Sabina Gani
« Sur le long terme, je suis sûre que le doctorat est un atout dans un parcours professionnel, surtout s’il est complété par des formations continues plus orientées sur le métier que l’on fait. »
Sabina Gani a obtenu son doctorat en sciences sociales à la Faculté des sciences sociales et politiques (SSP) de l’UNIL en 2012. Elle est actuellement directrice de Lire et Écrire Vaud, une association à but non lucratif qui a pour mission de favoriser l’accès des adultes à l’écrit.
Titre de la thèse : Une européanisation des politiques de conciliation de la vie familiale et professionnelle ? Le cas de l’Italie et de la France.
GC : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
SG : J'ai 39 ans, j’ai fait une thèse de doctorat en sciences sociales et je suis la directrice de la section vaudoise de l'association Lire et Écrire.
Pourquoi avez-vous choisi d’effectuer un doctorat ?
C'est une occasion qui s'est présentée à moi, car je n’avais pas forcément réfléchi pendant mes études à faire une thèse. J’ai commencé un mémoire qui m'a vraiment passionnée. Mon directeur de mémoire m'a proposé un poste d'assistante d'enseignement et de recherche avec la possibilité de faire une thèse. Depuis le gymnase, j'ai toujours travaillé à côté de mes études pour les financer. Et là, pour la première fois, j’avais la possibilité d’avoir un salaire et de continuer des études. C’était une chouette opportunité et j’ai accepté cette proposition avec un immense plaisir.
Aviez-vous un plan de carrière durant votre doctorat ?
Absolument pas ! Mon seul plan carrière était de faire des choses qui me passionnent et d'y croire, et d'arrêter de le faire au moment où ça ne m'intéresse plus, où je ne suis plus passionnée.
Vous êtes actuellement directrice de la section vaudoise de l'association Lire et Écrire. Le jour de votre soutenance, auriez-vous imaginé occuper ce poste aujourd’hui ?
Non, absolument pas. J'ai eu mon premier enfant pendant ma thèse et le deuxième dix jours après ma soutenance. À ce moment-là, j’étais partagée entre l’envie de continuer dans l'académique, parce que j'avais toujours du plaisir et j'étais toujours passionnée, et l’envie de découvrir autre chose. J’ai choisi de découvrir autre chose, aussi parce que je pense qu’à cette période je n’avais pas le courage de me lancer dans un post-doctorat à l'étranger que je voyais comme une grande montagne.
Quelles sont vos missions principales et comment décririez-vous votre rôle ?
Il y a une multitude de missions. C’est une association à but non lucratif qui a envie de faire changer la société, ce qui est un grand moteur. Mon rôle couvre plusieurs aspects. La gestion financière du budget : gérer les négociations et les contrats avec les pouvoirs publics, les différents départements du canton, les villes et les régions d'action sociale ainsi que la recherche de fonds auprès des partenaires privés comme la Loterie Romande. Il y a tout cet aspect financier qui consiste à faire rentrer l'argent pour payer les salaires. Il s’agit aussi de maintenir et de garder des relations de confiance avec les partenaires et de pouvoir négocier les contrats. Un autre aspect est la sensibilisation et le lobbying pour faire reconnaître la problématique de l’illettrisme : les contacts avec les médias et avec le monde politique, suivre ce qui se passe tant au niveau cantonal que fédéral sur ce qui touche à notre mission et à notre public. Il y a enfin un aspect plus managérial de gestion du personnel et des équipes – la section vaudoise compte 43 salarié·e·s et 36 bénévoles.
Qu’aimez-vous le plus dans cette fonction ?
L'hétérogénéité des tâches. Il y a vraiment une grande palette de tâches et d’actions et aussi une grande marge de manœuvre pour développer des choses. C’est difficile de s'ennuyer dans ce poste. L’associatif offre un espace professionnel où il est possible de s'épanouir si l’on aime développer des projets et prendre des initiatives. Il y a un vrai engagement de la part de tout le personnel de l'association et de tous les bénévoles qui apporte une énorme énergie à la fonction que j'occupe.
Quelles sont les compétences essentielles pour exercer cette mission ?
Il faut aimer les chiffres. On ne peut pas occuper mon poste si l’on est mal à l'aise avec les chiffres. Je consacre une grande partie de mes journées à faire des prévisions financières, des budgets et des décomptes. Je dirais qu’une compétence dans le domaine de l’organisation est également nécessaire et qu'il faut être en mesure de faire évoluer les structures : mon poste a été créé en 2017, j’ai dû mettre en place une organisation qui permette de pouvoir fonctionner dans une grande équipe. Il est aussi nécessaire de savoir faire preuve de réflexivité et d’avoir de l'autodérision ainsi que des compétences humaines et relationnelles.
Expliquez-nous le parcours qui vous a mené jusqu’à votre poste actuel ?
J'ai terminé ma thèse de doctorat en 2012 et j'ai cherché mon premier emploi, ce qui était un bon challenge. Ce n'était pas évident de se retrouver sur le marché du travail en étant pas aussi jeune que les étudiant·e·s qui sortent d’un master et qui en sont à leur première expérience professionnelle. Après une thèse, on arrive sur le marché de l’emploi avec une expérience professionnelle qui n’est pas toujours reconnue comme telle. À la fin de ma thèse, mon objectif était de travailler dans un bureau de l'égalité entre hommes et femmes. J'ai trouvé un poste à Fribourg, mais c'était un travail à temps partiel (20%). J'ai donc essayé de compléter ce petit pourcentage avec un autre poste. C'est comme ça que je suis arrivée à l'association Lire et Écrire que je ne connaissais pas. J’ai été engagée en tant que coordinatrice de l’antenne Riviera-Chablais. J’ai alors concilié deux emplois pendant trois ans et demi, ce qui était extrêmement passionnant et en parallèle, j’ai écrit un livre qui était une sorte de prolongation de ma thèse. C'était une période très enthousiasmante parce que les liens qui se font quand on a plusieurs emplois sont nombreux. Je pense que c'est aussi très intéressant pour l'employeur d'avoir des collaborateur·trice·s qui peuvent amener un regard extérieur et des connaissances et des pratiques qui se font ailleurs. À ce moment-là, j'ai vraiment découvert le monde associatif que je connaissais en tant que bénévole pendant mes études, mais pas forcément au niveau professionnel. J'ai été extrêmement séduite par son fonctionnement. J’ai eu l'opportunité de prendre une nouvelle responsabilité professionnelle au sein de l'association Lire et Écrire et d'amener une restructuration, en particulier dans la section vaudoise. Cela fait maintenant sept ans que je fais partie de l'association et presque quatre ans que je suis à ce poste de direction.
Pendant votre doctorat, vous êtes-vous préparée à votre entre entrée sur le marché de l’emploi ?
Pas du tout, en tout cas pas volontairement. Pendant mon doctorat j’étais vraiment concentrée sur le sujet de ma thèse, sur les recherches que l’on menait au sein du laboratoire et sur les tâches qui m’étaient confiées au niveau de l’enseignement. Avec le recul, je peux dire que j’ai développé de nombreuses compétences professionnelles durant mon doctorat sans forcément en être consciente. Ces compétences ont été absolument essentielles pour les différents postes que j'ai occupés après ma thèse. Il y a notamment une compétence qui est vraiment transférable dans tous les milieux professionnels, c'est la capacité de rechercher rapidement des informations et de pouvoir les mettre en perspective, de faire des va-et-vient entre le niveau micro méso et macro et de mettre en contexte des informations par rapport à des tendances. J’ai également développé une capacité à argumenter qui est nécessaire dans les négociations. Dans le cadre des recherches auxquelles j’ai participé durant ma thèse, il y avait aussi des dimensions de gestion de projets, comme le fait de réfléchir aux ressources qui seront nécessaires pour réaliser des objectifs. Il faut ensuite être capable de transmettre ses compétences lors d’un entretien d'embauche et avoir suffisamment confiance pour montrer qu’on les a, même si elles ne proviennent pas du « milieu professionnel classique », c'est essentiel.
Que répondez-vous à celles et ceux qui estiment que le doctorat n’est pas pertinent pour une carrière non-académique ?
Je pense que c'est faux. Ça dépend un peu de l'objectif que l’on a lors du doctorat. Le fait d'être capable de démarrer une thèse et de la terminer témoigne d’une capacité d'endurance. C’est quand même un gros projet qui implique de nombreuses années de travail. Je dirais que le doctorat n’est peut-être pas un énorme atout et peut même être un obstacle à l'entrée sur le marché du travail parce que tous les employeurs n’ont pas la sensibilité et la capacité d’entendre les compétences apportées par le doctorat. Mais je crois qu'il y a des employeurs qui sont sensibles à cela et qui reconnaissent toutes les compétences que l’on peut développer pendant une thèse. Sur le long terme, je suis sûre que le doctorat est un atout dans un parcours professionnel, surtout s’il est complété par des formations continues plus orientées sur le métier que l’on fait.
Portrait publié le 23 novembre 2020