Vous ne faites d’ailleurs pas qu’enseigner…
Effectivement, en parallèle à mon poste de professeur, j’officie comme chercheur anthropologue et je suis dans ce cadre rattaché à l’Institut Énergie et Environnement, un institut de recherche inter-école de la HES-SO Valais. Depuis trois ans, le projet SWEET LANTERN m’occupe beaucoup. Financé par l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), ce consortium de 17 institutions académiques vise à étudier et accélérer la transition énergétique. C’est un projet qui mobilise essentiellement des sciences sociales en partant du quotidien de la population : nous utilisons pour cela des méthodes participatives de co-création, à travers des living labs.
Mon rôle de référent de la politique « durabilité » au sein de la HESTS me permet par ailleurs de m’investir dans la politique institutionnelle. Comment transforme-t-on nos enseignements pour intégrer cette dimension dans les cours ? Comment encourage-t-on la recherche sur les défis socio-environnementaux dans le domaine du travail social ? Comment rendre la vie du campus plus durable ? C’est une petite partie de mon travail, mais cette mission me tient à cœur.
Quelles sont les particularités de la recherche et du travail en HES par rapport à l’UNIL ?
Les HES ont essentiellement une vocation de formation professionnalisante. C’est intéressant parce que les étudiant⸱e⸱s n’ont pas les mêmes profils sociologiques et académiques qu’à l’UNIL. Dès leur bachelor, ils se forgent une expérience pratique, en effectuant plusieurs stages. Les sciences sociales que j’enseigne ont vocation à être transférables sous forme de compétences métiers.
Mais les HES développent de plus en plus le volet recherche, avec un accent sur la recherche appliquée, ou la recherche à impact. Au sein de la HESTS, nous avons en fait des taux de réussite de projets FNS équivalents à ceux des universités. En ce moment, la recherche occupe 50 % de mon temps de travail. À la différence de l’université, la part de la recherche du cahier des charges varie, en fonction de divers facteurs, comme nos publications, nos demandes et obtentions de fonds.
La recherche est donc souvent en phase avec les appels à projets des offices fédéraux ou du Fonds national, car elle correspond à la demande sociale ou politique. Le travail en HES s’en retrouve très ancré dans la société et l’actualité. Par contre, cela laisse moins de temps disponible pour des publications, pour approfondir certains sujets et pour la recherche fondamentale.
Quelles compétences développées en FGSE utilisez-vous actuellement ?
Aujourd’hui je suis très impliqué dans le projet de l’OFEN. C’est un projet de CHF 10 millions de financement direct sur 7 ans, regroupant près de 60 chercheur·e·s, et portant notamment sur la mobilité, l’habitat et la recherche participative. Pour ma part, je suis responsable d’un sous-projet sur le tourisme bas carbone. Cette approche écologique du tourisme est en continuité avec ma thèse réalisée à l’UNIL, sur le tourisme balnéaire dans le Nord-Est brésilien. Mon travail à l’IGD dans le groupe études du tourisme, avec Christophe Clivaz, m’a permis d’acquérir une expertise en gouvernance et durabilité, qui m’est très utile.
C’est aussi à la Faculté des géosciences et de l’environnement que j’ai renforcé mon interdisciplinarité. Finalement, peu de gens ont cette opportunité de socialisation interdisciplinaire avec des géographes, des scientifiques de l’environnement, des sociologues… C’est très inspirant et formateur.
Avez-vous encore des collaborations de recherche avec la FGSE ?
À travers le projet SWEET, je collabore étroitement avec Selin Yilmaz. Nous montons aussi des projets ensemble, sur des questions de justice énergétique, sur des communautés énergétiques locales (CEL). Et je collabore aussi occasionnellement avec Christophe Clivaz, sur les questions touristiques, et continue de fréquenter l’IGD de Bramois, qui n’est pas loin de chez moi.
Comment s’est déroulée votre candidature au poste de « Professeur-e HES en travail social et transition énergétique » ?
Ce poste s’est ouvert pendant mon postdoc. Sa création était liée à une volonté institutionnelle de rapprocher l’Institut énergie et environnement et le travail social. En effet, les projets en énergie, les projets d’ingénierie font de plus en plus appel à des sociologues et des anthropologues. Pour moi, cette annonce était assez miraculeuse, puisqu’elle portait vraiment sur les thématiques qui m’intéressaient, c’est-à-dire les enjeux de société, d’environnement et d’énergie, qui plus est en Valais, un canton que j’affectionne.
Pendant l’audition, il a fallu convaincre et expliciter quel était d’après moi le lien entre le travail social et la transition énergétique. Une question à laquelle j’avais réfléchi au cours de mes recherches sur la gouvernance environnementale et sur les enjeux de pouvoir des infrastructures énergétiques.
Comment faire une place à la transition écologique dans un domaine qui s’occupe de populations fragilisées et ayant a priori d’autres priorités ?
Dans le travail social, il demeure une certaine suspicion vis-à-vis de la transition écologique : l’idée que l’on va imposer de nouvelles injonctions environnementales à des personnes déjà vulnérables, alors que ces populations ont un moindre impact environnemental et une capacité d’agir limitée. La « justice environnementale » se penche justement sur les inégalités environnementales comme un concept structurant pour le travail social. Ce concept est au cœur de mes réflexions, il permet de positionner le travail social de manière légitime dans les questions de transformation écologique. Autrement dit, « l’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage », affirmait le militant brésilien Chico Mendes. D’ailleurs, s’il y a un travail social à mener en matière de transition énergétique, c’est avant tout auprès des publics les plus aisés, afin de les faire revenir dans les limites planétaires et de les rappeler aussi à une injonction d’équité. C’est un peu une inversion des schèmes habituels du travail social, qui vise habituellement les catégories vulnérables.
Quand vous considérez votre parcours, rétrospectivement, quelles sont vos réflexions ? Un conseil à donner aux doctorant·es ou postdocs qui préparent la prochaine étape de sa carrière ?
J’ai pas mal louvoyé, à travers les disciplines et les pays, au gré de mes affinités intellectuelles, des opportunités et de ma curiosité. C’était sans doute un peu risqué, et je considère que j’ai eu de la chance de trouver ce poste, sur un territoire et une thématique auxquels j’étais déjà attachés.
Ce n’est pas facile de se projeter, mais peut-être faut-il réfléchir stratégiquement aux sujets qui sont porteurs scientifiquement, et là où il y a une véritable demande d’expertise. Et demander conseil finalement à des professeur⸱e⸱s et des professionnel⸱le⸱s sur les thématiques qui ouvriront plus facilement des portes.
La spécialisation dans des sujets passionnants, mais peu porteurs présente des risques. En tant que jeune chercheur, ça me parait important de prévoir un plan B, parce que les postes académiques sont limités, et parce qu’il y a plein d’autres belles opportunités dans le monde professionnel. Il y a aussi beaucoup de compétences non exclusivement académiques que l’on mobilise dans un parcours doctoral : la gestion de projet, les langues, l’écriture, les outils informatiques, les expériences de terrain, etc. Il ne faut pas hésiter à les valoriser et les compléter par des formations continues.
Et aujourd’hui, comment voyez-vous votre carrière d’ici quelques années ?
Voilà trois ans que je suis sur ce poste. J’ai pris mes marques, je comprends mieux le fonctionnement matriciel de la HES-SO. Tout en continuant ma progression au sein de l’institution, mon aspiration est maintenant de trouver un bon équilibre, entre la recherche, l’enseignement, les activités de services – et ma vie personnelle.
La transition énergétique et la justice énergétique sont des sujets qui ont encore de beaux jours devant eux. Je vais continuer à m’y attarder et à les approfondir dans des projets de recherche et dans mes enseignements. Je voudrais proposer des concepts, des indicateurs plus opérationnels, et travailler sur de nouveaux cas d’études pour avoir une compréhension plus concrète de la transition juste. La crise climatique induit des tensions croissantes, et creuse davantage les inégalités sociales. Dans ce panorama, le rôle du travail social est de visibiliser les populations marginalisées avec lesquelles on travaille depuis toujours – les personnes en situation de handicap, les minorités, les personnes migrantes, les enfants, les personnes âgées. C’est important de réfléchir à ces enjeux de société pour rendre cette transformation moins violente et plus équitable.
Entretien publié le 12 septembre 2024.