SOMMAIRE
Littératures minoritaires
Manfred GSTEIGER - Littérature comparée et littératures minoritaires. Quelques questions pour introduire un dossier (p. 3-6)
Marc ELIKAN - La littérature yiddish et un de ses représentants, Isaac Bashevis Singer (p. 7-24)
On ne peut nier l'existence d'une tradition littéraire juive en langue hégémonique. Le cas de Singer est exemplaire en ce sens qu'il écrit en yiddish, langue en voie de disparition; certaines de ses nouvelles et quelques romans se font l'écho de cette préoccupation et de cette volonté de survivre malgré tout. Après la Schoah, il est essentiel de témoigner, pour perpétuer le souvenir des disparus. Dans cette brève étude, nous allons aborder le problème à l'aide de «The Lecture» et Shosha, deux textes qui vont nous permettre de mieux comprendre comment Singer se situe face à cette grave catastrophe qui a durablement bouleversé le judaïsme mondial.
Hans-Georg GRÜNING - La littérature allemande du Tyrol du Sud (p. 25-40)
Hans-Georg Grüning est germaniste et comparatiste à l'Université de Macerata (Italie). Il s'intéresse plus particulièrement à la réception de la littérature allemande en Italie et à la traduction littéraire; récemment il a publié une étude sur l'«image» goethéenne des lettres italiennes (Goethe critico della letteratura italiana, Palermo, Palumbo ed., 1988, in: Aurora, collana diretta da A. Gnisci e G. Pugliesi). Dans son article il analyse la situation particulière et à bien des égards exemplaire des auteurs germanophones du Tyrol du Sud italien et l'évolution de cette littérature qui a su dépasser les limites d'un provincialisme ou d'un nationalisme étroit.
Manfred GSTEIGER - Les écrivains alémaniques francophones de l’Ancien Régime (p. 41-50)
Il n'est pas sûr que le corpus de textes du XVIIIe et du début du XIXe siècle dont les auteurs sont des Suisses allemands plus ou moins acculturés constitue une littérature minoritaire à proprement parler. Mais le concept en question peut se révéler utile, voire indispensable pour mieux comprendre ces écrivains dans leur spécificité.
Norberto GIMELFARB - Littérature latino-américaine, hispano-américaine, ibéro-américaine, indo-américaine ? De l’Amérique dite latine ou du labyrinthe de l’identité (p. 51-60)
La multiplicité même des appellations de cette partie de l'Amérique constitue un problème en soi. Si on ajoute que des êtres humains aux origines très diverses sont censés trouver une partie de leur identité individuelle ainsi que leur identité communautaire continentale à travers ce foisonnement de dénominations, on se retrouve au sein de ce labyrinthe qui est bien plus qu'une image et un symbole communs à l'œuvre de nombreux écrivains, dont les plus notoires sont O. Paz et J. L. Borges. Le labyrinthe pourrait être la réalité même au sein de laquelle les identifications menant à l'identité doivent avoir lieu. Il ne semble pas y avoir de fil d'Ariane en vue.
Leçons
Jean-Luc SEYLAZ - Bouvard et Pécuchet ou l’histoire au présent (p. 63-78)
Le chapitre VI de Bouvard et Pécuchet présente deux singularités. C'est le seul, dans le roman, dont les limites soient précisément datées: il commence avec la Révolution de 48 et s'achève aussitôt après le coup d'Etat du 2 décembre. C'est aussi le seul dans lequel la vie privée et les réflexions des héros soient constamment déterminées par l'Histoire. A partir de ces deux réalités textuelles, je pose différentes questions. 1° Quels sont les faits historiques que Flaubert retient? (j'introduis ici la notion de «moments reçus» par les historiens, seuls véritables référents, selon Eco, des romans historiques). 2° En face de cette Histoire, comment réagissent les deux «bonshommes»? (ils sont ici beaucoup plus les porte-parole de l'auteur que ses têtes de Turc). 3° Si Bouvard et Pécuchet vivent «au présent» cette brève existence de la IIe République, quelle était l'Histoire au présent pour Flaubert durant les années où il composait Bouvard et Pécuchet?
Neil FORSYTH - The Devil in Milton (p. 79-96)
Le Satan du Paradis perdu de John Milton (1608-1674), peut-être le personnage le plus déroutant de la littérature anglaise, a suscité polémiques et controverses. Le conférencier tâche de percer à jour les principales énigmes posées par cette figure aussi fascinante que terrifiante. Il affirme en effet que Satan est le véritable héros du poème, mais non - comme le croyait Shelley, poète romantique et révolutionnaire - à cause de ses qualités morales, mais bien parce que le diable incarne l'esprit séducteur qui préside à l'élaboration du poème dans son ensemble. Dans un premier temps, Satan est posé dans sa littérarité, plutôt qu'en tant que l'incarnation du mal; le conférencier rappelle toutefois que ce fut la croyance générale à l'époque de l'auteur, notamment quant à la présence diabolique sur scène et dans les rituels du sabbat. Sont abordés dans cette perspective, l'aspect sexuel du personnage, sous les espèces d'une morphologie serpentine, puis diverses «contaminations» entre Satan et la figure du Christ.
Rolf EBERENZ - L’espagnol et les langues indigènes dans l’Amérique coloniale: les discours de la politique linguistique (p. 97-118)
Si l'espagnol est à l'heure actuelle parlé par quelque 300 millions d'Européens et Américains, son apprentissage forcé par les populations indigènes du Nouveau-Monde a fait l'objet d'un débat passionné pendant toute la période coloniale. Cette discussion s'engage dès le début de la conquête, lorsque les rois d'Espagne ordonnent l'évangélisation des Indiens, mission qui devait justifier leur souveraineté sur les peuples amérindiens. Or, si la Couronne entend hispaniser petit à petit ses nouveaux sujets, les ordres religieux chargés de la catéchèse se rendent compte qu'ils ne peuvent accomplir leur tâche qu'en employant et même en cultivant les plus répandues des langues indigènes, c'est-à-dire le nahuatl, le quechua et le guarani. Le XVIe siècle voit donc l'épanouissement d'une véritable culture littéraire et spirituelle dans ces langues, au point que certains constatent avec mécontentement que la diffusion de l'espagnol n'avance guère. Un discours favorisant plus résolument la langue des colonisateurs s'affirme à partir du XVIIe siècle: les ordres religieux perdent leur influence prédominante au profit du clergé séculier qui, d'intelligence avec les autorités politiques, prétend contribuer à la cohérence de la société coloniale en forçant l'hispanisation des Indiens.
Johannes BRONKHORST - L’indianisme et les préjugés occidentaux (p. 119-136)
L'Inde a été de tout temps en Occident l'objet d'idées préconçues. L'indianisme a pu corriger la plupart de ces préconceptions, mais il en a malheureusement retenu certaines. Parmi celles-ci, l'idée de la grande ancienneté de l'Inde, qui est elle-même ancienne; pourtant, elle influence jusqu'à ce jour les efforts pour dater la période védique. Un préjugé plus récent concerne la célèbre grammaire de Panini. Elle est l'objet de l'admiration des linguistes modernes, qui ont tendance à privilégier ses ressemblances avec la linguistique d'aujourd'hui. Mais cela comporte le danger que l'on néglige d'autres aspects, peut-être moins acceptables pour la pensée contemporaine.