Le rassemblement populaire est un thème littéraire qui s'imposa d'abord dans le roman historique (Notre-Dame de Paris de Victor Hugo) puis dans le roman réaliste et naturaliste (Germinal ou La Débâcle de Zola). Pourtant c'est avec Baudelaire que la foule, dans son comportement quotidien, hors de tout mouvement paroxystique, devient un symbole de modernité urbaine. Jusqu'à la fin du siècle, elle est d'ailleurs plutôt ressentie négativement par les écrivains. C'est particulièrement le cas, on le devine, chez les auteurs symbolistes, décadents et autres dandies que l'humanité ordinaire (bourgeoise ou populaire) révulse. Les relations étranges que certains auteurs ont entretenues à l'époque avec l'anarchisme montrent à quel point la défense de l'individualisme pouvait importer. C'est contre cet individualisme forcené de la littérature fin-de-siècle (digne héritière en cela de certains aspects du romantisme) que de jeunes poètes et romanciers du début du siècle suivant vont se dresser. Ils exalteront tout au contraire l'humanité collective - sans que cela passe forcément par un engagement politique. Renouant avec certains thèmes baudelairiens, Verhaeren puis Jules Romains élaborent les moyens poétiques et narratifs de décrire toutes les formes de groupement humain. L'unanimisme de Jules Romains est sans doute l'entreprise la plus originale. Inspiré par La Psychologie des foules de Gustave Le Bon, par Les Lois de l'imitation de Gabriel Tarde, intéressé aussi par les théories concernant la suggestion et l'hypnose, Romains tente de comprendre les forces qui sont en jeu lorsqu'un groupe accède au statut (quasi divin bien que provisoire) d'"unanime", c'est-à-dire d'un être nouveau, disposant d'une âme propre. Dans Puissance de Paris, recueil de poèmes en prose, il décrit les différentes formes collectives induites par la géographie urbaine: chaque lieu de la ville configure des masses d'individus et les fait collaborer, à leur insu le plus souvent, à la naissance d'un être éphémère aux contours, au rythme et aux mouvements fascinants. Place, carrefour, boulevard, kiosque à musique, théâtre, autobus font ainsi naître des "unanimes" plastiquement différents. Mais Romains ne s'intéresse pas qu'aux passants: la petite ville (Le Bourg régénéré), l'armée, l'émeute et la grève (Le Vin blanc de la Villette), la famille, le groupe d'amis (Les Copains), tout l'attire et l'intrigue jusqu'au couple symbiotique de la trilogie romanesque Psyché. Il développe aussi, dans son oeuvre théâtrale surtout, une interrogation sur la personnalité des meneurs et des manipulateurs de foules. L'histoire se chargera de confirmer certaines craintes exprimées dans Le Dictateur, Cromedeyre-le-vieil, ou Knock. La représentation du collectif restera jusqu'au début des années cinquante une des grandes préoccupations des romanciers (Rolland, Martin du Gard, Aragon), mais les techniques narratives se renouvelleront peu.