L'histoire littéraire des stupéfiants commence véritablement en 1821 avec la publication des Confessions d'un mangeur d'opium anglais de Thomas de Quincey. L'ouvrage est très rapidement adapté par Alfred de Musset, puis traduit par Baudelaire. La drogue apparaît alors, aux yeux des aliénistes, des psychologues mais aussi des artistes et des poètes, comme un véritable instrument d'exploration mentale. L'époque romantique (parce qu'elle valorise l'inspiration et non plus l'imitation) s'intéresse beaucoup aux mécanismes de l'imagination tels qu'ils se manifestent à nu dans le rêve, l'hallucination ou la folie. La drogue apparaît d'ailleurs comme une "folie expérimentale", volontaire et provisoire. L'opium, le haschisch puis la morphine et l'éther à la fin du siècle (avant que d'autres produits ne suscitent d'autres expériences au XXe siècle: peyotl, mescaline...) - permettraient donc de surprendre la pensée et la mémoire telles qu'elles fonctionnent en deçà des bornes de la conscience. De surcroît, les récits de de Quincey, Baudelaire, Gautier permettent d'expérimenter (à l'instar de l'écriture fantastique et du récit de rêve) de nouvelles formes d'écriture moins soumises à l'ordre logique et chronologique et livrées aux vertiges de l'analogie et aux cocasseries du coq-à-l'âne. Inversement, la littérature elle-même pourra être considérée comme un stupéfiant, voire un poison. L'importance thématique de la drogue au XIXe siècle n'est donc pas uniquement le résultat d'un hasard qu'on dira sociologique ou économique (l'augmentation effective de la consommation dans certains milieux), elle est surtout profondément motivée par une révolution esthétique.