Fées à la fontaine, magiciens d'une cité gaste, forêts hantées par des dragons, des géants et des nains hostiles au chevalier pur et sans tache - voilà l'idée du Moyen Âge qui, après avoir dérangé l'esprit de Don Quichotte, triomphe désormais dans le film ou la bande dessinée. La seule fascination exercée par des images fortes ne suffit pourtant pas à expliquer un tel succès. A travers la merveille se manifeste la crainte face à l'Autre monstreux, à l'Autrefois mythique et à l'Ailleurs inconnu. Le lecteur y reconnaîtra encore aujourd'hui les angoisses, les rêves aussi, de l'homme aux prises avec un monde qu'il ne maîtrise pas.
A la merveille appartiennent les miracles de Dieu et les tentations du diable, merveilleux chrétien qu'évoquent volontiers les chansons de gestes ou les légendes de saints. S'y rattachent également les enchantements de Bretagne, ce merveilleux celtique où puisent les romans arthuriens et les lais féeriques. Les mirabilia (du verbe mirari «voir») instaurent non seulement un conflit entre la perception des choses et leur compréhension, ils sont souvent marqués du sceau d'une ambiguïté inquiétante : comment savoir s'il s'agit d'une manifestation du bien ou du mal ?
La merveille représente d'autant plus un défi à l'entendement qu'aucune frontière ne sépare définitivement le naturel du surnaturel, que des ponts existent entre notre monde et l'au-delà. À la suite de saint Augustin, le Moyen Âge tient pour réels les phénomènes qu'il ne peut pas comprendre, et les récits nous invitent à croire, avec le chevalier, aux monstres qui le défient ou aux fées qui le séduisent. Ceci n'empêche pas certains auteurs de rappeler, dès le XIIe siècle, que ce sont là des éléments de fiction. Avec la merveille se pose le problème de la vérité en littérature, d'un sens littéral qu'il faut savoir dépasser pour arriver à la substantifique moelle du sens allégorique, découvrant à travers les agréments de la delectatio les bienfaits de l'utilitas.