épistémiques – en l’occurrence, en (socio-)linguistique. Aussi une observation de la façon dont cette problématique commune émerge dans les deux périodes nous permet-elle d’explorer, d’une part, comment les changements sociaux peuvent influencer la recherche scientifique; et d’autre part, comment le même sujet est traité de manière différente selon le moment où la recherche se fait : en fonction des outils méthodologiques dont disposent les chercheurs, ainsi que de leurs positionnement.
On peut remarquer que l’objet d’étude qui est «la langue» n’est pas identique pour ces deux périodes : au XXe siècle il s’agissait surtout du niveau lexical ou éventuellement phonétique. Aujourd’hui l’analyse ne se fait plus au niveau des mots, mais surtout au niveau du texte ou du discours (la différence entre «langue», «langage», «texte» et «discours» n’y étant pas très nette). Par ailleurs, il paraîtrait d’emblée que la relation entre ces deux objets, la langue et la révolution, est différente dans les deux contextes d’études : ainsi au début du XXe siècle il s’agit des changements linguistiques produits par la révolution, alors que ce n’est pas le cas aujourd’hui. Cependant les deux périodes ont en commun l’idée d’étudier la langue comme le diagnostique des changements sociaux : la langue que l’on peut observer est le symptôme des changements invisibles ou peu visibles de la société.
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The Linguistics of the Lower Depths
Le 18 mars 2013, 10h30, Anthropole, salle 4014 / Conférence de Mme Vladislava Reznik, Université de Varsovie:
William Labov’s 1960s research into urban dialects of New York's black ghetto was an important factor in ensuring a more democratic and inclusive approach to education in American schools. It did not only give rise to modern sociolinguistics but was also instrumental for policy makers and educational psychologists who admitted the language of the streets into American primary education curriculum. It has been argued, however, that similar research into social and, specifically, urban dialects was successfully carried out by Soviet linguists in the 1920s and early 30s, with direct relevance to literacy campaign and the development of universal schooling. Sometimes referred to as sociolinguistics avant la lettre, Soviet investigations into argot, professional, social dialects and jargons were conducted in a post-revolutionary atmosphere of upward social mobility and social inclusion. For the first time in the history of Russian linguistics, the official scholarship embraced a variety of substandard variants of the Russian language and gave a voice to the country’s underprivileged classes. This article looks at the examples of sociolinguistic research by Soviet scholars, with particular reference to the educational policies and a broader programme of social legitimisation.
A great admirer of ‘classical’ Russian, Dmitrij Ušakov, who throughout the 1920s had pitied the decline of literary Russian, could now rejoice at the official return of his beloved linguistic conservatism. From 1932 Ušakov served on the All-Union Radio Committee, consulting with announcers and giving special seminars and training sessions to correct their pronunciation errors and other language mistakes, in accordance with the Moscow dialect, which had always been Ušakov’s vision of the standard. In 1935 Ušakov completed another long-time language project, his Dictionary of the Russian Language, which together with the 1937 commemorative activities on the centennial of Pushkin’s death, marked the final rehabilitation of the standard literary Russian language and put an end to the period of cultural and linguistic cosmopolitanism and street democracy.
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