Risquons un paradoxe: le XVIIe siècle fut un siècle de femmes. Formulée aussi brutalement, l'affirmation est excessive, et pourtant elle comporte une part de vérité. Pour la première fois dans l'histoire occidentale les femmes comme telles (et non simplement l'une ou l'autre femme) jouent des rôles sociaux reconnus, occupent des fonctions publiques (et non seulement domestiques). Certes, elles ne sont pas partie prenante dans les sphères du pouvoir, de la finance, de l'administration, sinon par l'influence privée qu'elles peuvent avoir sur un homme. Mais elles sont présentes, parfois même dominantes, dans des espaces sociaux valorisés symboliquement: les salons, les théâtres et les fêtes, les lieux religieux. Dans la société de cour et la vie mondaine, hommes et femmes partagent le même espace, se rencontrent constamment et mêlent leurs sphères d'action et leurs compétences. Cette non-différentiation des espaces sociaux entre les sexes aura des conséquences dans toute la culture européenne. Elle rencontrera aussi des résistances farouches.
Dans les salons, dont plusieurs jouèrent un rôle essentiel en tant qu' "institutions parallèles" (le plus connu est celui de l'Hôtel de Rambouillet), les femmes invitent, orientent la conversation (activité capitale pour l'échange d'informations), organisent des rencontres, dirigent le goût et les moeurs... Dans les théâtres et dans les fêtes, elles sont le centre des regards et des rencontres, créent des clans, contrôlent des influences. Cela peut nous paraître mince aujourd'hui, mais ne l'était pas dans une époque monarchique où le pouvoir restait confiné dans une sphère étroite. Dans les réunions scientifiques même, quand ont lieu des expériences publiques, les femmes médiatisent les découvertes et les techniques nouvelles: elles sont au coeur d'un premier mouvement de vulgarisation du savoir, influençant les interactions sociales que la science va stimuler de plus en plus. Quant à la religion, dont on ne saurait exagérer l'importance tout au long du siècle, les femmes y jouent un rôle non négligeable: les grandes dames créent des fondations, les ordres religieux féminins sont actifs à tous les niveaux de la société (charité, soins aux malades, enseignement); des figures majeures de la vie spirituelle sont des femmes, de la mystique Thérèse d'Avila à la missionnaire Marie de l'Incarnation, fondatrice du couvent des Ursulines de Québec. Mme de Maintenon, épouse secrète de Louis XIV, eut sur le roi vieillissant une grande influence, imprégnant la cour d'une dévotion grandissante et poussant le monarque à une sévérité toujours plus grande envers les protestants et les jansénistes.
Le théâtre du XVIIe siècle est un bon instrument pour mesurer le rôle nouveau dévolu aux femmes dans la société. Pensons aux grandes héroïnes des tragédies, du début à la fin du siècle: à Chimène (dans Le Cid), à Médée ou Sophonisbe chez Corneille encore; à Andromaque, à Phèdre ou Athalie dans le théâtre de Racine. Elles sont les pivots de l'action, elles portent la conscience des valeurs politiques et spirituelles, en assument la défense ou les mettent en crise jusqu'à la démesure et à la mort. Pensons aussi, dans le registre comique, à Molière qui, en se moquant des excès et des ridicules, met en scène les types sociaux dont nous avons parlé: les précieuses, les femmes savantes, les dévotes, les coquettes, les ambitieuses, les épouses modèles, les jeunes filles... Quant bien même le point de vue de Molière nous semble conservateur, c'est toute l'histoire des femmes de son époque qui apparaît sur son théâtre. Autre signe des temps: La Bruyère, lui aussi plutôt conservateur et sans doute plus misogyne, consacre aux femmes un chapitre entier de ses Caractères.