324 (2024/3) Le rire de Platon - Édité par Michael Groneberg et Demis Quadri

Au vu des reproches que Platon adresse au théâtre dans sa République, il peut paraître surprenant de voir à quel point les praticiens contemporains du théâtre s’inspirent de son œuvre. Ce volume présente ces approches et propose des interprétations de l’œuvre platonicienne qui sortent le théâtre de la triste caverne dans laquelle la parabole éponyme semble l’avoir relégué.

Provenant d’enseignants, d’enseignantes, de chercheurs et de chercheuses d’universités et de hautes écoles d’art dramatique, les études analysent d’une part les stratégies performatives et ludiques de l’œuvre de Platon et, de l’autre, les approches de praticiens du théâtre qui l’utilisent pour explorer des modes d’expression scéniques. Il est également question de ce que l’on a tendance à oublier dans une lecture purement académique de Platon: son humour, son ironie et le rôle donné au corps, au rire et au jeu – pris très au sérieux – dans ses dialogues. L’ensemble contribue ainsi à la recherche et à la formation dans les domaines des études théâtrales et de la pédagogie. Il est couronné par un entretien avec le metteur en scène russe Anatoli Vassiliev.

SOMMAIRE

Michael Groneberg, Demis Quadri — Préface (p. 7-12)

Michael Groneberg — Introduction. L’humour de Platon ou: comment interpréter ses dialogues? (p. 13-32)

Les interprétations des dialogues de Platon sont hautement controversées. En guise d’introduction, cet article défend une lecture qui présuppose, sur l’arrière-fonds du scope de ces dialogues, un haut degré d’ironie, d’humour et de comique, destiné avant tout à faire penser. Si les dialogues de Platon sont en ce sens protreptiques, il convient de se demander où l’humour protreptique peut être à l’œuvre. Bien que ces éléments comiques figurent aussi dans le contenu des discours, ils se trouvent principalement dans le cadre contextuel. Le fait que ce dernier soit interprété comme étant ou non comique peut à son tour avoir des répercussions sur l’interprétation du contenu thématique, et donc sur la ligne de pensée extraite et mise en scène par l’école de Vassiliev.

Nikos Charalabopoulos — Door-(not)knocking scenes in Plato (p. 33-50)

Door-knocking scenes are familiar in the world of ancient Greek theatre. Plato appropriates this motif in three occasions, twice in the Protagoras (310b1, 314c-e) and once in the Symposium (212c). At the same time, he elaborates on the motif by invoking it through its absence : there is no need to knock on a wide opened door – especially a door that one expected to be closed.

Katja Vaghi — No laughing matter: on the importance of the body in Plato’s humour (p. 51-70)

To grasp the humour in the Platonic dialogues, it is useful to observe their use of the body. This article proposes leveraging knowledge from the art of dance, an embodied art par excellence, to explore how the body makes an audience laugh. Often considered in the past as an art dealing with serious or tragic subjects, dance, like philosophy, can have a lighter side. An analysis of how humour appears in dance is used as a heuristic device to uncover three ways humour is transmitted through bodily elements in Plato’s dialogues. The choreographers focused on – the Swede Alexander Ekman and the Czech Jiří Kylián – work with a type of elevated humour that is in fact close to that of Plato. In both cases, ballet and Platonic dialogues, humorous and serious elements can be present in the same work, as if to balance the conveyed message and make it more relatable to the audience.

Demis Quadri — Déclinaisons dialogiques et comiques du théâtre du corps: une lecture platonicienne (p. 71-88)

À partir de l’analyse d’une pièce de la compagnie portugaise Companhia do Chapitô, nous examinerons un exemple de la sous-catégorie comique du théâtre du corps (physical theatre) en établissant des parallèles avec certains aspects du dialogue platonicien. En gardant à l’esprit le rôle fondamental du dialogue dans les activités théâtrales, ainsi que dans les textes de Platon, nous tenterons d’interroger la manière dont les artistes du théâtre du corps questionnent leurs sources d’inspiration. Il s’agit de la première esquisse d’une hypothèse interprétative qui cherche à comprendre comment les dialogues de Platon peuvent nous aider à considérer le théâtre du corps sous de nouvelles perspectives.

Chiara Colombo, Fiorenzo Ferrari — Rire en pratiquant la philosophie. Du distracteur de Bergson au prisonnier libéré de Platon (p. 89-106)

Cet article explore le lien entre le corps et l’esprit établi par le rire à partir d’une expérience d’atelier où la philosophie et le théâtre ont été entrelacés et ont permis d’explorer le concept du rire, non seulement avec les mots, mais aussi avec les corps. L’ambition d’associer le groupe à l’investigation platonicienne du rire a pu être satisfaite au travers d’un détour qui a pris pour point de départ la figure de l’étourdi dépeinte par Bergson. La théorisation du rire chez Bergson peut en effet être considérée comme une glose de Platon. Elle permet d’approcher l’un des lieux de la pensée platonicienne que l’on peut entrevoir à la base de la pensée bergsonienne: la caverne. Dans la caverne platonicienne, les prisonniers vivent sereinement avec leurs habitudes qui ne peuvent les faire rire que si un troisième regard, celui d’un hypothétique observateur extérieur ou celui d’un prisonnier libéré, entre en jeu. C’est cette provocation qui a été proposée aux participants de l’atelier, qui l’ont explorée à travers les mots, les images et l’improvisation théâtrale.

Esa Kirkkopelto — Monster and Khôra: Re-imagining the performing body with Plato (p. 107-128)

This article offers a deconstructive reading of two imaginary constructs in Plato’s work. The first is the allegory of the psychè presented in Book IX of the Republic, and the second is the khôra discussed in Timaeus. Both discourses conceal an idea of corporality that the art of acting – that is, bodies in the performing arts – has traditionally manifested. The absence of the imaginary function and its replacement by the plastic paradigm of “moulding” or “shaping” require bodily mediation and lead to the idea of a plastic logos, where the two aspects of logos – language and reason – can unify. This conclusion is noteworthy when considering the theatrical elements of the Platonic dialogues in contrast to their simultaneous and apparently anti-theatrical arguments. It also aids contemporary performance practice in liberating itself from psychological and anthropomorphic interpretations of imagination.

Giampaolo Gotti — L’acteur et son image: paradoxes stanislavskiens (p. 129-146)

La réflexion que nous allons mener ici se situe du point de vue de l’acteur et de la pédagogie théâtrale. Elle portera sur l’impact que l’intégration physique d’une image tirée d’une œuvre d’art peut avoir sur l’acteur et le spectateur dans le contexte du dialogue de Platon joué sur scène. La catégorie du paradoxe, source du rire et de l’étonnement qui donnent naissance à la philosophie, se trouve à l’origine de deux différentes investigations. La première vise à contextualiser certains concepts stanislavskiens (l’imaginaire, l’improvisation, la mémoire émotionnelle et le traitement de l’image) afin de définir l’approche à la ligne visuelle (paradoxe de Wilde). La deuxième investigation, à travers des outils du jeu dramatique (l’attention scénique, la conscience de soi, la perspective et le dédoublement) vise à ouvrir les portes de la cuisine intérieure de l’acteur face aux images (paradoxe de Kleist). Finalement, quelques notes sur les apories des dialogues Ion et Hippias mineur, ainsi que des nouveaux paradoxes de l’acteur stanislavskien, serviront de tremplin pour se projeter vers d’ultérieures recherches sur l’ironie et le mensonge volontaire, principes dialogiques qui se révèlent dans le rire de Platon.

Anatoli Vassiliev, Sergueï Vladimirov — Le rire de Platon (p. 147-178)

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ISBN 978-2-940331-85-7

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