par Arno Renken
Fidélité, justesse, pertinence… on connaît ces obsessions des discours sur la traduction et les évidences normatives qu’elles charrient. La traduction est supposée coïncider avec un autre texte, un ‘original’, s’unir et s’identifier à lui, se l’approprier sans reste. La traduction n’en différerait alors que par défaut : on la rêve indifférente, on la souhaite invisible, illisible.
Pourtant, pour peu qu’on la lise, la traduction résiste obstinément aux normes d’identification et d’appropriation qui lui sont imposées ainsi qu’aux métaphores de passage ou de transport par lesquelles on la décrit. Elle se donne à lire comme événement d’une étrangeté dont on peut montrer la performance ouvrante. Il s’agit alors d’être sensible non seulement à la manière dont la lecture de la traduction emporte les textes, les dynamise et les transforme, mais aussi comment, en retour, elle amène à reconsidérer ce que nous appelons ‘littérature’ et ‘traduction’. Inlassablement, en effet, la traduction paraît emporter avec elle le point de départ et les évidences par lesquels on cherche à l’aborder. Les points cardinaux d’une position et d’une méthode se mettent alors eux aussi à bouger, la boussole théorique s’affole. C’est cette impertinence créative de la traduction, son travail de subversion que cette recherche étudie.
Un tel projet est indissociable de la singularité des textes, et de leur lecture en plusieurs langues. Que ce soit des œuvres philosophiques (Descartes, Benjamin, Gadamer, Foucault, Derrida) ou littéraires (Beckett et Dürrenmatt), l’attention est portée non seulement sur ce qui est dit de la traduction, mais aussi sur ce que la traduction fait à la lecture et à l’écriture. « Pour lire la traduction » ne dit alors rien d’autre que le plaisir de la traduction qui nous offre une littérature encore à inventer.
Thèse publiée: Babel heureuse. Pour lire la traduction, Van Dieren, Paris, 2011.
Publication d'Arno Renken disponible au CTL :
La Représentation de l'étranger. Une réflexion herméneutique sur la notion de traduction, éd. Irene Weber Henking, CTL n° 42, série " Théorie ", Lausanne, 2002.