Rendre la vue pour voir la beauté du monde
Depuis une dizaine d’années, le professeur Yvan Arsenijevic poursuit ses recherches dans le domaine de la dégénérescence de la rétine.
Depuis une dizaine d’années, le professeur Yvan Arsenijevic poursuit ses recherches dans le domaine de la dégénérescence de la rétine.
Pour le chef de l’Unité de thérapie génique et de biologie des cellules souches au Service ophtalmologique universitaire de Lausanne (Hôpital Jules-Gonin), il s’agit de comprendre les mécanismes de dégénérescence, d’essayer de les ralentir ou de redonner la vision, soit par transplantation cellulaire, soit par transfert de gènes. L’espoir de voir ses travaux déboucher sur des applications ne le quitte pas : «Nous croisons quotidiennement les enfants du Centre pédagogique pour élèves handicapés de la vue. Si nous ne travaillons pas pour leur génération, ça sera pour la suivante», avance le professeur, docteur en sciences biologiques.
Yvan Arsenijevic est impliqué dans plusieurs études financées par l’Union européenne, dont le projet AAVEYE (domaine Health de FP7). Trois partenaires académiques, l’University College London, l’Université de Naples associé à TIGEM (le Laboratoire de génétique du téléthon italien) et bien sûr la Fondation Asile des aveugles ont formé un consortium soudé. Il a été rejoint par une PME estonienne, Asper Biotech, spécialiste du génotypage à haut débit.
Sous le nom de rétinite pigmentaire se cachent plus de 200 maladies. Le projet AAVEYE (achevé au 31 octobre 2011) proposait une approche de thérapie génique pour traiter deux maladies récessives, précoces et sévères, qui affectent particulièrement les enfants. C’est le cas notamment de l’amaurose congénitale de Leber qui représenterait 5% des dystrophies rétiniennes. La rétine n’est plus fonctionnelle mais chez certains malades, elle reste en bon état suffisamment longtemps pour envisager un transfert de gènes. L’étude a mis en évidence un nouveau vecteur thérapeutique, efficace lorsqu’il y a une mutation sur le gène AILP1 et le gène PDE6b. Les essais menés sur des modèles animaux ont été encourageants.
Le projet AAVEYE aura des retombées importantes : le groupe anglais a obtenu des financements privés pour des premiers essais cliniques. Par ailleurs, le professeur Arsenijevic relève que l’étude AAVEYE a consolidé les relations entre la Fondation Asile des aveugles, l’Institut de recherche en ophtalmologie (Professeur D. Schorderet), l’association Retina Suisse. Deux cents patients ont été génotypés, ce qui a permis d’enrichir le registre des maladies de Retina Suisse et d’informer des personnes atteintes de maladie rare qu’un traitement est peut-être possible pour certaines dystrophies de la rétine. En effet, plusieurs groupes en Europe mènent des recherches en thérapie génique pour des maladies spécifiques.
Le handicap de la cécité touche le professeur Arsenijevic : « Beaucoup n’osent plus sortir de chez eux. Pour recouvrer la vue, des patients sont prêts à prendre les mêmes risques thérapeutiques qu’un malade en stade terminal. Certains perçoivent leur cécité avec la même gravité qu’une maladie mortelle.»
Lui qui a été invité à rejoindre l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin en 2000 alors qu’il était chercheur au Centre de thérapie génique du CHUV, s’est vite enthousiasmé pour sa spécialisation : « Si on sauve juste un millimètre carré de cellule, on peut changer la vie des personnes. Les photorécepteurs ne font qu’une seule connexion avec d’autres interneurones. Ce sont des connexions simples à comprendre en regard du réseau neuronal complexe en jeu dans la maladie de Parkinson par exemple. Cela m’a paru accessible et très stimulant de travailler sur la rétine», insiste le biologiste qui, adolescent déjà, dévorait livres et revues sur les neurosciences.
Lorsqu’il referme la porte de son laboratoire, ce scientifique serein puise son équilibre dans deux sources intarissables : la littérature et la montagne. L’univers des livres élargit son horizon, contribue à sa propre construction et à sa vision du monde. Quant à la montagne, elle est le lieu où il se sent vivre pleinement : « J’aime l’endurance, descendre au fond d’une vallée pour repartir à l’assaut d’un glacier. Alors qu’on grimpe, c’est l’harmonie d’un bouquet de violettes qui s’offre à vous soudain. La beauté de la nature me renvoie à des choses essentielles. »
Marie-Françoise Macchi