Mathieu Gravey a obtenu sa thèse en géostatistique en 2020 à la FGSE après une formation d’ingénieur informatique.
Mathieu Gravey a obtenu sa thèse en géostatistique en 2020 à la FGSE après une formation d’ingénieur informatique.
Pour faire avancer la recherche en géosciences, Mathieu Gravey utilise des techniques de pointe de télédétection, certaines basées sur Google Earth Engine (pour lequel il est expert-développeur), et le calcul haute performance.
Sa propension à remettre en question les modes de penser et son aisance en programmation lui permettent de se lancer aujourd’hui dans des projets très variés : sur la migration des oiseaux, le suivi global des paysages – du verdissement des Alpes aux feux de brousse…
Quel est votre poste actuel ? Pourquoi avoir choisi cette voie ?
Depuis mars 2023, je suis chef de groupe junior à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les montagnes de l’Académie autrichienne des sciences (ÖAW-IGF). En tant que chercheur, j’adore aller explorer un domaine que je ne connais pas. Suivre des conférences permet de découvrir les questions actuelles dans de grands sujets : que se passe-t-il aujourd’hui en astronomie, en physique quantique, en géosciences… ? Toucher à d’autres sphères, sortir de son bureau… ce sont des démarches qui aident à interroger ses propres pratiques, à penser différemment.
J’aime me poser des questions et stimuler des réponses qui parviennent à me convaincre. Prendre du recul, remettre en question nos habitudes et ce qu’on a appris, est un travail ardu. Notre cerveau est partisan du moindre effort. Moi-même, je fais parfois des choses sans réfléchir, je fais des raccourcis, parfois sans le savoir. Remettre en question ces automatismes m’anime.
Comment s’est déroulée votre recherche d’emploi ? Quel conseil donneriez-vous à un·e doctorant·e ou post-doc qui prépare la prochaine étape de sa carrière ? Quels conseils avez-vous vous-même reçus ?
Après l’UNIL, j’ai d’abord occupé un poste de professeur assistant en science des données géo-environnementales à l’Université d’Utrecht, aux Pays-Bas. J’ai accepté ce poste parce que c’était encore l’époque de la Covid, et qu’il était impossible de savoir quand j’allais commencer le postdoc que j’avais obtenu à Stanford. Cependant, les ressources de recherche (en temps et en argent) étaient bien inférieures à mes attentes. Je croulais sous l’enseignement et la supervision, sans pouvoir imposer ma philosophie. Malgré l’intitulé assistant professor, cela n’avait rien à voir avec un poste du même nom à l’UNIL.
J’ai donc candidaté pour le poste que j’occupe actuellement, en Autriche. Je pensais ne pas être assez expérimenté pour un poste de group leader, car je n’avais que deux publications en premier auteur et j’avais soutenu ma thèse deux ans avant seulement. Pourtant, cela a marché. Mon conseil est donc : Postulez ! D’abord, on ne sait pas quel profil exact les instituts cherchent et quelles candidatures ils vont recevoir. Parfois, la personne embauchée est assez éloignée de la description du poste. Et surtout : dans une recherche de poste, à chaque itération, on peaufine sa candidature. Postuler c’est aussi un entrainement. Le jour où le poste de nos rêves se présente, il vaut mieux être prêt. Quand je relis mes premiers « research statements », je les trouve faibles. La candidature parfaite, il faut du temps pour la construire.
Un précieux conseil qui m’a été donné est de se concentrer non seulement sur ce que l’on est capable de faire, mais aussi et surtout sur ce que nous seuls pouvons accomplir (« do what you can do, but especially what only you can do »). Chacun d’entre nous est unique par son parcours, ses compétences, ses centres d’intérêt, et autres spécificités, ce qui nous confère le potentiel de réaliser des choses d’une manière unique. Cette singularité signifie aussi moins de concurrence, et donc moins de stress. Soyez unique !
Quelles compétences, que vous utilisez actuellement, avez-vous développées à la FGSE ?
Pendant mon doctorat à l’UNIL avec Grégoire Mariéthoz, j’ai eu la chance d’avoir la liberté de penser, d’expérimenter et d’échouer. Et non pas d’être simplement un technicien travaillant pour le superviseur en mettant en œuvre ses idées, comme je l’ai vu si souvent. Par conséquent, lorsque j’ai terminé mon doctorat, j’avais beaucoup d’idées pour des projets de postdocs et maintenant pour mon nouveau poste. En outre, j’ai beaucoup appris sur la politique de l’institut, au cours de mes deux années au Conseil de l’IDYST !
Qu’est-ce qui, à l’époque, avait motivé votre venue en FGSE ?
L’opportunité ! Lorsque j’ai commencé ma thèse, j’étais ingénieur informatique. Changer de domaine a été fécond. Par exemple, chaque fois que je ne savais pas quelque chose en géosciences, j’étais pardonné – parce que ce n’est pas mon domaine – et dès que je faisais un peu de code, ça avait un côté magique. C’est une situation où tout le monde est gagnant. Aujourd’hui, je travaille dans un institut de géosciences. Ce passage à l’IDYST a donc incontestablement influencé ma carrière.
Avez-vous aujourd’hui encore des collaborations de recherche avec la FGSE ?
Oui, j’ai encore beaucoup de contacts avec les membres de la FGSE et avec certains alumni. J’ai vraiment profité du réseau de l’UNIL, au sein de l’institut et de la faculté. D’où l’importance de la cafétéria ! J’ai également eu la chance d’assister à de nombreuses conférences et d’y faire des rencontres intéressantes. À mon arrivée au bâtiment Géopolis, je trouvais absurde que toutes les personnes ne soient pas « rangées » par groupe dans les bureaux. Mais avec un peu de recul, je me dis que ce mélange était une très bonne chose. Cela oblige les gens à se rencontrer davantage. Des collaborations intéressantes peuvent surgir ainsi.
Et aujourd’hui, quels sont vos projets professionnels et les questions de recherche qui vous animent ?
Mon poste est un poste de chef de groupe junior, ce qui signifie qu’à terme, je disposerai de mon propre groupe de recherche. J’aimerais développer des sujets un peu à l’écart de la mode, même si je collabore sur des « hot topic ». Je ne veux pas publier dans l’urgence, et je cherche plutôt les recherches de meilleure qualité.
À long terme, une de mes ambitions est de développer un système pour modéliser les élévations de terrain (un MNT). J’étudie la possibilité d’utiliser une technologie alternative pour améliorer la précision et la flexibilité, comparé aux méthodes actuelles. Je ne sais pas si ça va marcher, mais si ça marche, c’est une révolution au niveau énergétique et financier !
Je voudrais aussi pousser les étudiant·es à la créativité et à l’indépendance. Idéalement, j’ouvrirai un poste de doctorat sans sujet. C’est essentiel de trouver son propre sujet : on est plus motivé si on travaille sur ce qu’on aime. C’est plus intéressant aussi pour moi en tant que superviseur. Si possible, cette personne devra être aussi capable de remettre en question ce que je fais et dis !
Je voudrais prôner également une recherche de qualité. À cause de la pression pour publier, on assiste à une augmentation du nombre d’études, mais pas de la qualité. Résultat : comme lecteur, je n’ai ni le temps ni les informations nécessaires pour savoir ce qui a été fait dans une étude, pourquoi tel outil, tel code, a été utilisé. Pour ma part, je n’ai que deux papiers publiés en premier auteur. Mon dernier chapitre de thèse vient seulement d’être accepté pour publication, plus de deux ans après ma soutenance. Et c’est une bonne chose ; il a tellement évolué depuis ! Heureusement, à la FGSE, il n’y a pas d’obligation en termes de publication pour les doctorant·es. Aux Pays-Bas, on impose 4 papiers (1 par an) ! Le risque est qu’on produise de plus en plus d’articles qui vont dans le sens de tout le monde, en se basant sur des études précédentes et sans vérifier leur validité. Ma philosophie est plutôt de produire de bons papiers, qui ne vont pas forcément dans le sens du vent, mais qui sont solides.