Définition
Une définition du principe de « scandale » sera esquissée grâce à aux textes d’Eric de Dampierre (1954, pp. 328-336) et de Dominique Kalifa (2007, pp. 197-211). Ecrit en 1954, l’article d’Éric de Dampierre est publié dans Les Annales, revue historique s’insérant dans une approche structurelle et socio-économique de l’histoire qui étudie les événements à long terme. Pour cette raison Éric de Dampierre présente le scandale, malgré sa durée limitée dans le temps, comme objet digne d’être étudié. Le texte de Dominique Kalifa, met en exergue l’importance du contexte politique et social d’une société et son rôle dans l’émergence des scandales. En effet, bien qu’il n’aborde que l’histoire du XIXe au XXe siècle, il constate que certains mécanismes liés aux scandales se mettent en place et se fixent à partir de la mise en place de la IIIe République. Ces modifications sont principalement, la naissance d’une presse à grand tirage, une libéralisation du système politique et sociale, les dénonciations ne sont plus perçues comme une critique du régime en s’individualisant et les acteurs « désingularisent » leurs causes. Le scandale devient à la fin du XIXe siècle une forme d’engagement et d’action publique.
Il est possible de formuler une définition du scandale sur la base des analyses faites par ces deux articles et en compilant les caractéristiques qu’ils lui attribuent. Un scandale est indépendant de sa gravité, de son retentissement, de sa durée, du nombre de personnes impliquées ou de leur notoriété, qu’il touche à la sphère privée ou publique, de ses causes et de ses conséquences. Toutefois, certains traits caractéristiques permettent de les isoler de simples fait-divers ou de dénonciations médiatiques sauvages. Premièrement, selon Dampierre, un scandale a un certain retentissement médiatique. Il doit faire l’objet d’un intérêt médiatique, qui s’occupe d’en faire un jugement parallèle, de l’alimenter et de la porter au public. Deuxièmement, il soulève l’indignation publique. Il peut s’agir d’un public large ou restreint, hétérogène ou spécialisé, général ou ciblé. Le public remet en cause la légitimité qu’il accordait à la personne touchée par le scandale, ou aux valeurs qu’elle met en péril. Il peut s’agir d’un scandale morale ou légal. Son analyse permet notamment de dévoiler les désaccords sur les normes dans une société. Finalement, un scandale peut aboutit à des prises de décisions politiques ou juridiques. Elles peuvent aller de la simple modification de règlement à l’emprisonnement.
Problématique
L’analyse des scandales provoqués par André Bonnard et Nicolas Herzen au sein de l’Université de Lausanne permettra de questionner la manière dont le pouvoir politique et administratif les prend en charge. Il sera question d’interroger les comportements internes au cercle des élites de l’Université de Lausanne face à ces scandales, afin de mettre en évidence le degré de cohésion entre ses membres et la manière dont ils prennent en charge les scandales lorsqu’ils concernent un de leurs membres.
Afin de réaliser ce questionnement, il s’agira premièrement de considérer l’émergence de ces scandales, pour en tisser un récit rattaché à son contexte historique et politique. Puis, l’attention se portera sur la manière dont Bonnard et Herzen se sont respectivement positionnés face à ceux-ci. Finalement, la façon dont les élites – Professeurs et autorités académiques –, dont ils faisaient partie, ont agis dans le déroulement du scandale sera analysé.
Le dialogue entre ces deux scandales chronologiquement distincts permettra de dégager certaines ruptures ou continuités concernant le comportement des élites face à leurs membres. Ce qui offrira une image casuistique des mécanismes d’interactions entre les élites de l’Université de Lausanne.
Conception d’« élite » mise en question
La notion d’« élite » prise en compte afin de mener à bout la problématique globale de la recherche sur les scandales est celle présentée par Wright Mills dans son L’Elite au pouvoir (pp. 1-42). Les mécanismes qu’il prête aux trois sphères du pouvoir qu’il met en avant seront appliqués aux élites de l’Université de Lausanne. Il s’agira principalement de questionner le postulat de Mills, affirmant que les cercles élitaires s’organisent comme un tout uni, presque hermétique et que leurs membres s’aident et se protègent les uns les autres, en l’appliquant à des cas concrets. Les scandales d’André Bonnard et de Nicolas Herzen permettront de questionner les mécanismes liés à la cohésion de l’élite universitaire dans une situation ou celle-ci est mise à l’épreuve.
Méthodologie
Afin de réaliser cette recherche, plusieurs sources documentaires ont été utilisées et analysées. La majorité des sources proviennent des archives universitaires de l’Université de Lausanne. Un dossier spécifique à chacun des cas y avait été constitué, contenant une grande quantité d’articles de presse traitant des deux scandales, permettant d’en tracer un récit monographique, ainsi que les documents administratifs, autant sur le dialogue entre l’Université et Herzen ou Bonnard que sur l’Université et les sphères élitaires extérieures. Pour le travail sur André Bonnard, deux fonds des archives cantonales vaudoises ont été consultés. L’un d’entre eux contient des documents sur le jugement de 1954, l’autre, dont la consultation a été généreusement accordé par le chef d’état-major de la police cantonale du canton de Vaud, contient des informations sur l’enquête qui a été menée sur Bonnard.
Le choix des cas de Herzen et de Bonnard pour élaborer un réflexion sur le scandale chez les élites de l’Université de Lausanne implique le statut des documents analysés. En effet, les données personnelles utilisées pour construire le propos devaient être accessibles et utilisables sans se confronter à des problèmes de droit de l’image. Ces deux cas sont assez anciens pour que certaines des données les concernant fassent partie du domaine public. De plus, leur documentation était assez riche pour permettre de réaliser ce travail, contrairement à plusieurs autres scandales.
Comportement des élites universitaires face aux scandales
Ces deux cas présentent une forme de continuité dans la manière dont l’Université de Lausanne avait de prendre position et de gérer les scandales que provoquaient les membres de son élite. Ces cas sont également complémentaires, puisque l’affaire de Herzen concerne un scandale qui a éclaté au sein de l’Université, tandis que Bonnard a été attaqué par des groupes élitaires extérieurs. L’élite de l’Université de Lausanne a été autant atteinte par les agissements internes de Herzen que par les accusations des groupes extérieurs dues à la conduite de Bonnard. Leur cohésion a été mise à l’épreuve. Un élément est venu perturber son intégrité, la poussant à prendre position face aux problèmes et face à leur membre. La stratégie adoptée est la même dans tous les conflits. La priorité a été de limiter l’implication de l’Université en tant qu’administration dans le conflit, en se désolidarisant du membre qui posait problème. Après s’être distancée des accusations, et les avoir concentrés sur le membre qui en est à l’origine, la stratégie consistait à le soutenir et lui éviter le plus de problèmes possible, par une mobilisation de groupe ou individuelle. Ceci témoigne d’une unité voulue au sein de l’élite, dans le sens où ils tentaient de limiter les conséquences sur la cohésion de celle-ci, malgré le soutien un membre perturbateur pour y parvenir. Ainsi, les parcours de Nicolas Herzen et d’André Bonnard confirment la thèse de Mills en montrant la façon dont l’élite de l’Université de Lausanne cherchait à conserver et à cultiver sa cohésion. La manière dont elle modulait son discours et dialoguait avec ses interlocuteurs était façonné pour atteindre une unicité équilibrée.
Auguste Bertholet et Edouard Hediger