S’il juge la recherche fondamentale incontournable, le professeur Esseiva ne perd jamais de vue son application concrète. Ainsi pour illustrer la finalité du projet DIRAC, il désigne sur son bureau une petite mallette en matière plastique noire à l’aspect robuste. C’est – extérieurement – à cet objet-là que pourrait ressembler l’outil, capable de détecter des stupéfiants synthétiques et des précurseurs, dissimulés par exemple dans des chargements de marchandises, aux ports, aéroports, gares ou frontières. La fabrication d’un tel outil sera l’ultime et encore lointaine étape de la recherche DIRAC. Il s’agit d’abord de déterminer ses fonctionnalités et de mettre en place un prototype qui devra être testé.
Conduit dans le cadre de la recherche européenne, le projet DIRAC (domaine Sécurité du 7e programme cadre FP7) inclut dix partenaires, coordonnés par le consortium italien CREO (Centro Ricerche Elettro-Ottiche), une entreprise spécialisée dans l’aéronautique, habituée à gérer des projets de cette envergure.
DIRAC comprend deux pans de recherche. Le premier est d’ordre stratégique. Il est du ressort des spécialistes en sciences forensiques que sont l’Institut de police scientifique, le Bureau national d’investigation de Finlande et le Laboratoire fédéral de la police belge. A eux de définir les produits et leurs dérivés susceptibles d’être sur le marché des stupéfiants. A eux aussi de connaître la réalité des hommes de terrain, tels que gardes-frontière, douaniers, policiers afin de leur proposer un outil performant, qui réponde à leur problématique. «En quelque sorte, nous devons établir le cahier des charges du détecteur», résume Pierre Esseiva. L’autre défi du projet se joue sur le plan technique puisque la fabrication du détecteur lui-même exige une technologie de pointe. Cette mission est dévolue à des chercheurs comme ceux de l’Institut de microélectronique et microsystèmes de Rome notamment.
Parallèlement à DIRAC, l’Institut de police scientifique est actif au sein d’un second projet européen, baptisé BONAS. Il rassemble 12 partenaires, coordonné par l’Italian National Agency for New Technologies, Energy and Sustainable Economic Development (ENEA). L’objectif est de développer un réseau de capteurs sans fil pour détecter des lieux de fabrication illicite d’explosifs. Pour l’équipe lausannoise du professeur Esseiva, ces recherches signent l’excellente réputation de la plus ancienne école de police scientifique au monde.
Quand Pierre Esseiva a entamé sa formation en police scientifique à l’UNIL, c’était par attrait pour les disciplines scientifiques. Ont suivi des cours de droit, informatique, criminologie qui ont répondu à sa curiosité intellectuelle: «Je me suis piqué au jeu. L’étude des scènes de crime m’a passionné», explique ce natif de Moutier aux souvenirs d’enfance marqués par le conflit entre Bernois et Jurassiens. Lorsqu’il entreprend sa thèse, consacrée au profilage de la cocaïne et de l’héroïne, le doctorant partage son activité entre l’UNIL et la Police cantonale de Neuchâtel où il a intégré le service d’identité judiciaire : «Ce travail m’a permis d’être confronté à la réalité quotidienne d’un inspecteur de police. J’ai pu mesurer que la vision académique n’est pas tout. Il faut savoir être pragmatique. Ce fut une belle école de vie.» Deux stages, l’un dans une université en Australie et l’autre en Hollande, affinent ses connaissances en matière de profilage de l’héroïne, puis de drogues de synthèse.
Aujourd’hui, le chercheur et enseignant à l’ESC est également chargé de la formation continue des polices et des institutions pénitentiaires. A cela s’ajoutent des mandats d’expertise de stupéfiants : « Ces analyses de stupéfiants fournissent à nos étudiants de vrais échantillons. On ne travaille pas sur des chimères», relève-t-il. Lecteur fasciné par l’univers d’Umberto Eco, le scientifique prend plaisir à cultiver son jardin et à pêcher dans les rivières de Slovénie.
Marie-Françoise Macchi