Dies academicus 2008: Alain Tanner honoré par la Faculté des lettres
Une leçon d'utopie
Le cinéaste suisse en 1975, pendant le tournage de Jonas qui aura vingt-cinq ans en l'an 2000. Il reçoit le grade de docteur ès lettres honoris causa. Survol d'une longue et belle carrière menée en toute liberté
C'est avec joie que l'UNIL reconnaît en Alain Tanner l'auteur d'une oeuvre appelant à l'intelligence et à la liberté, y compris celle qui fut la sienne par rapport à l'institution universitaire de son temps. Dans Ciné-mélanges, ouvrage paru en mai 2007, il se décrit au sortir de ses études comme "une sorte de miraculé". Foin de malentendu: c'est précisément la liberté d'Alain Tanner qui est saluée par la Faculté des lettres et sa section d'histoire et esthétique du cinéma.
Avec Paul s'en va, son dernier film en 2003, Tanner a pris congé du cinéma, un territoire qui fut pour lui non pas un refuge dans les belles images, les costumes du passé, l'exploration du quotidien, ou la cinéphilie, mais un outil pour essayer de voir le réel autrement et pour remettre l'idée de plaisir au coeur de nos vies volées, pour ne pas dire aliénées. Car Tanner est un cinéaste de la joie à la fois retrouvée et toujours menacée dans la Suisse opaque qu'il critique dès Charles mort ou vif en 1969, son premier long métrage de fiction.
Il est proche de Claude Goretta et de Michel Soutter en cette époque de «nouveau cinéma suisse». Entre 1964 et 1970, il réalise de nombreux reportages et portraits pour la Télévision suisse romande. Il reviendra brièvement au documentaire en 1994 avec Les Hommes du port, excellente chronique sur l'univers des dockers de Gênes et leur organisation syndicale hors du commun, éloge d'un monde professionnel menacé.
Chacun peut exprimer ses préférences dans la filmographie de Tanner. Il y a bien sûr les titres très connus comme La Salamandre (1971) et Jonas qui aura vingt-cinq ans en l'an 2000 (1976). La soussignée adolescente avait adoré Messidor en 1979, la dérive dure de deux jeunes citadines dans nos vallées alpines. Plus tard, Dans la ville blanche (1982) nous fit connaître Bruno Ganz et aimer Lisbonne. Puis en 1991, bonheur de suivre dans un village espagnol L'Homme qui a perdu son ombre, un film d'une beauté saisissante…
Tanner peut enthousiasmer son spectateur avec des paroles vraies portées par le vent et des personnages ancrés dans un paysage unique, où l'on pénètre avec la sensation d'arriver au milieu du monde. Contre la violence économique et l'écrasement des esprits, il prône une résistance poétique. A l'heure où le cinéma propose de terrifiants portraits de méchants, l'innocence des personnages tannériens rappelle des temps plus cléments où un cinéaste pouvait, malgré un certain pessimisme, nous inviter à être joyeux et à partir à la recherche du beau.