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Faculté de théologie et de sciences des religions

En 1536, la venue des Bernois impose au Pays de Vaud la confession réformée, et favorise, dans les années qui suivent, la création d’une Académie dédiée notamment à la formation des pasteurs. En effet, celle-ci propose avant tout un enseignement des lectures classiques de l’Antiquité et la connaissance du latin de type cicéronien.[1] L’Académie de Lausanne devient ainsi «la première école supérieure implantée en territoire francophone».[2]

La première chaire de théologie est pourvue dès 1537 et confiée à Pierre Viret (1511-1571). Le XVIème et le début du XVIIème siècle voient se succéder différents professeurs à cette chaire comme Jean Boeuf (1586-1591), Jean-Benoît Destallens (1603-1610) ou encore Marc de Saussure (1610-1661). En 1644, l’Académie crée une deuxième chaire de théologie avec le professeur Jaques Crespe (1644-1653). Le XVIIIème siècle marque la fin de la domination bernoise et la loi du 28 mai 1806 met en place cinq nouvelles chaires à l’Académie. La théologie est alors divisée en pratique, théorie et historique et interprétation des livres saints.

La période la plus marquante du XIXème siècle va de 1839 à 1845. Elle et connue comme le grand moment florissant des intellectuels à l’Académie avec les professeurs de renom comme Charles Monnard (1790-1865), Alexandre Vinet (1797-1847), Charles Secrétan (1784-1858) ou encore Juste Olivier (1807-1876) dans les domaines de la philosophie, de l’histoire, de la théologie, de la littérature française et du droit. En effet, durant la période de la Restauration, le Pays de Vaud devient une terre d’asile pour les intellectuels français comme Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869), polonais comme Adam Mickiewicz (1798-1855) ou italiens, comme Luigi-Amedeo Melegari (1807-1888). Durant les années 1830, l’Académie est bien présente dans la vie publique vaudoise et ses professeurs bénéficient d’une belle écoute et d’un grand succès. Les cours de Sainte-Beuve sur la vie littéraire de Port-Royal n’attirent pas seulement les étudiants, mais également les libéraux ainsi qu’une partie de bonne société lausannoise. C’est l’époque des débats sur la philosophie de la liberté, le rôle de l’Eglise et de l’Etat et des nouvelles théories économiques. Ces dernières sont le sujet des premiers cours libres dispensés par le proscrit italien, Melegari[3], dès décembre 1840. Ses enseignements attirent les auditeurs et il acquiert rapidement une renommée auprès des milieux intellectuels lausannois. La présence de ces hommes éminents à l’Académie constitue un événement avant tout «intellectuel et mondain».

A cette époque les libéraux sont au pouvoir dans le canton de Vaud, ce qui pousse leurs opposants, les radicaux, à parler de l’Académie comme d’un «régime des professeurs» qui formerait seulement une certaine élite du pays. En effet, les libéraux, influencés par les Lumières, réveillent le canton du conservatisme bernois en optant pour un Etat moderne et en voulant donner une formation de haut niveau pour l’élite vaudoise. Monnard a déjà le projet d’instituer une université fédérale avec des facultés. Ce sont donc les libéraux qui sont à l’origine de la loi du 21 décembre 1837 sur l’instruction publique qui veut donner à l’Académie «[le] but de former des hommes pour des carrières qui exigent une instruction supérieure, et d’entretenir dans le pays une culture scientifique et littéraire»[4]. Ils aimeraient axer les études sur la qualité avant tout et non sur le nombre d’étudiants fréquentant l’Académie.

La loi de 1837 propose une transformation conséquente de l’Académie: le passage du latin au français qui participe à la sécularisation de l’institution et la constitution de trois facultés et de 17 chaires: la Faculté de lettres et sciences, celle de droit et celle de théologie. Cette dernière est partagée entre quatre chaires: l’exégétique, la théologie historique avec Jean-Jacques Herzog-Socin (1805-1882), la systématique avec Samuel Chappuis (1809-1870) et la théologie pratique. En 1845, les conflits entre les libéraux et les radicaux se font toujours plus violents et après la démission du gouvernement, le 14-15 février on assiste à la «révolution radicale» avec à sa tête Henri Druey, grand défenseur de la démocratie. Le Conseil d’Etat suspend quarante pasteurs qui refusent d’écrire leur lettre de soumission au gouvernement et par solidarité, une majorité du clergé donne sa démission. C’est ainsi que l’on parle de schisme avec la création de l’Eglise évangélique libre, indépendante de l’Etat, par opposition à l’Eglise nationale.

Cette séparation est due notamment à un nouveau mouvement apparu vers 1820, le «Réveil». Les mômiers ou méthodistes, surnom de ses adeptes, militent pour la séparation entre l’Etat et l’Eglise et mettent en avant le vécu personnel de la foi. En réponse notamment au succès de cette mouvance, on édicte une loi en 1824 pour interdire toute association religieuse à l’extérieur de l’Eglise nationale.

Peu après l’arrivée des libéraux au pouvoir en 1831, la nouvelle loi est supprimée au profit du principe de la liberté de culte. Toutefois, la majorité de la population s’oppose à cette nouvelle liberté. Ce conflit aura un impact certain sur le développement de l’Académie et de sa chaire de théologie, puis plus tard de sa Faculté. En 1845 le gouvernement libéral est contraint à la démission et les radicaux prennent le pouvoir. Les libéraux s’étaient peu à peu éloignés du peuple et leur politique pouvait sembler élitiste. Les radicaux sont plus proches du peuple et prônent la soumission de l’Eglise à l’Etat. Après la «révolution» de février 1845, les radicaux édictent la loi du 12 novembre 1846 sur l’instruction publique supérieure et suppriment la liberté d’étude et d’enseignement, contraire à leurs principes, et le nombre de chaires passe de 17 à 13.

Quelques mois plus tard, le 2 décembre 1846, a lieu le «coup d’Etat académique». Huit professeurs, parmi lesquels Alexandre Vinet et Charles Secrétan, reçoivent une lettre du Conseil d’Etat les informant qu’ils ne sont pas réélus. Ils sont congédiés, car ils fréquentent des assemblées religieuses en dehors de l’Eglise nationale. De surcroît, un libéral comme Vinet tend à vouloir briser la subordination de l’Eglise par rapport au pouvoir politique et ses variations. En effet, les radicaux voient l’Académie comme un repère de mômiers avec un fervent public de disciples. Leurs rapports avec les aristocrates, qu’ils assimilent volontiers aux mômiers, sont tendus. Ce coup d’Etat est un tournant dans l’histoire de l’Académie et son évolution vers une transformation en université. Dans cette perspective, les radicaux aimeraient restructurer l’Académie et en faire une institution égale pour tous et non plus réservée à une élite.

L’année académique 1845/1846 sera funeste pour la Faculté de théologie qui se trouve au centre de la dispute pastorale. Trois professeurs y sont encore présents après le renvoi de Vinet. Cependant, peu de temps après, Herzog-Socin et Chappuis démissionnent par solidarité pour les pasteurs. Il ne reste désormais que César Dufournet (1790-1870) comme professeur à la Faculté de théologie. Cette crise se soldera par la création d’une deuxième Faculté hors de l’Académie: la Faculté libre de théologie.

Il faudra attendre une dizaine d’années pour retrouver la vigueur intellectuelle d’avant 1845 ainsi que le nombre de professeurs ordinaires et d’étudiants. Bon nombre des meilleurs étudiants se sont inscrits dans la nouvelle Faculté libre[5]. Cette perte sera néanmoins compensée par le développement exponentiel des sciences au sein de l’Académie. Cette crise à la fois politique et ecclésiastique a ébranlé violemment l’Académie.

Dès l’institution de l’Université en 1890, les professeurs de théologie ont été conscients du besoin d’une approche scientifique de la religion. Les théologiens ont le souci de faire de la «théologie au présent», c’est-à-dire en contact permanent avec les problèmes et questionnement de notre temps[6]. Dans cette première moitié du XXème siècle, les enseignements de théologie demeurent axés sur quatre disciplines: l’exégèse de l’Ancien et du Nouveau Testament, l’histoire des religions et histoire du christianisme, la théologie systématique (dogmatique et morale) et la préparation pratique au ministère pastoral. En outre, nous pouvons ajouter l’apparition de l’histoire de la théologie moderne, dès 1895, avec le professeur Paul Chappuis ainsi que l’option de cours libres tels que la musique sacrée, les missions, les questions d’hygiène ou la géographie historique de la Palestine.

Dès la fin du XIXème siècle, parallèlement au développement de l’anthropologie culturelle, la science des religions[7] commence petit à petit à faire son apparition comme la psychologie des religions (ou philosophie religieuse), mais en tant que disciplines secondaires. Ces deux disciplines demeurent en marge par l’absence de professeur spécifique ou parce qu’elles sont enseignées par des professeurs de l’Ecole des Sciences sociales et politiques (SSP).

En 1945, la sociologie des religions est introduite et quelques années plus tard, l’éthique devient la nouvelle discipline phare.

En mars 1966, la Faculté de théologie de l’Université et celle de l’Eglise libre fusionnent, ce qui renforce les effectifs. On parle dès lors d’Eglise unie ouverte à tous et respectant l’autonomie spirituelle de chacun. Les professeurs de l’Eglise libre deviennent de droit professeurs à l’Université, même si certains ne sont pas titulaires d’un doctorat. L’effectif professoral passe de 8 à 12 et les étudiants de 32 à 52.

En 1968, l’Institut romand des sciences bibliques (IRSB) est créé comme nouvel instrument de recherche pour la Faculté. En 1988, c’est l’Institut romand de Pastorale qui voit le jour afin de promouvoir la recherche en théologie pratique, en ecclésiologie et en sciences humaines. Dans cette perspective la Faculté renforce son pôle de recherche et élabore de nouveaux horizons comme avec la naissance du Département interfacultaire d’histoire et de sciences des religions (DIHSR) en 1989. La création de ce Département témoigne d’une volonté d’élargir la théologie à autre chose que les matières nécessaires à former les pasteurs de l’église vaudoise. Désormais il est possible d’étudier scientifiquement les religions sous un angle non-confessionnel. Témoignant d’une volonté d’ouverture, la Faculté accueille désormais des enseignants qui ne sont plus forcément protestants et qui peuvent avoir des enfants sans être mariés. La Faculté de théologie s’oriente progressivement vers un approfondissement de la connaissance de la tradition chrétienne et des débats sur la dimension religieuse en parallèle à celle anthropologique et sociale.

Le transfert sur le site de Dorigny pour la Faculté de théologie se fait en 1987. La proximité avec les autres facultés ouvre le dialogue entre les disciplines comme l’anthropologie culturelle, la philosophie, l’histoire, les langues et civilisations orientales. En outre, l’éthique qui est traditionnellement étudiée en théologie intéresse le droit, la médecine ou encore les sciences politiques. C’est ainsi que va être crée un Département interfacultaire d’éthiqueen 1993.

En septembre 2004, dans le cadre du partenariat de Triangle Azur[8], une convention est signée par les autorités politiques de Vaud, Genève et Neuchâtel ainsi que les rectorats respectifs des trois Universités dans le but de distribuer les différents pôles d’excellence en théologie et des sciences des religions. C’est ainsi que l’Université de Lausanne prend comme axe de prédilection les sciences bibliques et les sciences des religions. La même année, la Faculté de théologie fonde la première chaire de Suisse romande consacrée à l’étude du judaïsme.

Depuis plusieurs années l'effectif de la Faculté est assez stable mais la filière «théologie» perd des étudiants au profit de la filière «sciences religieuses». En tout, il s’agit d'un peu moins de 100 étudiants auxquels s’ajoutent une autre centaine venant d’autres facultés et complétant leurs cursus universitaire avec des cours en théologie et en sciences religieuses.

Dès la rentrée 2006/2007, la Faculté de théologie devient la Faculté de théologie et de sciences des religions (FTSR) tout en se composant de trois instituts de recherche: l’Institut romand des sciences bibliques, l’Institut religions, cultures, modernité (IRCM) et l’Institut des sciences sociales des religions contemporaines (ISSRC). Ce dernier constitue un centre d’étude non-confessionnel et multidisciplinaire dont le dessein est d’analyser les phénomènes religieux dans une perspective à la fois psychologique, sociologique et anthropologique. De plus, il se compose, depuis 1999, de l’Observatoire des religions en Suisse (ORS) fondé par Roland Campiche, professeur de sociologie des religions, et dirigé depuis 2002 par le Prof. Jörg Stolz.

Dans ces récentes années (2008), certains professeurs de la section des sciences des religions auraient aimé que l’enseignement de la théologie protestante ne se fasse plus au sein de l’Université de Lausanne. On envisageait la création d’une Ecole romande de théologie en dehors d’un site universitaire suisse romand. Ainsi, les futurs pasteurs n’auraient plus de formation universitaire. Le recteur de l’UNIL, Dominique Arlettaz[9], défend ardemment la nécessité de l’enseignement de la théologie à l’université. Il note l’approche différente faite par les sciences des religions et la théologie sur un même objet d’étude, tout en permettant une collaboration fructueuse et la possibilité d’ouvrir de nouveaux débats. En outre, la Faculté de théologie s’est ouverte d’elle-même à de nouvelles branches comme la science des religions selon les attentes de la société. L’aspect fondamental demeure l’indépendance de l’université par rapport au pouvoir politique et à l’Eglise nationale afin de maintenir une objectivité et une autonomie dans la recherche et l’enseignement.

Emilie Arbellay - UNIRIS 2014

Notes

[1] Elle offre également un enseignement élevé dans les trois langues anciennes (grec, hébreu et latin), en arts libéraux, en philosophie naturelle et morale; cf. Karine Crousaz, «La naissance progressive de l’Académie de Lausanne», septembre 2010, accessible à l’adresse : https://www2.unil.ch/dorigny40/la-naissance-progressive-de-lacademie-de-lausanne/index.html (consulté le 9 juillet 2014).

[2] Idem.

[3] Alias Thomas EMERY.

[4] Nathalie Gardiol, Le coup d'Etat académique du 2 décembre 1846, Lausanne: Université de Lausanne, 1987, p. 14.

[5] Qui se crée officiellement lors du synode du 9 juin 1847 et qui aura ses locaux dans des maisons privées comme celle des Cèdres ou la Brasserie; cf. Centenaire de la Faculté de théologie. De l’Eglise évangélique libre du canton de Vaud (1847-1947), Lausanne: Etudes théologiques et documents, 1947, p. 8.

[6] Bernard Reymond, «L’esprit de plus de quatre siècles», UniLausanne, Lausanne: Université de Lausanne, n°67, 1997, p. 15.

[7] Entendue comme étude des traditions religieuses dans leur diversité, comme compréhension du phénomène religieux et des religions; «Se posant comme objective ou empirique, elle revendique son indépendance, tant à l’égard de la théologique que de la philosophie (philosophies religieuses ou philosophies de la religion), et elle entend assurer sa scientificité propre», in Pierre Gisel, La théologie face aux sciences religieuses: différences et interactions, Genève: Labor et Fides, 1999, p. 20.

[8] Qui est un réseau de coopération entre les universités de Genève, Lausanne et Neuchâtel; cf. www.triangle-azur.ch (consulté le 9 juillet 2014). Il existe un partenariat en théologie protestante et sciences des religions entre ces trois universités.

[9] «Lausanne sans théologie, une rumeur infondée», interview de Dominique ARLETTAZ du 27 juin 2008 pour www.bonnenouvelle.ch, site mensuel de l’Eglise réformée vaudoise.