La Grande guerre poussa la déshumanisation du combattant à son comble: dans ce «couloir de Chicago», comme dit Drieu la Rochelle, l'ancienne métaphore de la «chair à canon» est devenue une description exacte. Comment, dès lors, évoquer ce cataclysme lugubre qui refusa à ses acteurs, terrés dans les tranchées, la possibilité de se représenter et de se penser en termes humains? Voilà le défi, tout à la fois thématique et esthétique, qu'ont tenté de relever de nombreux romans parus dans les années 20 et 30.
Les solutions littéraires adoptées par les romanciers de la Grande guerre, rappellent à bien des égards celles qui furent élaborées par leurs prédécesseurs confrontés à l'épopée napoléonienne. En termes narratologiques, tout est une question de point de vue: le soldat couché dans la boue et le stratège campé sur un môle ou penché sur une carte, ne voient pas la même bataille; Fabrice et Napoléon ne perdent pas la même guerre. Tout récit de guerre moderne revendique la singularité, réduit le point de vue, veut raconter la guerre «au plus juste», refuse l'épopée. Pourtant un nostalgie secrète des "mensonges glorieux" l'anime parfois en dépit de l'abjection dénoncée par le biais de la restriction de champ.