Rodolphe Archibald Reiss, docteur ès sciences et chef des travaux photographiques de l’Université de Lausanne dès 1898, obtient la création de l’Institut de police scientifique en 1909. L’Université de Lausanne devient alors la première au monde à dispenser une formation de niveau universitaire dans le domaine nouveau de la police scientifique. Pionnier, R. A. Reiss l’est aussi: à l’instar d’Alphonse Bertillon en France, il contribue à perfectionner nombre de procédés photographiques, notamment dans les domaines de l’anthropométrie et du «portrait parlé».
Arguant que la photographie est devenue «l’enregistreur automatique et impartial des événements»[1], Reiss se fait le promoteur d’une photographie utile et objective. Appelé à enquêter en qualité d’observateur sur les infractions aux lois de la guerre commises en Serbie, Reiss finit pourtant par prendre parti dans le conflit qui déchire l’Europe: à grand renfort d’illustrations photographiques, il publie en 1915 «Comment les Austro-Hongrois ont fait la guerre en Serbie. Observations directes d’un neutre»[2]; en tant que correspondant de la Gazette de Lausanne, il écrit également de nombreux articles qui témoignent de son engagement en faveur de la Serbie.
Ces démarches partisanes inquiètent les autorités vaudoises et fédérales, et le crédit intellectuel et moral de Reiss est remis en cause. Les attaques ne viennent pas seulement de la presse alémanique, mais aussi du milieu scientifique: le grand criminaliste autrichien H. Gross est l’auteur de quelques diatribes qui vont jusqu’à mettre en question la santé mentale de Reiss.
La polémique enfle jusqu’à atteindre l’Université et l’Institut de police scientifique. En 1916, comme en réponse aux prises de position de Reiss, le rapporteur de la nouvelle loi sur l’enseignement supérieur auprès du Grand Conseil suggère de supprimer le titre officiel d’«Institut» à la création de Reiss[3]. «Un changement de nom serait désastreux, et équivaudrait presque à sa disparition» estime Reiss, qui menace de donner sa démission en cas d’acceptation[4]. Le Grand Conseil se rétracte finalement et Reiss pourra conserver son poste.
Suite à des voyages de plus en plus fréquents en Serbie, Reiss abandonne la tête de l’Institut en 1919; c’est M. A. Bischoff, son ancien élève, qui en prend alors la direction. Conseiller technique de la Police cantonale vaudoise, Conseiller auprès de l’Organisation Internationale de Police Criminelle (OIPC-Interpol), Bischoff étend considérablement les champs d’expertise de l’IPS. En 1954, à l’initiative des professeurs M. H. Thélin et Ch. Gilliéron, l’Institut de police scientifique devient «Institut de police scientifique et de criminologie» (IPSC); l’Université délivre dès lors deux diplômes: celui de police scientifique et de criminologie d’une part, celui de criminologie d’autre part.
Jacques Mathyer, ancien élève de Bischoff et chef de travaux à l’IPSC, est nommé directeur en 1963. Expert en matière de protection de billets de banque et de documents auprès de la Banque Nationale Suisse et de nombreuses entreprises spécialisées, Mathyer contribue également à diversifier les activités de l’IPSC.
A sa création, l’Institut est rattaché à trois Facultés: Droit, Médecine et Sciences. L’année 1982 marque toutefois l’entrée en vigueur de la Loi sur l’Université de Lausanne (LUL) du 6 décembre 1977: l’IPSC devient dès lors une Ecole au sens de la LUL, rattachée à la Faculté de Droit. Néanmoins, la localisation de l’Institut dans l’Ecole de Chimie témoigne toujours de son ancrage dans le domaine des sciences dites «dures».
En 1986, suite au départ à la retraite du professeur Mathyer, le Conseil d’Etat vaudois désigne son successeur en la personne de P. A. Margot, diplômé IPSC et docteur ès sciences. Suite à l’introduction d’un nouveau plan d’études et d’un nouveau règlement en 1990, le diplôme d’études de police scientifique et de criminologie change de nom et devient «licence en sciences forensiques». A l’automne 1994, l’IPSC quitte l’Ecole de chimie de la place du Château pour s’installer au nouveau Bâtiment de chimie (BCH) du complexe universitaire de Dorigny. Pour pallier au nombre croissant d’étudiant-e-s et à la multiplication des disciplines enseignées, l’IPSC devient Ecole des Sciences Criminelles (ESC) en 2004, et se scinde dès lors en deux instituts: l’Institut de Police Scientifique (IPS) et l’Institut de Criminologie et de Droit Pénal (ICDP). Le directeur est dès lors assisté de deux vice-directeurs, représentant respectivement l’IPS et l’ICDP.
L’ESC fête le centenaire de sa création en 2009. A cette occasion, l’ESC organise conjointement avec le Musée de l’Elysée la première exposition publique des photographies de Reiss. Deux visions s’opposent, l’artistique défendue par le Musée et l’historique proposée par l’Ecole. A défaut d’être complètement conciliables, ces deux axes permettent de rendre hommage à la «photographie judiciaire», objet du premier enseignement de Reiss, et dont découle la création même de l’Institut.
Au gré des changements de structure successifs, l’Institut a connu un essor considérable en terme d’inscriptions étudiantes ainsi qu’une extension progressive de ses domaines d’enseignement et de recherche. Sous la direction du professeur Reiss, entre 1909 et 1919, trois diplômes d’études de police scientifique sont délivrés. De 1919 à 1963, 51 diplômes sont remis, dont 10 postgrades en criminologie. Sous la direction du professeur Mathyer, jusqu’en 1986, 88 grades sont délivrés, dont 4 doctorats. Entre 1986 à 1999, soit en à peine plus de 10 ans, le nombre de diplômés s’élève à 183, doctorats et postgrades compris. Victime de son succès, l’IPSC se voit même contraint d’introduire un numerus clausus entre 1992 et 1995, afin de limiter l’accroissement des effectifs étudiants. En 2010, les deux instituts de l’Ecole des Sciences Criminelles réunissaient 433 étudiants[5].
Les possibilités de formation se sont étoffées en conséquence: outre un Bachelor en sciences forensiques et deux doctorats, l’ESC propose actuellement trois Masters en Droit et trois Masters en Sciences. Il s’agit des Masters en «criminologie», en «magistrature» et en «droit, criminalité et sécurité des technologies de l’information» pour les premiers, des Masters en «criminalistique chimique», en «identification forensique» et en «traçologie et analyse de la criminalité» pour les seconds[6]. A ce jour, l’Université de Lausanne est encore une des seules institutions académiques au monde à dispenser un enseignement qui embrasse la totalité du domaine des sciences forensiques.
Sacha Auderset - UNIRIS 2014
[1] R. A. Reiss, «Quelques mots sur la photographie judiciaire», Revue suisse de photographie, 1903, p. 1.
[2] R. A. Reiss, «Comment les Austro-Hongrois ont fait la guerre en Serbie. Observations directes d’un neutre», Paris: Armand Collin, 1915. Accessible à l’adresse: https://archive.org/details/commentlesaustro00reisuoft (consulté le 9 juillet 2014).
[3] Christophe Champod et al., Le Théâtre du crime. R. A. Reiss, 1875-1929, Lausanne: Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, p. 304.
[4] Lettre du 3 mai 1916 adressée par Reiss au président du Conseil d’Etat. Citée in J. Mathyer, R. A. Reiss, pionnier de la criminalistique, Lausanne: Payot, 2000, p. 121.
[5] http://www.unil.ch/esc/page10692.html (consulté le 9 juillet 2014).
[6] http://www.unil.ch/esc/page16263.html (consulté le 9 juillet 2014).