Le romantisme puis la fin-de-siècle ont découvert les vertus esthétiques de la discontinuité: la décomposition s'oppose à l'unité et à la simplicité de la composition classique, le fragment s'affranchit de la totalité. Le surréalisme, en poursuivant la fulgurance de l'image et l'instantané de la rencontre bouleversante, rejette lui aussi toutes les formes littéraires qui ne lui semblent pas adéquates au transport de l'énergie poétique (comme le roman). Max Ernst exécute, dans le domaine plastique, la déconstruction de l'ordre positif et bourgeois du monde en découpant en menus morceaux les illustrations des romans populaires et des ouvrages de vulgarisation scientifique. Cette esthétique de la discontinuité traverse de part en part ce que l'on a appelé la modernité (mais la postmodernité n'est pas en reste avec sa déconstruction). Le XXe siècle tout entier, en effet, valorise l'inachevé, l'hétérogène, le multiple, le déconstruit - et, symétriquement, se méfie de la linéarité et de la cohérence en même temps qu'il renonce à toute représentation unifiée du monde (religieuse, politique, scientifique...). Roland Barthes ne fait-il pas du fragment une arme contre l'idéologie?