313 (2020/2-3) Philosophies du jeu théâtral - Édité par Michael Groneberg

Depuis Platon et Aristote, la philosophie a reconnu la puissance du théâtre. Ce volume propose une ronde philosophique menant de l’Antiquité aux débats actuels, en passant par l’Afrique, l’Europe et l’Asie par l’intermédiaire du Théâtre du Soleil, auquel un hommage spécial est rendu sous la forme d’un entretien avec Ariane Mnouchkine.
Si le jeu et sa mise en scène se trouvent au centre des contributions qui les thématisent dans la perspective de Platon, Aristote, Kant, Diderot, Wittgenstein, Barthes, Lacoue-Labarthe, Deleuze,
Irigaray, Rancière et Wiesing, celles-ci s’intéressent aussi au rapport entre philosophie et théâtre, ainsi qu’au rôle que jouent le drame et le jeu théâtral pour l’individu et la société.

SOMMAIRE

Michael Groneberg — Introduction (p. 7-12)

Texte intégral disponible sur OpenEdition Journals

Arlette Bessomo — Les valeurs artistiques et anthropologiques de l’Ékamba, théâtre rituel d’Afrique centrale (p. 13-26)

En Afrique, la plupart des civilisations se caractérisent par l’oralité: de nombreux faits culturels sont transmis de génération en génération à travers un processus de legs oral. C’est dans ce sillage que s’inscrit l’Ékamba, un rite funéraire pratiqué en Afrique centrale. De nature assez féministe, il se matérialise par une mise en scène dans laquelle les acteurs miment le vécu du défunt en insistant sur ses mauvaises habitudes et les évènements marquants de son parcours terrestre. Cette représentation est un hommage au défunt puisqu’elle est présentée uniquement lorsqu’un dignitaire ou une femme honorable décède d’une «bonne mort». Le but de cette mise en scène est de tourner en dérision le défunt, d’apporter une pointe d’humour avant l’inhumation pour détendre l’atmosphère, et de donner une connotation moins chagrine à la séparation. Notre intérêt pour ce théâtre d’un autre genre découle d’une part de sa richesse artistique, et de l’autre de sa valeur anthropologique et mystique dans les communautés où il est pratiqué. Ainsi nous proposons-nous d’explorer cette représentation burlesque, qui fédère les canons esthétiques de la comédie et les particularités de l’art culturel beti.

Isabelle Starkier — Le paradoxe de l’impossible représentation: réflexions sur le théâtre juif (p. 27-44)

Dans le cadre de ma recherche-création, cette contribution traite du paradoxe créatif d’un théâtre qui se fonde sur l’interdit de la représentation né du deuxième commandement de la Bible, en s’interrogeant sur ce que cet anathème fondateur implique dans la mise en scène de l’interdit, dans la mise en abyme de l’image, dans le travail sur l’autre côté du miroir ou sur la dés-incarnation du Verbe et la grammaire des signes. La création y chemine en recherche et révèle ce qui ne peut pas être démontré: en passages à l’acte, aux actes d’une même écriture scénique. Des contemporains aux classiques, des pièces aux adaptations de romans, c’est ce chemin d’une «pratique théorique» autour du paradoxe de l’impossible représentation d’un théâtre juif que j’essaierai d’éclairer, au regard de mes propres mises en scène.

María Ortega Máñez — Mimèsis et comédie: détermination de l’ancienne querelle entre philosophie et théâtre (p. 45-58)

L’ancienne querelle entre philosophie et théâtre est réévaluée ici à la lumière d’une hypothèse de Denis Guénoun, selon laquelle «la comédie est le devenir-théâtre du théâtre». Quatre constats mis en évidence permettent de déterminer les pratiques examinées en tant que mimèsis (pour la philosophie) et comédie (pour le théâtre). Un corollaire portant sur le théâtre classique espagnol fournit une preuve supplémentaire à cette argumentation, qui a la forme logique finale d’un syllogisme.

Sophie Klimis — Penser l’éducation chorale en la pratiquant. Approche métathéâtrale du Philoctète de Sophocle (p. 59-78)

En mobilisant les témoignages d’Aristophane et de Platon sur le rôle de la tragédie dans la paideia des jeunes gens, et en considérant comme «symptômes» la virulence de leurs critiques, il s’agira de proposer l’hypothèse d’une stylisation de l’initiation éphébique dans le Philoctète, qui met en évidence l’altération/aliénation de l’identité, le devenir-autre comme phase transitoire, mais considérée comme nécessaire dans le processus du devenir citoyen.

Olivier Dubouclez — Théâtre, tragédie et raison pure. Sur le §52 de la Critique de la faculté de juger de Kant (p. 79-96)

Kant traite du théâtre à la fin de la première partie de la Critique de la faculté de juger, au §52 qui est consacré à «l’association des beaux-arts». Il y met en lumière une double précarité: celle du théâtre conçu comme éloquence (ce rapprochement le tirant du côté du simple divertissement), et celle de la tragédie, genre sublime, constamment menacée d’être réduite à une exaltation des forces vitales. Kant réfléchit alors sur les conditions historiques du surgissement du sentiment tragique: sa sublimité dépend en effet d’une double condition, subjective (du côté du spectateur comme sujet moral), et de l’artiste (en tant qu’il est capable de présenter l’infini) au sein d’un devenir culturel où s’accomplit la moralisation de l’être humain.

Marc Escola — Sortir du jeu. Sur un paradoxe du théâtre de Diderot (p. 97-120)

La réduction de la «scène» au «salon» constitue le leitmotiv des Entretiens qui encadrent Le Fils naturel, premier drame de Diderot (1757). Comment comprendre cette insistance à dénier au théâtre son lieu propre? L’affirmation n’a pas d’autre fin que de permettre la théorisation d’une «déposition» du jeu théâtral, soit «l’exposition» du comédien à une dynamique interne à l’action représentée, qui fait émerger le jeu à l’intérieur des relations entre les personnages où il ne peut être que surpris par celui qui regarde. Ce jeu sans adresse ni direction, c’est celui dont le cinéma a besoin. Tel est le legs de Diderot, identifié par Eisenstein dans un article célèbre. Le jeu serait ainsi le seul domaine où le cinéma doit impérativement s’affranchir de sa filiation avec l’art dramatique, pour se revendiquer comme «fils naturel du théâtre».

Marco Baschera — Une lecture théâtrale du concept de «jeu de langage» de Ludwig Wittgenstein (p. 121-136)

Cet article se propose de repérer dans le concept du «jeu de langage», tel que Wittgenstein le développe dans les Remarques philosophiques, une théâtralité qui lui est immanente. Celle-ci est liée à la question du rapport entre le langage et la diversité des langues qui soulève le problème de la traduction des textes de Wittgenstein dans d’autres langues, notamment en anglais. Cette théâtralité se manifeste dans le passage d’une pensée ou d’un sentiment vers son expression linguistique, dans un jeu de langage. Elle est à même de rappeler aux concepts leur origine linguistique.

Nicolas Murena — L’aventure du visage. Approche croisée du jeu de l’acteur chez Roland Barthes et Philippe Lacoue-Labarthe (p. 137-154)

Cet article, dont le point de départ repose sur la comparaison de deux portraits d’interprètes réalisés par Roland Barthes et Philippe Lacoue-Labarthe, interroge la proximité de leur conception du théâtre. Tout en revenant sur leur expérience de spectateur, il montre combien leur pensée, plutôt que d’être fondée sur le partage de quelques notions classiques en philosophie (fond/forme, intelligible/sensible), est avant tout centrée sur la prise en considération de la dimension érotique du jeu, ainsi que sur la tentative de formulation d’une «signifiance» antérieure à tout désir de conceptualisation.

Esa Kirkkopelto — La scène comme antichambre de la vie et de la mort. À partir de Philippe Lacoue-Labarthe (p. 155-172)

Cet article pose la question de la nature de l’espace scénique; dans la mesure où son ouverture dépend du geste de l’acteur, il implique une corporéité dont la nature et la fonction appellent l’analyse. La lecture comparée des textes de Philippe Lacoue-Labarthe et de Luce Irigaray introduisent l’idée que les corps scéniques sont à concevoir comme objets partiels, virtuels et jouissants. Cette idée est un défi pour les discours esthétiques et analytiques qui, jusqu’alors, ont imaginé le corps humain comme une entité intégrale et unifiée. Cette image associant pureté et neutralité a constitué la base de l’appropriation «phallogocentrique» de la scène. À l’opposé, cet article esquisse une idée de la scène selon laquelle le rapport entre l’espace scénique et le corps qui l’habite est toujours singulier, et sexuellement redéfini. Il est éprouvé sous la forme d’une jouissance qui soustrait, toujours à nouveau, nos corps à l’ordre du sujet et du symbole.

Flore Garcin-Marrou — Travailler le jeu d’acteur avec Gilles Deleuze (p. 173-192)

Peut-on travailler le jeu d’acteur avec Gilles Deleuze? Sa philosophie est lue et étudiée dans les cours de théâtre. Mais trouve-t-on dans les œuvres complètes l’élaboration d’une théorie de l’acteur à proprement parler, susceptible d’inspirer une pédagogie, des pratiques de jeu à expérimenter? Nous proposons ici trois hypothèses de jeu, dans le sillage de la pensée deleuzienne: celle de l’acteur-mime, celle de l’acteur de la cruauté et celle de la machine actoriale.

Claudio Pirisino — «... moi, je porte une plume». Notes sur Carmelo Bene (p. 193-210)

L’œuvre de Carmelo Bene – acteur, auteur, metteur en scène, cinéaste –, est vouée au renversement des conventions sur lesquelles repose le pacte tacite entre les spectateurs et la fiction scénique: la Mimesis, le Logos, l’Action, le Personnage, la Conflictualité. Dans son théâtre «il y a autre chose, plutôt qu’un jeu d’oppositions qui nous ramènerait au système du pouvoir et de la domination», écrit Gilles Deleuze. Au théâtre officiel, traditionnel, l’artiste italien oppose un théâtre «mineur» caractérisé par la quête constante d’une perte de sens. Cette contribution souhaite illustrer, à la lumière de la pensée deleuzienne, la position originelle et polémique de l’expérience artistique de Carmelo Bene dans le contexte théâtral italien.

Adrien Bordone — Une pause de participation émancipatrice? Lambert Wiesing et Jacques Rancière à propos du spectateur (p. 211-228)

Lambert Wiesing et Jacques Rancière ont chacun élaboré une théorie du spectateur. Selon l’approche phénoménologique de Wiesing, le spectateur d’une image contemple un objet purement visible et artificiellement présent qui lui permet de vivre une pause de participation. Selon Rancière, l’expérience théâtrale permet au spectateur d’user de manière autonome de son intelligence afin de vivre un moment d’émancipation. En comparant les pensées de ces deux auteurs, il semble pertinent de décrire le propre de l’expérience spectatorielle d’objets relevant des arts mimétiques comme une pause de participation émancipatrice.

Aurélien Maignant — Le critique est-il metteur en scène? Relire la querelle d’Horace avec les philosophies de la fiction (p. 229-248)

Que faisons-nous aux fictions dramatiques lorsque nous parlons d’elles? Inspiré des travaux sur la critique interventionniste (Bayard, Saint-Gelais) et des philosophies de la vérité dans la fiction (Lewis, Walton), la présente contribution étudie comment le commentaire d’une pièce engage une représentation mentale de la scène qui pourrait s’apparenter à un acte créatif. Pour illustrer le propos, seront passées en revue différentes interprétations avérées depuis la fin du XIXe siècle d’un texte classique, le Horace de Corneille, en traquant dans leur discours interprétatif les symptômes de mises en scènes possibles. L’enjeu est d’avancer quelques pistes pour une réflexion sur la porosité entre interprétation et production de fiction.

Demis Quadri — Le théâtre du corps. Pour une définition du terme physical theatre (p. 249-266)

Cette contribution tente une définition ouverte du terme physical theatre. En mettant en évidence un certain nombre de thèmes – mouvement, formation, travail collaboratif, tensions conceptuelles, dramaturgie d’acteur, horizontalité, etc. – soulevés par les chercheurs et les artistes qui ont abordé ce sujet, et en tenant compte des Six Viewpoints développés par Mary Overlie – espace, forme, temps, émotion, mouvement et histoire –, elle propose de traiter cette forme de théâtre comme phénomène émergent d’un réseau (network) constitué de ces éléments en interaction réciproque. Au lieu de définir le physical theatre comme opposé au théâtre «littéraire», il sera caractérisé par le positionnement conscient de l’acteur sur un certain nombre de dimensions (textualité-corporalité, représentation-performance, dramatique-postdramatique, etc.).

Giampaolo Gotti — Le Platon «paradoxal» de l’acteur. Pratiques de jeu, de mise en scène et d’entraînement d’une pensée en mouvement (p. 267-284)

Cette contribution rend compte d’une pratique de théâtre liée à l’usage de dialogues platoniciens dans la formation de l’acteur. À l’Accademia Teatro Dimitri (Tessin) où je travaille depuis quatre ans, cette méthode est insérée dans le cursus de Bachelor in Physical Theatre. L’objectif d’une telle formation est, entre autres, la création d’acteurs polymorphes, en mesure de gérer une ligne d’action verbale de façon autonome par rapport aux nombreuses et différentes possibilités qu’offre la ligne d’action physique. Bien que le travail sur Platon soit envisagé dans ce contexte comme un laboratoire pédagogique sans aucun objectif de production, il en sort parfois un matériau sous forme de spectacle. Cette contribution concerne donc la question du jeu d’acteur (acting) et de son entrainement (training), mais aussi la mise en scène de textes conceptuels (directing).

Brigitte Prost — À la racine... ou l’histoire souterraine de la venue du Théâtre du Soleil à Lausanne. Portraits croisés d’Omar Porras et d’Ariane Mnouchkine (p. 285-300)

Spécialiste en études théâtrales, l’auteure de cette contribution est une collaboratrice régulière du Théâtre Kléber-Méleau (TKM) dont elle a écrit tous les programmes des spectacles. Elle a suivi jour après jour l’aventure de l’invitation à Lausanne d’Ariane Mnouchkine par Omar Porras qu’elle retrace ici, intégrant à une parole d’historienne extra-diégétique rassemblant les fils de son enquête les témoignages intra-diégétiques de ce dernier, en une parole à la poétique hybride.

Entretien d’Ariane Mnouchkine avec des étudiants de l’Université de Lausanne (p. 301-330)

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ISBN 978-2-940331-74-1

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