1.1 L'écart entre les représentations du banquet dans la littérature, l'iconographie et la "réalité"
Q: Quel écart entre les Banquets littéraires et la réalité?
A quelles classes sociales (milieux plolitiques, niveaux économiques) appartenaient les participants? Dams quelle mesure l'idée qu'il s'agit d'une pratique aristocratique est-elle correcte?
R1: Pour le dire tout de suite, de manière très directe: molto ! Du moins si par « banquet réel « nous entendons le banquet que nous pouvons reconstituer à partir des nombreux exemples tirés des poèmes homériques ou de la poésie mélique, mais aussi à partir d'autres exemples de banquets de l'époque classique, à commencer par celui décrit par Xénophon dans son propre Banquet, un banquet qui dans son fonctionnement est, à plusieurs égards, beaucoup plus conformiste que celui de Platon. Certes, nous ne pouvons pas exclure a priori qu'un banquet comme celui que Platon décrit ait pu se produire dans la cité, c'est-à-dire que des hommes aient pu effectivement se réunir dans le but précis et unique d'échanger des discours savants sur un sujet donné. D'ailleurs, le Banquet de Xénophon semble présenter, mutatis mutandis, un cas de figure similaire, sinon dans son déroulement, du moins dans la mise en scène initiale du dialogue. Toutefois, si nous nous allons regarder l'ensemble des témoignages littéraires que nous possédons sur le banquet et que nous allons comparer le texte de Platon avec ces autres exemples conviviaux, on s'apercevra que le banquet que Platon décrit n'est pas représentatif d'un banquet traditionnel. Chez Platon il s'agit, plus que d'une simple reprise de cette institution, d'une véritable récupération dans le but philosophique qui est le sien. Sans jamais le dire, Platon opère un véritable détournement du banquet traditionnel de type homérique (comme le remarquait déjà Athénée au livre V des Deipnosophistes) : d'une part, par la place prédominante et exclusive qu'il réserve au discours rationnel contre toute autre forme de discours entre les convives (notamment poétique) et, d'autre part, par l'omission dans le banquet de tout plaisir typiquement convivial (musique, spectacles, boisson réglementée...), autre que la circulation de la parole savante. Loin de respecter la tradition, avec Platon, peut-on dire, commence plutôt une nouvelle tradition et un nouveau genre littéraire, le genre du « banquet philosophique » ou, pour utiliser les termes du rhéteur Hérmogène, le genre du « banquet socratique ».
Quant au statut social des personnes réunies, il est clair qu'il s'agit toujours de la crème de la cité. Dans le cas de Platon, il met en scène un cercle d'hommes érudits qui se réunissent pour célébrer l'un des leurs et qui, finalement, réalisent leur symposion exclusivement en mettant en commun un certain savoir.
L.R.
Q2: Il s'agit plutôt d'une hypothèse que je vous propose ici de mettre à l'épreuve.
Il me semble que, par le fonctionnement de la réunion conviviale et par les personnages réunis à la table d'Agathon, dans le Banquet de Platon on retrouverait une certaine coexistence des modes de vie qui caractérisent les trois stades de la cité platonicienne dans la République (voir surtout le livre II), à savoir :
-le mode de vie de la cité véritable qui est sain et juste (comme le Socrate du Banquet) ;
-le mode de vie de la cité du luxe qui est malade, injuste et risque de tout faire disparaître par son caractère excessif (comme l'Alcibiade du Banquet) ;
-le mode de vie de la « belle cité » où les malades peuvent espérer guérir grâce aux rois-philosophes (comme les autres invités d'Agathon peuvent guérir de leur excès grâce à Socrate), et où les deux précédents modes de vie semblent alors, en quelque sorte, déjà réunis.
Est-ce qu'il y a chez Platon une vision synchronique de l'évolution de la cité qu'il semble pourtant décrire de manière diachronique ?
Peut-on dire que le banquet chez Agathon est l'illustration d'une telle vision ?
Peut-on aller plus loin dans le parallèle entre ces deux dialogues platoniciens ?
Le Banquet aurait-il en ce sens aussi une valeur politique, et pas seulement éthique ?
Si oui, le banquet est ici bien l'illustration d'un carrefour d'idées politiques et morales.
L.R.