Pour le Moyen Âge la rencontre avec l'autre se place d'abord sous le signe des croisades. Le Sarrasin est perçu comme un adversaire particulièrement inquiétant puisque, ennemi de la vraie foi, il rejoint dans l'imaginaire le Juif, suppôt de Satan sur terre. Du Moyen Âge à l'aube des temps modernes, la diabolisation du non-chrétien, de l'idolâtre, est une constante dans l'image que l'Occident se forge de l'autre. Exploitant des traditions savantes remontant à l'Antiquité, la littérature et la sculpture peuplent les confins du monde de gens au physique monstrueux et aux mœurs déviantes. Quand le XVIe découvrira les Indiens d'Amérique, il en retiendra à son tour les traits qui touchent le plus aux culpabilités entretenues par le christianisme, celles que le théâtre religieux (les mystères) a contribué à divulguer : le cannibalisme, la nudité et le sexe.
Si la perception de l'autre se réduisait à ce rejet constant, il serait inutile d'insister sur des traits qui, sans cesse répétés, sont devenus des lieux communs à la vie, hélas, dure. Des failles s'introduisent dans une uniformité apparente, révélant des nuances et des changements. Souvent infimes, ceux-ci n'en sont pas moins significatifs et, dès le XIIe siècle, l'autre n'est pas simplement une manifestation du Mal sur terre. On a pu dire que, dans la chanson de geste, les hauts faits des combattants chrétiens et sarrasins sont placés dans la même lumière idéalisante. Poussé par une curiositas "scientifique" autant que par la soif de pouvoir, Alexandre est confronté en Inde à un ailleurs exotique qui ne cesse de remettre en question sa conquête. L'autre sert de miroir, nous renvoyant notre propre image, inverse, déformée et, par là même, critique.
Avec le XIIIe siècle, les échanges commerciaux entre l'Orient et l'Occident se multiplient. Héritiers d'Alexandre, les voyageurs témoignent dans leurs récits d'un nouvel intérêt pour les peuples étrangers et leurs coutumes. Même si l'on ne saurait parler d'un regard anthropologique au Moyen Âge, la vision chrétienne du monde n'empêche pas toujours l'Européen de reconnaître l'autre dans son altérité.