304 (2017/2) Du Rhin à l'Oronte: Maurice Barrès écrivain - Edité par Olivier Wicky et Alain Corbellari

Parmi toutes les figures d’écrivains qui se sont illustrés lors de la Grande Guerre, celle de Maurice Barrès est sans aucun doute l’une des plus saillantes, sinon l’une des mieux famées… À l’heure où nous célébrons le centenaire du premier conflit mondial, il peut donc apparaître d’autant plus important de revenir sur cet auteur pour rappeler que l’on ne doit pas le réduire à ce rôle de chantre d’une «certaine idée» de la France nationaliste, et de rappeler les richesses d’une œuvre et les ambiguïtés d’une carrière littéraire où l’égotisme et le patriotisme, le narcissisme fin de siècle et l’exaltation de «l’énergie nationale» se donnèrent la main. C’est ainsi d’abord sous l’angle d’un style qui exerça une fascination durable sur plusieurs générations de jeunes gens, de Péguy à Aragon et même à Senghor, que l’on envisagera ici l’auteur des Déracinés et d’Un jardin sur l’Oronte; sans occulter ses parts d’ombre, l’enjeu de ce volume est de rééxaminer à nouveaux frais la tension exemplaire entre compromission et idéal qui fait que l’œuvre de Barrès appartient avant tout, et aujourd’hui plus que jamais, à la littérature.

SOMMAIRE

Olivier Wicky, Alain Corbellari - Barrès s’éloigne-t-il? (p. 7-14)

Étienne Barilier - De Venise à Venise (p. 15-34)

Maurice Barrès a écrit La Mort de Venise; et Thomas Mann, quelque dix ans plus tard, La Mort à Venise. Le premier a vu ou a voulu voir dans la ville mythique le lieu de la déliquescence et de la mort, en face duquel son moi se découvre d’autant plus vivant et jouit d’autant plus de lui-même. Venise, donc, le conforte. Mais Venise, tout aussi mortifère, déchire et dévaste Aschenbach, le héros de Mann. Cette ville n’est pas pour lui l’occasion d’un triomphe, mais d’un échec et d’une catastrophe. Aschenbach prend conscience que la mort et les abîmes ne sont pas hors de lui, mais en lui. Barrès se mire dans Venise. Le héros de Mann va s’y détruire. Ce sont là deux formes de conscience, deux manières d’affronter les «puissances souterrraines».

Jean-Michel Wittmann - «Rien ne fausse plus la réalité que d’y vouloir trouver des types absolus et complets». Barrès et le type dans Le Roman de l’énergie nationale (p. 35-48)

Au moment de concevoir son Roman de l’énergie nationale, Barrès affirme l’ambition de «créer des types», après Balzac mais aussi contre Balzac. Il se révèle pratiquement obsédé par cette notion de type qui, en tant qu’alliance entre l’individuel et le typique, renvoie au sujet du roman: le déracinement, c’est-à-dire la tension entre l’individu et la collectivité. Il fait cependant un usage singulier du type, opérant de fait une dissolution de l’individualité dans la généralité. Le traitement barrésien du type, qui reflète son rejet du narratif et son goût pour le roman d’idées, en s’éloignant radicalement du roman balzacien, contribue ainsi à figer l’univers romanesque de Barrès, tout en traduisant paradoxalement l’inquiétude du romancier, hanté par la peur du délitement et de la dissolution, individuelle ou collective.

Séverine Depoulain - Aux origines de l’esthétique barrésienne: le roman au miroir de la presse (p. 49-64)

Les liens étroits qui unissent les romans aux articles de presse à la Belle Époque invitent à reconsidérer la carrière littéraire de Maurice Barrès au regard de son statut de journaliste. Le romancier du Culte du moi et de l’Énergie nationale fait en effet partie d’une génération qui a su s’approprier les opportunités offertes par la presse pour penser la littérature. Études et chroniques littéraires forment ainsi un espace unique qui permet de comprendre la genèse de la sensibilité barrésienne.

Ursula Bähler - Ernst Robert Curtius, lecteur de Maurice Barrès (p. 65-86)

Le Maurice Barrès und die geistigen Grundlagen des französischen Nationalismus d’Ernst Robert Curtius, paru en 1921, est à ce jour la seule monographie allemande consacrée au chantre du nationalisme français. Peu lue des deux côtés du Rhin, elle constitue pourtant une analyse étonnamment lucide, voire une véritable déconstruction du nationalisme barrésien. Arraché, au dire de l’auteur, aux charmes esthétiques exercés sur lui par l’œuvre de Barrès, cet ouvrage permet en même temps de mieux cerner la pensée du jeune Curtius dont les travaux postérieurs continuent à soulever de vives polémiques.

Alain Corbellari - Maurice Barrès et Joseph Bédier: une amitié idéologico-littéraire (p. 87-110)

Dreyfusard, le médiéviste Joseph Bédier (1864-1938) n’avait apparemment guère de raison d’être ami avec Maurice Barrès. La Grande Guerre les a pourtant rapprochés en les faisant communier dans le culte de la grandeur française et les a même amenés à collaborer autour d’un livre que l’on attribue généralement au seul Barrès, mais dans l’élaboration duquel Bédier semble avoir joué un rôle important: Les Diverses Familles spirituelles de la France.

Bourahima Ouattara - Senghor, lecteur de Barrès (p. 111-132)

Senghor, lecteur de Barrès met en évidence les liens profonds entre deux pensées que tout paraît opposer: le nationalisme et la Négritude. Mais, s’étant abreuvé à toutes les sources littéraires et philosophiques de son époque (Bergson, Claudel, Péguy, Gide...), Senghor ne pouvait, dans sa construction de la Négritude, faire l’économie d’une appropriation de Maurice Barrès.

Vital Rambaud - L’idéal chevaleresque de Maurice Barrès (p. 133-144)

Les chevaliers ont toujours fasciné Barrès. Il n’a pas cessé d’en rechercher les traces au cours de ses différents voyages, notamment en Grèce et aux pays du Levant. Mais son intérêt pour eux n’est pas seulement romanesque ou historique. Les valeurs chevaleresques représentent à ses yeux un idéal proprement français que l’auteur de Scènes et doctrines du nationalisme et, plus encore, celui de la Chronique de la Grande Guerre s’est plu à retrouver incarné chez un certain nombre de ses contemporains.

Denis Pernot - Chronique de la grande guerre de Maurice Barrès: une épreuve de l’anonyme (p. 145-160)

Revenant à cette part, désormais très oubliée, de son œuvre, notre réflexion envisage les chroniques de guerre que Barrès a publiées dans L’Écho de Paris sur le fondement d’une difficulté qu’il évoque à plusieurs reprises: comment célébrer des mérites anonymes? Comment inscrire dans la mémoire nationale française des héros qui ne peuvent être nommés? Elle montre que, prenant les aspects d’une épreuve de l’anonyme en action et en travail, ses chroniques de guerre conduisent Barrès à remettre en question, si ce n’est à refuser, l’autorité qui était associée à son nom: la célébration des mérites anonymes passe par un travail d’écriture amenant l’écrivain lorrain à jeter le voile de l’anonyme sur sa propre prise de parole.

Olivier Wicky - Maurice Barrès, l’amour et l’Orient (p. 161-184)

En 1922, paraît le dernier roman de Maurice Barrès, Un jardin sur l’Oronte, qui se déroule à l’époque des croisades et raconte les amours passionnées et tragiques de Guillaume, jeune chevalier franc, et de la belle Sarrasine Oriante. La sortie de ce texte provoqua l’étonnement et la colère du lectorat catholique de Barrès et entraîna une vaste querelle littéraire où l’on reprochait à Barrès d’avoir trahi ses idéaux passés. En analysant la genèse de ce roman, ses sources médiévales et orientales, ses thématiques et ses personnages, en le relisant au miroir de la biographie de l’auteur – et plus particulièrement de sa relation avec Anna de Noailles –, on constate toutefois que ce texte, marquant un retour au culte du moi, s’inscrit dans une continuité que Barrès n’avait jamais totalement rompue.

Claire Bompaire-Evesque - «Je ne sais pas la vérité de la religion, mais je l’aime»: les interrogations religieuses des années de maturité de Barrès, d’après ses Cahiers (p. 185-206)

Cet article étudie l’évolution du questionnement religieux de Barrès entre la fin du Roman de l’énergie nationale et la publication de La Colline inspirée, à travers le témoignage des Cahiers. Dans cette période, le théoricien de la terre et des morts essaie de sortir du carcan du moi et de la nation pour s’ouvrir à la vie universelle par la voie spirituelle et religieuse. Pour résoudre le conflit qui s’élève entre ses aspirations religieuses et les exigences de sa raison formée par l’Université du XIXe siècle, il médite sur le cas de Pascal, en qui le savant et le croyant s’unissent dans un même souci de vérité. C’est dans la conception renanienne et tainienne d’une religion «poème» que Barrès trouve la conciliation qu’il cherche.

Adresses des auteurs (p. 207-208)

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ISBN 978-2-940331-65-9

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