"Littérature classique", "âge classique", "classicisme": voilà des termes qu'on ne peut plus employer naïvement, parce qu'ils recouvrent des réalités construites selon des conceptions de la littérature et de l'histoire que nous ne partageons plus aujourd'hui. Ces expressions qui désignent, dans leur sens le plus général, une littérature à son apogée, digne de servir de modèle, répondent mal à la réalité conflictuelle et mouvante du XVIIe siècle français. Cependant ils sont entrés dans l'usage, et l'on peut les conserver à condition d'en préciser l'emploi.
On mettra d'abord à part la notion d'"âge classique" telle qu'elle est proposée par le philosophe Michel Foucault. Celui-ci n'a pas en vue la littérature ou l'art du XVIIe siècle, mais un modèle de compréhension très général, une sorte de structure ou d'ordre qui caractériserait les savoirs et les discours entre 1630 et la Révolution. Ses thèses intéressantes et controversées seront présentées durant le cours. On renoncera aussi à traiter du classicisme en art, quoique la comparaison avec l'architecture ou l'art des jardins à l'époque de Louis XIV puisse apporter des éclairages précieux sur la littérature, par l'importance accordée à la symétrie et à l'ordonnance des parties. Du point de vue restreint de l'histoire littéraire française, on réservera l'expression de "classique" à une période brève, couvrant à peu près la seconde partie du siècle (voire même seulement, disent certains, les années 1660-1680). On y verra les grands auteurs du théâtre, le dernier Corneille, Racine, Molière, côtoyer La Fontaine, Mme de Lafayette et Boileau, mais aussi Bossuet et La Rochefoucauld, ou encore La Bruyère. L'ensemble ne nous paraît pas réellement homogène: c'est qu'il a été bâti sur une double opposition. Première opposition: classique et romantique. Le classicisme français a été "inventé" par les romantiques, qui ont cherché à imposer une sensibilité et un art poétique fondés sur l'originalité et l'expression des passions, en les contrastant avec les idées de mesure, de raison, d'imitation en vigueur dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Plus tard, à la fin du XIXe siècle, ces idées elles-mêmes ont été présentées par les critiques et les pédagogues de la Troisième République comme des idéaux à la fois universels et caractéristiques de la culture française à son apogée. Quant à la seconde opposition - classique et baroque - elle a servi à introduire dans la notion de classicisme les valeurs de pureté, de rigueur, de concision, pour chasser de l'"esprit français" l'excès, le mélange des genres, le style figuré, réservés à un prétendu baroquisme.
On voit qu'en faisant l'histoire de la notion, on touche à des éléments de contenu intéressants. On peut les résumer en trois points. Le classicisme français est d'abord fondé sur la conception d'un monde stable et permanent, obéissant à un ordre régi par la Nature. Le grand inspirateur est ici Aristote, dont l'influence au XVIIe siècle est considérable. Le philosophe grec a été compris à la lumière du christianisme: la Providence prend la place de la Nature chez bien des penseurs, par exemple chez Bossuet. Autre exemple de permanence: dans l'art poétique (notamment au théâtre), on privilégie l'imitation des modèles antiques, jugés indépassables. Ce sera d'ailleurs l'occasion de la Querelle des Anciens et des Modernes, qui conclut le siècle sur une crise intellectuelle et esthétique. Deuxième aspect important: le primat de la Raison, une raison qui définit à la fois le rationnel (le domaine des relations logiques, du calcul et de l'analyse) et le raisonnable (le juste milieu, l'opinion reçue, le rejet de l'extrême, de l'imagination même). Même si son oeuvre est antérieure à 1650, Descartes est le maître de ce classicisme-là, par l'impératif de méthode et de classification qu'il a apporté dans la pensée de son siècle, et qui dominera la conception du langage autant que les sciences. Enfin, troisième aspect, lié aux précédents, la recherche de règles dans l'organisation de la vie sociale et dans le domaine des productions symboliques. Règles de comportement (ce seront les bienséances, l'honnêteté), de composition (pensons aux fameuses unités du théâtre), de compréhension avec l'idée de vraisemblance qui domine tout ce qu'on peut représenter, règles de la parole même avec la notion de bon usage codifiée par le grammairien Vaugelas... On voit que, même si ces éléments ne cernent qu'imparfaitement et partiellement une réalité historique complexe, ils permettent de tracer des perspectives utiles.