Du dehors de l'hallucination à l'introprojection du fantasme. Historicité et structure de la maladie mentale
Jean NAUDIN, Jean-Michel AZORIN - Rôle actuel de l'analyse existentielle dans la psychothérapie des schizophrènes (p. 183-190)
L'analyse existentielle permet de comprendre, c'est-à-dire aussi d'expliciter dans un langage à la fois rigoureux et inventif, la situation vécue en souffrance des schizophrènes. Elle permet de concevoir cette situation en des termes autres que ceux d'un déficit purement cognitif ou cérébral et d'agir en retour sur la réversibilité du processus morbide sur la base d'une reconstruction de l'expérience globale de soi, du monde et d'autrui.
Frédéric JOVER - Schizophrénie et opinion primordiale (Urdoxa) (p. 191-202)
La question de la schizophrénie reste au centre des écrits de la phénoménologie depuis les Classiques (Merleau-Ponty, Straus), jusqu'aux auteurs Modernes (Maldiney, Tatossian, Blanckenburg, Célis). Leur lecture permet d'éclairer l'expérience schizophrénique et de repenser certains symptômes tels que la dépersonnalisation, l'automatisme mental, les éléments paranoïdes. Dépassant le simple constat d'une privation (point de départ de beaucoup de théories), la phénoménologie dans une perspective psychopathologique intègre et réhabilite l'expérience schizophrénique dans l'expérience humaine en général, préalable de toute thérapeutique à venir.
Michèle GENNART, Fernand SEYWERT - Pour une analyse des formes de l’existence en souffrance. A propos de La schizophrénie débutante de Klaus Conrad (p. 203-222)
Les auteurs soulignent l'apport de la méthode psychopathologique promue dans l'étude de Klaus Conrad, Die beginnende Schizophrenie. Versuch einer Gestaltanalyse des Wahns. L'"analyse structurelle" étudie en propre la forme (Gestalt) de l'expérience vivante (Erleben) qui constitue la réalité phénoménologique concrète d'un syndrome psychiatrique. En se concentrant sur la schizophrénie débutante, Conrad cherche à éclairer in actu la modification diachronique du "vivre" qui sous-tend la formation du tableau schizophrénique, et à dégager l'unité de mouvement qui répond de la cohérence interne de ses différents sous-types. Il analyse le processus de transformation de l'expérience dans la schizophrénie en y distinguant une série de cinq phases. En commentant ce processus, les auteurs insistent sur la dimension "existentielle" de la métamorphose. Avant de se présenter comme une maladie "mentale", la schizophrénie est l'expérience d'une modification fondamentale du champ de la présence: présence aux entours, aux autres et à soi-même. La compréhension du patient schizophrène suppose que l'on acquière un certain accès à la forme essentiellement modifiée de son expérience.
Lorenzo CALVI - Angoisse et epoché comme destruction du monde ou la consommation du corps (p. 223-240)
Au début de son expérience en psychiatrie phénoménologique, l'auteur a envisagé les analogies existantes entre l'angoisse phobique et l'époché philosophique, les deux oeuvrant sur le corps à la manière d'une lime. Dans plusieurs "cas cliniques" observés pendant sa vie professionnelle, l'auteur retient qu'il est possible de décrire l'expérience de l'angoisse en recourant à la métaphore d'un travail de lime qu'effectue la chair sur le corps, activité qui conduit à l'amoindrissement de la consistance corporelle qui protège l'homme de la dureté de la vie. Il présente son propos à partir d'un cas sévère de délire hypocondriaque où ce travail de la chair sur le corps est clairement perceptible.
Bruno CALLIERI - Un lien entre culture phénoménologique et clinique psychiatrique: la rencontre avec la personne délirante (p. 241-250)
L'auteur étudie la possibilité de rendre effective une rencontre interpersonnelle avec les patients délirants. Il s'interroge sur la difficulté de s'ouvrir au "monde humain commun", sur le trouble de "nos" perspectives mondaines, le risque d'une confrontation avec la donation de sens anormale. La culture phénoménologique rend possible, à son avis, la tentative de récupérer l'autre caché dans l'alienus. L'approche clinique peut ainsi s'ouvrir à de nouveaux horizons de signification de nature sémantique, symbolique et pragmatique. L'auteur analyse les modalités rigidement uniformes de la Lebenswelt du délirant et son impossibilité de sortir de l'isolement auquel son Wahnsinn le consigne. L'engagement dans la dimension interpersonnelle représenterait alors la vraie révolution copernicienne de la psychiatrie.
Arnaldo BALLERINI - La dimension du comprendre face au délire (p. 251-268)
Le mot "comprendre" est devenu un mot-clé dans la psychopathologie phénoménologique dès les études et les réflexions méthodologiques de K. Jaspers, l'impossibilité d'une compréhension devenant la marque du délire. Mais il y a plusieurs définitions du délire et plusieurs modes de comprendre. Si la délimitation du délire sur la base de son contenu, de l'opposition vrai/faux est inacceptable, les critères adoptés en psychiatrie pour définir le délire sont néanmoins assez voisins de ceux utilisés dans la tradition philosophique pour définir la notion de vérité. L'auteur, en faisant référence à la notion de vérité chez Husserl propose de considérer essentiellement la position épistémique du sujet, c'est-à-dire la possibilité d'attribuer à soi ses jugements. Cette possibilité est refusée au délirant, l'expérience du délire relevant d'une "révélation". Cette caractéristique peut maintenir la notion de délire primaire, mais si elle est au contraire fondée sur l'incompréhensibilité, elle tend à se rapprocher des limites du comprendre, en suivant le type de relation entretenu avec le délirant.
Caroline GROS - Psychose et biographie (p. 269-284)
Cette étude vise à montrer l’importance de la dimension historique et biographique dans l’approche phénoménologique des psychoses. Alors qu’une certaine vulgate de la psychiatrie phénoménologique conduirait à penser que Binswanger et ses successeurs ont surtout valorisés la recherche d’invariants ou d’idéaux-types par voie d’anamnèse, la connaissance des œuvres de Binswanger, de Tellenbach et de Tatossian fait apparaître à l’inverse que les formes structurales de l’espace et du temps que le phénoménologue dégage dans toute pathologie n’acquiert son sens véritable et son efficacité thérapeutique que par le détour d’un long travail d’auto-compréhension narrative.
Monique SCHNEIDER - Le trauma et le recours au transsubjectif (p. 285-304)
La prise en compte du trauma joue un rôle décisif dans le remaniement des dichotomies qui accompagne la fondation de la psychanalyse, dans la mesure où elle permet de référer le pathologique à la violence d'un événement externe faisant effraction dans le psychisme et provoquant, selon Ferenczi, soit un clivage - sensibilité détruite, savoir désaffecté -, soit le retrait subjectif, le Nichtseinwollen. Retrait qui conduira à l'introjection, à l'intérieur de soi, de l'agent supposé auteur de l'agression.
Alfredo CIVITA - Une différence fondamentale entre la psychanalyse et la phénoménologie (p. 305-318)
Cet article porte sur la caractérisation des principales affinités et différences que l'on trouve entre la psychanalyse et la phénoménologie. Les affinités sont nombreuses et importantes. La principale est probablement la suivante: la psychopathologie du patient n'a de sens que si on situe ses symptômes dans la trame globale de sa vie. La psychanalyse et la phénoménologie se différencient toutefois autour d'un point qui a une importance théorique et clinique fondamentale. À partir de Freud, la définition d'une technique thérapeutique a toujours représenté un aspect crucial de la réflexion et de la pratique psychanalytique. Il n'y a pas de psychanalyse, s'il n'y a pas une technique qui organise le processus thérapeutique. Au contraire, dans la phénoménologie, il y a la théorie et il y a l'art thérapeutique, mais la technique manque. La technique est laissée à la liberté et à la personnalité du thérapeute.