SOMMAIRE
Raphaël BARONI, Antonio RODRIGUEZ - Instruire par les émotions : théorie et didactique littéraires (p. 7-16)
Le statut des passions dans la lecture et les études littéraires
Jérôme DAVID - Chloroforme et signification : pourquoi le littérature est-elle si soporifique à l’école ? (p. 19-32)
Trois essais contemporains débouchent sur un constat commun : l’impossibilité, pour les œuvres littéraires lues par les élèves, à faire sens au-delà de la classe. Les présupposés des savoirs critiques transposés à l’école depuis quarante ans expliquent cette impossibilité, puisqu’ils font du « second degré » de la littérature le critère de la valeur artistique et le signe d’élection des lecteurs avertis. or ce « second degré » s’accompagne d’une forme d’expérience esthétique souvent hors de portée des élèves ; il impose surtout un mode de subjectivation par la littérature dont les mots d’ordre sont la défiance, le scepticisme et l’ironie solitaire. Le « premier degré de la littérature » proposé ici se présente comme une alternative possible à cette conception.
Vincent JOUVE - Emotion et intérêt dans les études littéraires (p. 33-46)
Partant du principe que l’analyse d’un texte est une forme de lecture élaborée, on examinera les deux moteurs du plaisir narratif – l’intérêt et l’émotion – pour voir ce qu’ils deviennent dans le cadre d’un enseignement : persistent-ils ? sous quelles formes ? et pour quels bénéfices ?
Gérard LANGLADE - La lecture subjective est-elle soluble dans l’enseignement de la littérature ? (p. 47-64)
Profondément marqué par une approche distante et formelle des œuvres, l’enseignement littéraire ignore pour l’essentiel les réactions affectives des sujets lecteurs. Elles donnent pourtant du sens à la lecture et participent à la formation de lecteurs sensibles et créatifs. Certes, la lecture subjective, qui relève de l’intime et sollicite des personnalités singulières, entre difficilement dans l’espace scolaire. Les relations métaleptiques entre le monde des œuvres et celui des lecteurs, les expériences de lecture qui font événements et, surtout, les inévitables reconfigurations des œuvres sous l’effet des imaginaires, des désirs et des interrogations des lecteurs n’en offrent pas moins de riches perspectives à la didactique de la lecture littéraire.
Chiara BEMPORAD - Lectures et plaisirs : pour une reconceptualisation des modes et des types de lecture littéraire (p. 65-84)
La présente contribution se propose de réfléchir aux caractéristiques de la lecture littéraire. Les théories didactiques actuelles s’accordant à construire leurs conceptions de la lecture autour de dichotomies, l’article proposera d’analyser ces différentes conceptions en se basant sur des témoignages de lecteurs réels (cinq étudiantes universitaires). Cette analyse théorique et empirique conduira à proposer une différenciation entre « types » et « modes » de lecture : la première se base sur les représentations des lecteurs, la deuxième sur leurs compétences. Ces reconceptualisations permettront de donner des pistes pour analyser le rôle du plaisir chez les lecteurs en formation.
Comment retrouver la passion dans l’enseignement de la littérature ?
Antonio RODRIGUEZ - L’analyse de texte aujourd’hui. De l’anthropologie à l’éthique de la discussion (p. 87-108)
Actuellement soumise à la critique, après avoir été l’exercice-phare du structuralisme, l’analyse de texte ne peut plus être comprise comme une épreuve de l’objectivité. Si les présupposés de l’« autorité textuelle » ont été délaissés, l’exercice devrait être poursuivi sur de nouveaux principes, sans renoncer à ses composantes descriptives, argumentatives et intersubjectives. L’acquisition de la rigueur et de la pertinence dans le commentaire développe des compétences cognitives et attentionnelles favorables aux conduites esthétiques face à la langue et aux œuvres littéraires. La réflexion s’étend à une éthique de la discussion qui règle la validité des résultats ; cet exercice en apparence austère devenant alors un moyen d’éducation majeur du citoyen en démocratie.
Raphaël BARONI - Les rouages de l’intrigue dans l’atelier de Ramuz : la tension expliquée (p. 109-132)
L’intrigue est une notion polysémique qui a été récemment revisitée par les théories du récit, que certains définissent comme « postclassiques », pour souligner leurs différences par rapport aux paradigmes formalistes. Dans ce nouveau cadre d’analyse, l’intrigue n’est plus seulement conçue comme représentant la logique de l’histoire racontée, mais comme une stratégie discursive visant à engendrer un effet de tension chez le lecteur. A ce titre, l’étude de l’intrigue devient la voie royale pour explorer les liens passionnels qui se nouent entre les récits et leurs lecteurs. L’œuvre de Ramuz Derborence sert d’illustration à ce que pourrait être un enseignement de la littérature centré sur l’intrigue dans sa définition la plus dynamique et dans son extension la plus large.
Jean-Louis DUFAYS - De la tension narrative au dévoilement progressif : un dispositif didactique pour (ré)concilier les lectures du premier et du second degré (p. 133-150)
Cet article développe une thèse : les enseignants peuvent peser de manière déterminante sur l’engagement de leurs élèves dans la lecture des textes littéraires en favorisant au maximum les processus relatifs à la participation affective du lecteur aux référents du texte. Pour étayer cette idée, on s’attache ici à caractériser ce mode de lecture spécifique, puis à décrire la place qui lui est accordée dans les pratiques enseignantes. On présente ensuite un dispositif didactique qui semble particulièrement indiqué pour le favoriser, à savoir le dévoilement progressif, dont sont analysés tour à tour les modalités, les enjeux, les variantes et les limites.
Matine BOYER-WEINMAN - Comment « l’écologie littéraire » peut-elle raviver la relation aux œuvres et à leur transmission ? (p. 151-164)
La crise des études littéraires du XXIe siècle réactive sur un mode majeur, européen et mondial, un sentiment d’éclipse du littéraire déjà perceptible chez les écrivains français depuis le XIXe siècle. Phénomène multifactoriel et tournant anthropologique qui affecte l’enseignement et tous ses acteurs, la crise nous convie à une « écologie » des usages du littéraire, dont on examinera les contours théoriques avant de l’aborder sous un angle pratique dans l’espace d’une classe. Les passions travaillées par la littérature et suscitées par les œuvres peuvent être le meilleur allié du pédagogue dans son travail de transmission d’un savoir et d’une éthique de la littérature.
Marielle MACÉ, Raphaël BARONI, Antonio RODRIGUEZ - La lecture, les formes et la vie. Entretien (p. 165-180)
Dans son dernier livre, Façons de lire, manières d’être, Marielle Macé replace l’expérience de lecture à l’intérieur d’une vaste « stylistique de l’existence » ; elle établit un lien entre cet élargissement de la question du style aux formes de la vie, et ce que nous pouvons attendre des livres : la lecture lui apparaît comme l’une de ces conduites par lesquelles, quotidiennement, nous donnons un aspect, une figure, des formes, des rythmes, quelque chose comme « un style » à notre existence. Son ouvrage part d’une réinterprétation des rapports entre la littérature et la vie ; il pose que c’est dans la vie elle-même que les œuvres se tiennent, déposent leurs traces et exercent leur force. Il n’y a pas d’un côté la littérature, et de l’autre la vie ; il y a au contraire, dans la vie elle-même, des formes, des images, des styles d’être qui circulent entre les sujets et les œuvres, qui les exposent, les animent, les affectent, les transforment (ou les laissent indifférents). En sorte que les formes littéraires se proposent dans la lecture comme de véritables phrasés de la vie, engageant des conduites, des rythmes, des puissances de façonnement, des valeurs pratiques. Dans l’expérience ordinaire et extraordinaire de la lecture, chacun peut alors se réapproprier son rapport à soi, à son langage, à ses possibles, à ses modes d’être, et la littérature apparaît comme le lieu où se médite ce qu’il entre de formes dans la vie
Adresses des auteurs (p. 181-182)