SOMMAIRE
Alain CORBELLARI - Introduction. Romain Rolland et la Suisse: une vieille histoire qui a de l’avenir (p. 7-10)
Alain CLAVIEN - «Ce faux Christ des nations…» Romain Rolland et quelques intellectuels romands, 1914-1918 (p. 11-28)
Romain Rolland n’a pas eu que des amis en Suisse. Quelques intellectuels de la mouvance helvétiste se sont montrés des adversaires attentifs et pugnaces tout au long de la guerre. Conscients du charme qu’exerce le grand écrivain français, notamment sur la jeunesse, ils le poursuivent d’une hostilité persistante qui se cristallise dans plusieurs articles d’une importante revue culturelle romande, la Semaine littéraire. Evitant de colporter les insultantes accusations de trahison qu’une certaine presse suisse copie dans les plus chauvins des journaux français, les helvétistes opposent aux «chimères» rollandiennes les arguments «réalistes» d’un nationalisme construit avant-guerre, qu’ils savent moduler selon les circonstances.
Jean-Pierre MEYLAN - Un train peut en cacher un autre. L’entre-deux-guerres de Romain Rolland en Suisse (1922-1938) (p. 29-48)
Romain Rolland vécut pendant presque toute la période de l’entre-deux-guerres en Suisse où il pensait trouver, après la catastrophe de la guerre, le loisir nécessaire à la création littéraire et intellectuelle. Villeneuve, proche de Genève, où s’installa la Société des Nations, lui offrait à la fois du calme mais aussi un observatoire neutre dans un réseau dense de relations internationales. De là, il lança son appel Aux esprits libres (1919), embrassa l’idée d’un renouveau intellectuel, politique et social dans une Europe qui sortait d’une banqueroute morale (avec la fondation de la revue Europe) et s’ouvrit au monde asiatique, notamment indien.
Antoinette BLUM - Un disciple militant et son maître: Charles Baudouin et Romain Rolland (p. 49-74)
Le psychanalyste et écrivain Charles Baudouin fut un des nombreux disciples de Romain Rolland. L’écrivain «fut peut-être, par son appel “Au-dessus de la mêlée” la raison la plus déterminante de [l]a venue en Suisse» en 1915 du jeune Français, réformé de l’armée. Pendant près de trente ans, Baudouin entretient des liens étroits avec Rolland, même lorsqu’il se sépare de lui sur le plan politique pendant les années 30. Des extraits du journal en grande partie toujours inédit de Baudouin – le Carnet de route – révèlent non seulement l’admiration que Baudouin porte à l’écrivain, mais également la fascination qu’il exerce sur lui. Baudouin voudra donc rendre hommage à Rolland et à son oeuvre de façons diverses jusqu’à la mort de ce dernier en 1944: il publie des articles de Rolland dans sa revue Le Carmel (1916-1918), il rédige ses propres textes sur l’écrivain et il tente de mettre sur pied des hommages collectifs célébrant Rolland. C’est ainsi que Baudouin put exprimer toute sa reconnaissance envers un de «ses pères vivants».
Guillaume JUIN - Romain Rolland dans le contexte suisse de la Grande Guerre (p. 75-104)
Romain Rolland ne choisit pas la Suisse en 1914. Il s’y trouvait lorsque la guerre éclata et il décida d’y demeurer afin de mener un combat humaniste et pacifiste au nom de valeurs alors menacées. Il fut rejoint en Suisse par d’autres dissidents français en 1915, tandis qu’il quittait le combat éditorial qu’il avait initié. Il devint dès lors une figure morale pour beaucoup, bien malgré lui.
Alain CORBELLARI - Romain Rolland et le théâtre populaire suisse: une rencontre dramaturgique (p. 105-118)
Le renouvellement de la dramaturgie moderne a été une des préoccupations constantes de Romain Rolland. Proche de Maurice Pottecher et de son « Théâtre du peuple », expérimenté à Bussang dès 1899, Rolland a trouvé dans les spectacles populaires vus en Suisse dans la première décennie du XXe siècle un stimulant puissant à son imagination théâtrale. Entre la nostalgie rousseauiste d’un théâtre dont nul n’est exclu et l’utopie d’un théâtre en liberté anticipant sur les tentatives radicales du second aprèsguerre, Romain Rolland aura trouvé dans les traditions suisses une raison de plus de se sentir proche du pays qui a véritablement été sa seconde patrie.
Roland ROUDIL - Gaston Thiesson en Suisse aux côtés de Romain Rolland (septembre 1915-avril 1916) (p. 119-142)
Romain Rolland et Gaston Thiesson se rencontrent en août 1912, mais leur amitié se renforce lors des deux séjours du peintre en Suisse durant la Première Guerre mondiale, entre septembre 1915 et avril 1916. La venue de Thiesson, au moment où Rolland décide de se retirer de la mêlée, est un réconfort pour l’écrivain attaqué par la presse nationaliste qui l’accuse de défaitisme. Il voit en lui un homme courageux et dévoué qui veut recueillir des témoignages de soutien à paraître dans Les Hommes du Jour. Après son installation au bord du lac Léman, Thiesson séjourne à Montana, avant un voyage à travers la Suisse. Puis il rentre en France où il meurt trois ans plus tard. Cette correspondance révèle la volonté exigeante de Rolland de mettre en accord une pensée, une vie et un art pour mieux les opposer tous ensemble aux forces destructrices de la haine, dans la recherche héroïque entre les êtres et les peuples.
Martine RUCHAT - «On a beaucoup à dire et peu à raconter» Correspondance entre Romain Rolland et Frédéric Ferrière, 1914-1924 (p. 143-172)
Cet article, s’appuyant sur la correspondance entre Romain Rolland et le médecin genevois Frédéric Ferrière, reprend sous un angle original la période où Rolland est en Suisse, et particulièrement à Genève, engagé à la section civile de l’Agence des prisonniers de guerre, dont l’objectif est d’informer les familles sur les conditions et l’état de santé des prisonniers. L’auteure souligne en particulier, grâce à leurs échanges épistolaires, la relation d’amitié et le soutien réciproque dans leurs engagements sociaux et politiques. C’est en particulier le rôle de Ferrière comme médecin et ami intime de Rolland, et plus largement celui d’un combattant pour la justice et pour une haute idée de l’humanité, que l’on découvre. Il restera fidèle à Rolland après son départ de l’Agence, en 1915, un signe aussi de son engagement affectif et politique. Grâce à cette étude, c’est tout un réseau cosmopolite qui se dessine autour de la figure centrale de Ferrière sur fond de guerre, de révolution bolchevique et de tensions politiques. A travers ce récit, construit essentiellement sur l’archive épistolaire, se profile aussi l’image d’un Romain Rolland attachant et soucieux d’aide humanitaire (pour les prisonniers et leurs familles, pour les enfants de Vienne) et très attaché à Frédéric Ferrière (première visite, première lettre sitôt arrivé à Genève), ce qui explique en partie l’importante correspondance familiale qui se poursuivra avec ses descendants Maya, Adolphe et Frédéric Ferrière fils (424 lettres conservées jusqu’à ce jour).
Jean-Pierre MEYLAN - Romain Rolland et Elsa Nüesch. La rencontre avec une jeune Suissesse perspicace et militante: correspondance (1916-1931) (p. 173-212)
La rencontre de Romain Rolland (50 ans) avec une jeune étudiante de Saint-Gall (22 ans) qui en rend compte et qui devient plus qu’une admiratrice: une intellectuelle, une enseignante et une pionnière des droits de la femme. Non seulement en Suisse romande, mais aussi en Suisse alémanique, Rolland – à l’exemple de Tolstoï avant 1914 – était entouré d’une phalange internationale de jeunes adeptes pacifistes qui firent parler d’eux par la suite dans l’entre-deux-guerres, tels Charles Baudouin, Ivan Goll, Henri Guilbeaux, Pierre Jean Jouve, Edmond Privat, Frans Masereel, Claude LeMaguet, Gaston Thiesson 2, entre autres. A ce groupe s’ajoute Elsa Nüesch, une des rares femmes parmi eux, qu’il convient maintenant de mieux faire connaître.
Adresses des auteurs (p. 213)