Si l'on en croit Irène Bessière, le récit fantastique serait "une expérience imaginaire des limites de la raison". Les historiens du genre ajoutent que cette expérience a une visée critique. On peut en effet interpréter la naissance d'une littérature fantastique à l'époque romantique (le terme arrive en France vers 1830 par le double truchement de Walter Scott et d'E.T.A. Hoffmann) comme une réaction au rationalisme des Lumières et aux violences politiques des décennies précédentes. Ce premier fantastique (celui de Nodier, de Mérimée, de Balzac et de Gautier) entretient en effet un rapport problématique avec le temps et l'Histoire: les récits expriment la crainte d'une sorte de retour du refoulé (le paganisme, la barbarie, l'animalité...) ou le désir nostalgique d'une résurrection du passé (les "amours rétrospectives" de Gautier en sont un bel exemple).
Dans la seconde moitié du siècle, le fantastique connaît particulièrement en Angleterre et en France, dans le sillage de l'oeuvre d'Edgar Poe, une vogue renouvelée. Il persiste dans son rôle critique envers les prétentions scientifiques et progressiste du temps, celles-ci étant plus ambitieuses que jamais. Pourtant, le fantastique ne se contente pas de représenter des phénomènes extraordinaires irréductibles au discours positiviste. Il ne s'agit pas seulement de ramener les savants à plus de modestie en leur rappelant qu'ils n'ont accès ni aux causes premières ni aux fins dernières de l'univers et de l'humanité. Le fantastique se nourrit en effet très souvent des nouvelles connaissances diffusées par la vulgarisation de l'époque (c'est le cas chez Maupassant et Villiers de l'Isle-Adam), car la science elle-même est loin d'être toujours rassurante. N'est-ce pas la science qui voit dans l'homme un lointain cousin du singe; qui se demande légitimement si la Terre est la seule planète habitée de l'univers; elle encore qui découvre que la conscience n'est que la surface de la vie psychique et que l'homme ne perçoit qu'une infime partie des forces naturelles qui l'entourent et agissent sur lui? Le magnétisme et le spiritisme ne sont-ils pas des discours qui empruntent à la science ses procédures, ses expériences, son vocabulaire - et parfois même son personnel de chercheurs? Le fantastique de la fin du siècle, affichant à la fois une fascination et une répugnance pour la science (pensons à Villiers) accouchera bientôt de la science-fiction.